500 millions pour investir : à quoi peut nous mener la concentration des médias à l’œuvre en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis près de 6 mois, on observe que de grands médias se font racheter : NextRadioTV par Patrick Drahi, Canal Plus par Vincent Bolloré, etc.
Depuis près de 6 mois, on observe que de grands médias se font racheter : NextRadioTV par Patrick Drahi, Canal Plus par Vincent Bolloré, etc.
©Reuters

Tous dans le même sac !

Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton ont constitué un fonds d'investissement pour racheter différents médias, qui devrait réunir entre 300 et 500 millions d'euros.

Francis  Balle

Francis Balle

Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.

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Julia Cagé

Julia Cagé

Normalienne, titulaire d’un doctorat de l’université de Harvard, Julia Cagé est professeur d’économie à Sciences Po Paris. Elle est également membre de la Commission économique de la nation. Elle est l'autru de Sauver les médias : Capitalisme, financement participatif et démocratie (février 2015, coédition Seuil-La République des idées).
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Atlantico : Depuis près de 6 mois, on observe que d'autres grands médias se font racheter : NextRadioTV par Patrick Drahi, Canal Plus par Vincent Bolloré, etc. Est-ce que tous ces rachats - ou projets de rachats - mettent en péril la liberté d''information et le pluralisme médiatique ? A quoi ressemblera le paysage médiatique français à l'avenir si cela continue dans ce sens ? 

Julia Cagé : Si l’on continue dans ce sens, d’ici quelques mois, au maximum un ou deux ans, mis à part quelques exceptions (comme Le Canard Enchaîné ou Mediapart) il n’y aura plus aucun média d’information d’envergure indépendant en France, c’est-à-dire possédé par des personnes physiques ou morales dont l’activité principale est dans le domaine des médias. La plupart des grands titres de la presse, et maintenant des chaînes de télévision et de radio (mais ce n’est pas nouveau pour la télévision – il n’y a qu’à penser à Bouygues et TF1) ont changé de mains ces derniers mois, tombant dans l’escarcelle de groupes industriels ou de milliardaires qui tirent l’essentiel de leurs ressources d’autres activités.

Si rien n’est fait non seulement il y aura un énorme problème d’indépendance des médias. Mais il faudra y ajouter un problème de pluralisme. Parce qu’un petit nombre de groupes est en train de se partager l’ensemble du paysage médiatique français. Or le pluralisme et l’indépendance des médias sont deux fondamentaux du bon fonctionnement d’une démocratie.

Francis Balle : C'est un moment de consolidation auquel on pouvait s'attendre dans les médias au vu de Springer, Bertelsmann, ou même Vivendi. En revanche, ce qui surprend aujourd'hui c'est qu'arrivent sur ce terrain des investisseurs ou des entrepreneurs que l'on n'attendait pas, c'est-à-dire un banquier, un industriel et un entrepreneur qui a fait des choix heureux dans le domaine des télécommunications.

Il y aurait véritablement péril pour la liberté d'expression et la liberté d'informer si cette concentration aboutissait à un oligopole ou à un monopole empêchant n'importe quel nouvel entrant d'arriver. Mais dès lors qu'ils n'empêchent pas - par leur entente entre eux ou par un abus de position dominante – de nouveaux arrivants d'entrer sur le marché des contenus – que ce soit des contenus d'information ou des contenus de divertissement -, on ne peut pas leur en vouloir.

Il ne faut pas faire un lien mécanique entre concentration et absence de pluralisme. La concentration peut permettre l'épanouissement d'un pluralisme comme elle peut empêcher tout pluralisme. Tout dépend de la façon dont ces entrepreneurs envisagent leur intervention au sein de l'entreprise. Ou bien ils ont une attitude d'entrepreneurs et, auquel cas, le contenu est roi, c'est-à-dire en définitive le client. Ou bien ils ont d'autres idées derrière la tête et souhaitent en faire un outil d'influence pour des raisons politiques ou industrielles, auquel cas ils risquent de s'exposer à quelques déconvenues. Les clients finiront par s'en apercevoir. Donc ils vont perdre les médias dont ils veulent faire des outils d'influence sans le dire. Ils vont perdre leur crédit et leur crédibilité et, du même coup, leurs clients. Non seulement ces médias n'exerceront pas l'influence que l'actionnaire escomptait, mais ils vont aussi perdre sur le tableau de leur bilan annuel.

Un métier indépendant est un média dont la ligne éditoriale est entre les mains de clients qui accordent leur crédit à une équipe éditoriale. C'est un média qui a un actionnaire qui le laisse tranquille et qui ne veille qu'à ses bilans, qu'à ses dividendes. C'est un média qui a réussi à ériger un mur infranchissable entre les vues ou arrière-pensées que pourraient avoir les actionnaires et une équipe rédactionnelle à laquelle à laquelle il ne doit demander des comptes qu'en fonction du degré de satisfaction des clients. C'est un média qui est au-dessus de la mêlée, sans esprit de système, sans esprit partisan, lié à personne, inféodé à aucun parti et d'aucun parti pris. Ce qui est très grave, c'est de se dire indépendant et de ne pas l'être.

