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63 ans, l’âge fatal : faut-il avoir peur de la malédiction climactérique ?
©consommer-malin.fr

Gâteau piégé

Jean-Louis Borloo qui abandonne la vie politique dans son année climactérique, Dominique Strauss-Kahn qui renonce à son destin politique en pleine année climactérique : depuis les Romains, les 63 ans sont un cap critique. François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon, qui sont dans leur année climactérique, devraient relire les bons auteurs de la Renaissance…

Grégory Pons

Grégory Pons

Journaliste, éditeur français de Business Montres et Joaillerie, « médiafacture d’informations horlogères depuis 2004 » (site d’informations basé à Genève : 0 % publicité-100 % liberté), spécialiste du marketing horloger et de l’analyse des marchés de la montre.

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La Bible ne parle pas de cette fatalité climactérique, ni d’ailleurs les auteurs de l’Antiquité grecque. La plus ancienne trace qu’on ait relevé se trouve dans la correspondance de l’empereur Auguste, avec une lettre à son petit-fils Gaius citée par Pline le Jeune. À la Renaissance, le traité De climactericis annis de Claude Saumaise ne comporte pas moins de mille pages, mais Montaigne méprisait cette croyance "du peuple", préférant parler du passage de chaque minute et de chaque jour, plutôt que de celui des septaines ou des neuvaines d’années.

Pour les dictionnaires, climactérique (du grec Klimacter, échelon) renvoie à la fois aux… bananes (les fruits climactériques mûrissent après leur cueillette) et aux croyances qui touchent les années multiples de 7 (version ancienne) ou de 9 (souci plus contemporain), comme la 49e, la 63e ou la 81e année de la vie. Pour le premier Dictionnaire de l’Académie française (1694), le mot désigne « une certaine année qu’on croit fatale, soit dans la vie des hommes, soit dans la vie des États et des villes ».

Les nouvelles générations y ajoutent le « club des 27 », tous ces chanteurs de rock disparus dans leur 27e année (3 x 9), comme Jimi Hendrix, Amy Winehouse, Brian Jones, Janis Joplin ou Jim Morrison – on peut en citer une trentaine. Donna Summer a attendu sa 63e année pour rejoindre la liste des artistes climactérisés, qui compte aussi des plasticiens comme Jean-Michel Basquiat (27 ans) ou des comédiens comme Bernard Giraudeau ou Lee Marvin (63 ans tous les deux).

Souvenez-vous que la Vierge Marie serait morte à l’âge de 63 ans, tout comme le prophète Mahomet. Tout comme, nous disent les Anciens, Platon, Aristote, Cicéron ou même Luther. Freud, lui, croyait au seuil des 81 ans…

Vous avez des doutes ? C’est normal, la fièvre climactérique défie toute rationalité, mais ce « nombre fossoyeur » a ému des grands esprits comme Pétrarque, Boccace, Rabelais (qui fait entrer le mot dans la langue française), Thédore de Bèze, le continuateur genevois de Calvin (qui n’y croyait pas), et beaucoup d’auteurs et de médecins de la Renaissance, dans un grand salmigondis de lectures antiques et d’astrologie – à une époque où astrologie et astronomie étaient encore au coude à coude. L’inquiétude retombe au cours des siècles suivants, l’idée climactérique ne bénéficiant plus que d’une simple notice dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. On dit aujourd’hui aussi bien climatérique (concept relancé par le poète et mathématicien Jacques Roubaud) que climactérique.

Il est troublant que le XXe siècle renoue avec ce que beaucoup considèrent comme une « superstition » pré-scientifique : signe d’une nouvelle Renaissance ? Ce qui n’empêche pas les rockers d’y croire très fort et les initiés de se presser sur la tombe de Jim Morrison au Père-Lachaise. Le chiffre 63 a le mérite de réconcilier, toujours dans une logique de psycho-astrologie, les chiffres 7 (le nombre des planètes connues à la Renaissance) et le chiffre 9 (le chiffre actuel). C’est ce chiffre qui sert de titre au livre Soixante-trois. La peur de la grande année climactérique à la Renaissance (éditions Droz) de Max Engamarre, spécialiste internationalement reconnu de Calvin et grand érudit pour tout ce qui concerne les auteurs de la Renaissance : il démontre comment, dans les grandes années d’angoisses climactériques, les hommes commençaient à s’inquiéter dès le jour de leur 62e anniversaire, pour se sentir soulagés le jour de leur 64e anniversaire.

Ce goût des nombres 7 et 9, surtout 9, nous entraîne dans un monde mental secrètement régi par des symboles chiffrés d’une essence presque divine. Le très sérieux Max Engamarre, qui s’est amusé à ne pas se prendre au sérieux face à un sujet aussi peu conformiste, nous livre un autre clin d’œil : on fêtera en 2014 les 2 000 ans du décès de l’empereur Auguste, celui qui pensait être entré dans une année « critique » le jour de ses 62 ans. Autant dire l’actualité pressante de cette arithmétique des peurs : l’esprit du temps peut d’inquiétants parallèles à tracer avec la bouffée de tourments du XVIe siècle, ses guerres de religion, ses chasses aux sorcières, ses faux savants astrologues et ses vrais « passeurs » de modernité.

Alors, 2014, année « terrifique » ? En renonçant sans prévenir à ses mandats dans son année critique, Jean-Louis Borloo pourrait avoir été frappé par cette malédiction climactérique, de même que Dominique Strauss-Kahn, contraint lui aussi de renoncer à ses ambitions au même âge. Sur la liste des climactérisés possibles de ces prochains mois, François Bayrou, Christine Taubira, Corinne Lepage et Jean-Luc Mélenchon, mais aussi des journalistes comme Laurent Joffrin ou des artistes comme Fabrice Luchini, Jean-Jacques Goldman et Renaud. Parés pour cette tourmente post-rabelaisienne ?

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