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50 milliards de réductions de dépenses publiques : ce qui est crédible, ce qui ne l’est pas dans les annonces Valls (et qui va payer la facture ?)
©Reuters

A la loupe

Les annonces de ce mercredi 16 avril du détail des économies que le gouvernement compte mettre en œuvre laisse perplexe. Politiquement risqué, touchant plutôt les classes moyennes, l'intérêt et la facilité de mise en application de ces mesures est sujet à caution.

Atlantico : Manuel Valls a annoncé que les efforts qu'il demande reposeront principalement sur les fonctionnaires – avec le gel du point – et les bénéficiaires de prestations sociales – qui ne seront pas revalorisées. Est-ce crédible de penser que les 50 milliards d'économies peuvent se baser principalement sur ces catégories de dépenses ?

Jean-Michel Rocchi : Le plan est relativement crédible, toute la question est de savoir si le gouvernement ne va pas reculer lorsque une partie de la population va descendre dans la rue. Il ne faut pas non plus s'extasier devant ce plan qui est vraiment un minimum au regard de la situation calamiteuse des Finances Publiques, alors surtout que l'on ne possède aucune marge de manœuvre au regard du niveau déjà confiscatoire confiscatoire des taux des prélèvement fiscaux et sociaux. 30 années consécutives de lâcheté budgétaire tant par la gauche que par la droite cela devait se solder tôt ou tard.

Olivier Rouquan : Il s'agit d'une politique d'ensemble. Le Premier ministre a annoncé d'autres points, et finalement surtout, la poursuite et l'intensification de la Modernisation de l'Action Publique (MAP) lancée en 2012 : rationalisation de la gestion, mutualisation des moyens, transversalité, etc. La modernisation inclut les  collectivités décentralisées, qui en deçà des lois votées et à venir, soit avec ou sans fusion ou disparition d'un échelon, doivent engager des réformes locales, sans quoi les 11 Mds€ ne seront pas trouvés et les impôts locaux, ou tarifs aux services publics locaux augmenteront ! Or, en matière d'amélioration de la performance locale, la libre administration prévaut. L'Etat peut inciter en pondérant ses dotations, ce qu'il fait et accentue. Mais sans adhésion des élus locaux, la diminution des dépenses et stabilisation des recettes locales n'aura pas lieu. Tel est le sens d'un pacte de stabilité financière entre Etat et collectivités territoriales. Cet exemple est donné afin d'indiquer que les diminutions importantes engagées de dépenses publiques (- 50 Mds€) seront atteintes, si une nouvelle culture administrative émerge, qui doit trouver un accord auprès des décideurs de toutes les fonctions publiques, des élus, et des usagers-administrés. En fait, le facteur déterminant est ici. La prise de conscience doit avoir lieu. La communication offensive de M. Valls y aide pour l'instant.

>>> A lire également sur Atlantico : Pourquoi le pacte de responsabilité est malheureusement condamné à l’échec (ou les bonnes intentions diluées dans la recherche du moindre coût politique et social)

Retraités, fonctionnaires, bénéficiaires de prestations sociales... Ce seront surtout les classes moyennes et modestes qui supporteront les contraintes. Est-ce économiquement tenable d'affaiblir le pouvoir d'achat de ces catégories en situation de croissance morose ?

Jean-Michel Rocchi : L'Etat vit au dessus de ses moyens en accordant des aides sociales avec de l'argent qu'il ne possède pas en émettant des Obligations Assimilables du Trésor (OAT) via l'Agence France Trésor est ce raisonnable? Non. Est ce soutenable à moyen et long terme alors que le gisement d'OAT frôle les 2 000 milliards d'euros ? Non.

Ce que l'on a appelé à tort ou a raison le modèle Fordiste et qui justifie des salaires élevés pour soutenir la croissance précisément ne marche que s'il y a croissance. La reprise de la croissance en France c'est un peu selon le titre de la pièce de Samuel Beckett "En attendant Godot" ... François Hollande croit que son quinquennat sera sauvé par la remontée d'un cycle économique de Juglar, pour l'instant il fait plutôt penser au lieutenant Drogo dans "Le désert des Tartares" de Dino Buzzati souhaitons lui dans l'intérêt de la France de ne pas finir pareil ...     