La concentration médiatique française est-elle comparable avec des pays étrangers ? Ou la France se situe vis à vis des pays voisins ?

Julia Cagé : La concentration n’est pas propre à la France : aux Etats-Unis par exemple on a assisté ces dernières années à une concentration très forte de la presse locale avec les nombreux rachats de Warren Buffet à travers son entreprise Berkshire Hathaway. Toujours aux Etats-Unis, mais également au Royaume-Uni et en Australie, on voit que Rupert Murdoch s’est également constitué un véritable empirique médiatique. Mais c’est loin d’être le cas dans tous les pays : un certain nombre de pays d’Europe du Nord ont notamment adopté des régulations beaucoup plus contraignantes pour limiter la concentration des médias.

Une autre spécificité de la France vient de la prédominance aujourd’hui dans le secteur des médias de groupes industriels qui ne sont pas des groupes dont l’activité principale est dans les médias. De ce point de vue là, le pays le plus similaire à la France est l’Italie.

Francis Balle : Ce qui n'étonne personne c'est que le mouvement de concentration arrive si tardivement : ce mouvement a été amorcé il y a bien longtemps dans les autres pays, qu'il s'agisse de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne notamment. En revanche, la concentration médiatique française est encore loin d'atteindre des Springer, des Bertelsmann ou des Ringier en Suisse. On en est encore très loin. On est loin même de l'époque où Hachette exerçait dans le monde de l'édition comme dans le monde des magazines et des journaux un certain imperium. A l'époque, la "pieuvre verte" – comme on l’appelait - était un peu envahissante. Mais c'est une époque révolue avec la multiplication des médias et l'apparition de nouveaux médias - qui sont partis de rien.

Pourquoi observe-t-on une accélération des mouvements de rachat ces derniers mois ?

Julia Cagé : D’une part, parce qu’il y a beaucoup de titres qui étaient dans des situations financières fragiles et donc en vente. Ces nouveaux investisseurs en ont profité pour faire leur marché à bas prix. D’autre part, et je pense que c’est ce dont témoigne la création de ce nouveau fond d’investissement dans les médias, parce que cela a créé une sorte d’émulation à qui aura le plus d’acquisitions et le plus gros empire. Xavier Niel et Patrick Drahi ont potentiellement des poches sans fonds pour acquérir des médias. Donc l’enjeu est de savoir qui va tirer le premier. Et enfin parce que rien n’est fait !

Francis Balle : N'importe quel acheteur achète au meilleur prix. Et là, les équipes dirigeantes sont découragées par la brutalité avec laquelle la révolution numérique fait son entrée dans l'univers des contenus. Il est clair qu'ils ont profité du désarroi des entrepreneurs qui ont été surpris de la rapidité avec laquelle les comportements vis-à-vis de leurs medias pouvaient avoir été modifiés en peu de temps et surtout auprès des populations les plus jeunes.

Faut-il revoir les lois qui encadrent cela ? Si oui dans quel sens ? Quelles sont les barrières existantes ?

Julia Cagé : Oui il faut revoir les lois existantes. La dernière fois qu’on a fait une loi pour réguler les médias en France c’est 1986, à une époque où Internet existait à peine ! Il faut réintroduire des règles plus strictes contre la concentration ; limiter également la possibilité d’acquisitions sur différents supports (par exemple tout à la fois presse écrite, télévision et radio). Et je pense qu’il faudrait également réguler – c’était un des engagements du Parti socialiste pendant la campagne de 2012 – pour interdire à une entreprise sous contrat avec l’Etat de posséder des médias. Mais pour cela il faut une véritable volonté politique, et j’espère que l’accélération que l’on voit aujourd’hui des mouvements de concentration va enfin permettre de faire bouger les lignes.

Francis Balle : Il y avait eu une commission anti-concentration mais certaines règles sont totalement obsolètes. Il faut notamment établir des seuils. Les barrières existantes sont trop hautes car elles ont été instituées à une époque où les médias n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui. Donc il serait urgent de réviser les dispositifs anti-concentration qui ont été élaborés dans une époque qui n'est plus la notre.

Il faudrait surtout permettre à un groupe d'être présent sur plusieurs médias en même temps, c'est-à-dire sur la presse, à la radio, sur la télévision et sur Internet.

Le fonds d'investissement destiné à lever 500 millions d'euros est organisé sous la forme d'un SPAC (Special Purpose Accurancy Company), un instrument boursier utilisé en France pour la première fois. De quoi s'agit-il exactement ? A quoi correspond ce choix ?

Francis Balle : Après avoir collecté des fonds d’investissement, les acheteurs sont obligés d’investir une partie de ces fonds – 75% - dans l’activité pour laquelle ceux-ci ont été créés. C’est un fonds qui est obligé d’investir une bonne partie de ce qu’il a collecté comme épargne auprès d’investisseurs seulement sur un certain terrain. C’est une garantie pour les actionnaires. C’est un contrat de confiance entre l’investisseur qui confie son épargne et l’investisseur professionnel. Le SPAC permet de régler une question d’éthique qui consiste à ne pas utiliser leur argent à des fins qui seraient condamnables. Après tout, le marché n’est pas une école de vertu !

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