François Fillon a dit il y a quelques années une des rares choses vraies affirmées par un homme politique français depuis ces trente dernières années :  "Je suis à la tête d'une Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier ...ça peut pas durer". En France il faut sortir du déni de réalité : il n'y a pas de croissance (donc il n'y a pas de partage possible des fruits de la croissance comme pendant les "trente glorieuses" en effet ceux-ci  n'existent plus). Bien plus, le PIB par habitant baisse actuellement ce qui manifeste un appauvrissement de la société aussi par voie de conséquence toutes les classes sociales seront impactées à des degrés divers, notamment les classes moyennes.

Le problème c'est que le président à promis à la cantonade  la lune pour se faire élire, et que son électorat l'a cru. Il ne doit pas s'étonner à présent des réactions de sa propre base. Le jeu des promesses non tenables est annonciateur de conflits sociaux futurs qui seront très vifs. 

Olivier Rouquan : Le risque de diminuer les prestations sociales et les salaires de la fonction publique dans un pays où les fonctionnaires composent 20% de la population active, et où l'Etat providence permet de ramener les inégalités de revenus de 40%, entre les10% des ménages les plus modestes et les 10 % les plus aisés,est en effet de restreindre le pouvoir d'achat et de conduire à une baisse de la consommation, déjà atone.

La classe moyenne (revenus qui se situent entre les 30 % les plus démunis et les 20 % les mieux rémunérés soit 50 % de la population) a déjà subi une diminution du pouvoir d'achat et certaines études indiquent que le coût des réformes depuis 2010 (imposition) repose trop sur ces tranches.

La baisse de cotisations sociales sur les bas salaires et le maintien du SMIC devraient néanmoins garantir un niveau de pouvoir d'achat. La croissance sera cependant relancée si les mesures relatives à la compétitivité ont des effets (baisse du coût du travail, positionnement agressif sur les marchés mondiaux, innovation, etc.). La restructuration du marché de l'emploi (flexisécurité, formation) devrait accompagner un redémarrage de l'économie. Reste que les entreprises n'investissent pas assez. Le pacte de responsabilité doit impliquer les entrepreneurs et inclure des engagements à renouveler les équipements et aussi le personnel : contrat de génération ou pas, il faut diminuer le chômage pour conserver un niveau correct de consommation et regagner des parts de marché. Le complément de la relance de la croissance et de la compétitivité est la création d'emplois marchands. Les entreprises ont en la matière un pouvoir bien plus important que l'Etat.

L'Etat produira le principal effort selon l'annonce de Manuel Valls. Quel autre levier peut-il utiliser outre le gel du point des fonctionnaires pour atteindre det objectif ambitieux ?

Jean-Michel Rocchi : En fait on va faire des économies après avoir gaspillé pendant deux ans, bref on aura fait du sur place. Il est frappant de constater le timing 2012 - 2014 avec un départ des ministres verts et l'arrivée de Vals avec celui du cycle 1981-1983  et l'arrivée de Delors coïncidant avec le départ des ministres communistes. Pour reprendre la célèbre formule de Kark Marx "l'histoire ne se répète pas elle bégaie" . Le PS a visiblement la mémoire courte, "errare humanum est perseverare diabolicum". On aurait pu nous éviter de perdre deux ans. Tout ça pour ça !

Olivier Rouquan : Depuis la RGPP et même en fait avant de façon expérimentale, les services publics sont entrés dans l'ère de la recherche de performance, c'est à dire de l'évaluation et de la rationalisation des moyens d'agir. Le Premier ministre a ainsi rappelé qu'il faut mutualiser la gestion (il existe une Service des Achats de l'Etat qui doit désormais inclure les opérateurs), réorganiser (notamment fusionner certaines agences de l'Etat, parfois en supprimer car il y a en a au minimum 536 pour un coût d'environ 50 Mds€). De ce point de vue la Modernisation de l'Action Publique (MAP) continue et de proche en proche, la dépense publique est stabilisée ou dans le meilleur des cas, baisse. L'accent va être mis sur les agences et sur la baisse des interventions

L'Education nationale, l'un des plus gros budget de l'Etat, et la sécurité continueront d'être préservés. Ne pas faire contribuer ces postes de dépenses ne condamne-t-il pas tout plan d'économie à n'avoir que peu d'impact ? Ce choix est-il politique ?

Jean-Michel Rocchi : Il n'existe pas de neutralité, tous les commentaires sont situés, le mien comme celui des technocrates qui défendent leurs intérêts catégoriels présentés au public comme étant ceux de l'intérêt général.

En tant que libéral (un homme de gauche au XIXe siècle et un gros mot dans la France d'aujourd'hui!) je ne peut que constater que le PS de fait revient à ce que l'on appelle l'Etat de type Dupont - White c'est à dire qu'ils ont pour simplifier, sanctuarisé les dépenses régaliennes (police, justice et armée) ainsi que l'éducation. En tant que libéral je ne peut qu'adhérer. Le président s'est qualifié de social libéral nous sommes mêmes passés au libéral social. On peut aussi faire le lien avec la théorie du capital humain du prix nobel d'économie Gary Becker (la aussi un libéral) lequel montre que les dépenses d'éducation sont un investissement et non une charge. Il suffit de regarder les taux de chômage respectifs des gens qualifiés et non qualifiés pour se dire qu'il a de toute évidence raison. Par ailleurs la France qui s'est orientée il y a quelques années vers une économie de services s'est condamnée à de lourds investissements d'éducation.

La ou je suis plus critique (et je partage en cela le point de vue d'un Claude Allègre qui voulait en son temps s'occuper de "dégraisser le Mammouth") s'est sur le qualitatif. Au nom des avantages acquis de veilles filières de types arts plastiques (entre autres) sont des usines à chômeurs et à l'inverse contrairement aux Etats-Unis on n'enseigne pas les langages informatiques à l'école.

Il faudra avoir un débat tôt ou tard sur l'équilibre difficile à trouver entre la formation de citoyens et de gens employables par les entreprises. Ce débat se retrouvera y compris dans les universités : il y a celles qui sont déjà à l'écoute des entreprises et celles ou l'on se fait encore plaisir (cela débouche souvent pour l'essentiel sur de véritables usines à chômeurs). Schumpeter décrivait l'économie comme un processus de "destructions créatrices" il faut fermer des filières sans débouchés pour ouvrir celles d'avenir, là encore on va se heurter au conservatisme des avantages acquis alors que pourtant qu'un redéploiement rapide et énergique est indispensable. L'éducation nationale ressemble au clergé d'avant 1789. Le primaire c'est le monde du bas clergé celui des révolutionnaires et il vote communiste, trotskyste (LO ou LCR) et plus marginalement FN ou verts. Le secondaire est le fonds de commerce quasi exclusif du PS mais déçu il opère un virage UMP et centriste. Le supérieur c'est un peu le haut clergé, il est plus partagé de manière assez équilibrée entre la droite et la gauche modérée et les extrêmes y sont souvent sous représentés voire marginalisés.

Olivier Rouquan : L'éducation nationale souffre d'un manque de personnel, d'autant que le niveau baisse ! Ce service public a été déstructuré. Le choix est politique au sens plein du terme. Quant à la police, elle nécessité dans notre société individualiste plus de moyens, parce que le lien social se fait de moins en moins dans le dialogue et la pacification (ndlr. le taux des incivilités). Le choix est politique.

Pour mieux gérer, il faut combattre les rigidités, par exemple celles qui viennent des modes de recrutement et de promotion des fonctionnaires. Les corps ne sont pas encore assez fusionnés, y compris dans l'enseignement supérieur, ce qui génère des surcoûts et de la complexité managériale. A quoi rime aujourd'hui d'avoir des professeurs agrégés, des maîtres de conférences ou PEGC, des vacataires, des auxiliaires ? Etc.
Des distinctions archaïques entre des personnels qui font le même métier n'ont plus lieu d'être, mais sont maintenues par corporatisme; elles créent du mal être, des jalousies, de la démotivation et empêchent des revalorisations équitables. Donc au total, la MAP doit accélérer la fusion des corps pour remobiliser les agents, dans l'éducation nationale comme ailleurs, définir des avancements au résultat et moins à l'ancienneté. Le fonctionnement actuel des fonctions publiques n'est plus en adéquation avec les aspirations des moins de 50 ans.

Par ailleurs, rappelons que les collectivités locales dépensent aujourd'hui autant que l'Etat central (si l'on neutralise les transferts) ; le bloc communal (communes et intercommunalités) emploie 75% des effectifs de la fonction publique territoriale : en dix ans, ses effectifs ont augmenté de 260 000 emplois contre 200 000 aux niveaux régionaux et départementaux (2000-2010). Il faut donc sans doute s'attendre à une pression pour que le bloc communal change sa gestion de la masse salariale, comme l'Etat l'a fait depuis 2007. Même si le Premier ministre n'a pas précisé ce point, il sera débattu.

Entre les fonctionnaires et les retraités, le gouvernement prend des mesures défavorables à des dizaines de millions de Français, dont une bonne partie compose de son électorat. Cette décision n'est-elle pas une bombe politique pour le gouvernement ? Comment pourra-t-il gérer cette contradiction ?

Jean-Michel Rocchi : Le système de la répartition est un mauvais système (c'est une pyramide de Ponzi initiée par le secteur public) en faillite et dès lors on replâtrera sans arrêt. Comme il n'existe pas de bonne solution à un mauvais système, il faudra obligatoirement mettre à contribution tous les bénéficiaires y compris les fonctionnaires qui constituent pourtant le fonds de commerce du PS, même s'il s'étiole déjà.

Olivier Rouquan : Le résultat des municipales et les courbes de popularité semblent vous donner raison. Le chef de l'Etat avait dit le 14 janvier : "je suis patriote", et il nomme un gouvernement de "combat". Sans en avoir forcément le style et contrairement parfois aux apparences, il y a de la constance dans la stratégie présidentielle, vouée à restaurer la crédibilité économique de la France, sans pour autant provoquer des cassures sociales irréparables.

Mais du fait de la gravité de la crise, rien ne dit que le grand écart puisse être tenu. La chute de la gauche auprès des électorats dits populaires remonte aux années 90 voire avant. Elle nourrit depuis en partie une montée des votes protestataires, tantôt plus à l'extrême droite, tantôt un peu à l'extrême gauche; elle nourrit surtout la délégitimation du pouvoir politique. Les catégories C voire B de fonctionnaires sont concernées. En 2002, le vote enseignant (professeur des écoles et PEGC) s'était en partie porté sur les candidatures Besancenot ou Chevènement... Dans les années à venir, rien ne dit que le phénomène ne s'aggrave pas encore, sauf résultats obtenus sur le front du chômage et de la compétitivité. Et encore: se souvenir de 2002.

Manuel Valls a confirmé qu'il ne toucherait pas au Smic. Une vraie politique de retour à la croissance peut-elle s'exonérer de la question du coût du travail des emplois les moins qualifiés ?

Jean-Michel Rocchi : Le niveau du Smic est un déterminant important du taux de chômage en matière d'emplois non qualifiés mais qui est prêt à entendre cette vérité dérangeante en France. Une solution serait un Smic plus bas et de faciliter le système des doubles emplois pour assurer des revenus suffisants aux individus. C'est ancré dans la culture anglo-saxonne mais pas en France.

Dans l'hexagone il est plus valorisant d'aller demander des aides à l'Etat plutôt que d'occuper deux emplois, ne nous étonnons pas de notre taux de chômage comparé à celui des Etats-Unis. On préfère continuer à croire à la fable d'un Etat infaillible, neutre, omniscient et qui peut tout, le réveil commence à être douloureux, le pire est peut être à venir. La suppression de l'allègement fiscal sur les heures supplémentaires était anti-économique et politiquement de l'anti-sarkosysme primaire, il est probable qu'électoralement cela a coûté cher au PS. Le PS devrait songer à revenir sur cette décision malencontreuse, il n'est jamais trop tard pour réparer une erreur qui a surtout frappé la "France d'en bas" pour reprendre une formule du passé. 

Olivier Rouquan : Des mesures déjà évoquées ont été annoncées en la matière: le coût du travail commence à diminuer (CICE), les cotisations vont diminuer pour les bas salaires. L'enjeu doit maintenant être les contreparties : les entrepreneurs doivent s'engager pour l'emploi. Leur responsabilité est majeure dans ce moment historique: il s'agit aussi de leur point de vue, de donner confiance en l'économie de marché, en la mondialisation. Si les entrepreneurs n'embauchent pas et n'investissent pas, toute une partie des Français va se recroqueviller dans le rejet du système économique dominant. Les leaders économiques sont coresponsable du contrat social en train de se dessiner.

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