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5 décembre : la première bataille remportée, les syndicats peuvent-ils gagner la guerre ?
©Thomas SAMSON / AFP

Jeudi noir

La journée du jeudi 5 décembre a été marquée par une forte mobilisation. Selon le ministère de l'Intérieur, 806.000 personnes ont manifesté lors de cette journée de protestation contre la réforme des retraites.

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico.fr : Selon le ministère de l'Intérieur, 806.000 personnes ont manifesté ce jeudi dans toute la France, la CGT fait quant à elle état de 1.5 millions de manifestants. Si l'on s'attendait à une mobilisation importante, ces chiffres ne dépassent-ils pas les prévisions ? Que penser d'une aussi forte mobilisation au premier jour du mouvement social ? 

Sylvain Boulouque : Effectivement, ce jeudi 5 décembre la mobilisation était très forte et dépassait les espérances des différentes centrales syndicales. On retiendra notamment la mobilisation très forte dans les villes de petite et de moyenne taille.A titre de comparaison, il y a avait hier trois fois plus de manifestants dans les rues qu'au plus fort du mouvement des Gilets jaunes. Ceci montre donc qu'il y a un mécontentement relativement fort dans l'ensemble de la population et un vrai soutien à la contestation syndicale alors même que le projet de réforme des retraites du gouvernement n'a pas été révélé dans sa version finale. On peut donc parler d'un réel succès.

Il est toujours difficile de se prononcer sur le début d'un mouvement et sur son évolution possible. Est-ce que c'est d’emblée la maximum qui est atteint ou est-ce que le mouvement peut gagner en ampleur ? Il est encore trop tôt pour trancher, cela dépendra du travail des organisations syndicales et du projet de loi et de l'attitude qu'adoptera le gouvernement. On ne sait pas encore ce qu'il adviendra, mais au premier jour c'est vraisemblablement un succès pour les syndicats.

Ce succès montre également qu'il y a une mobilisation qui s'est faite par les vecteurs syndicaux traditionnels et donc par les corps intermédiaires. On ne peut pas encore parler de victoire des corps intermédiaires mais les syndicats sont à nouveau mis-en-lumière. Dès lors, cela démontre que les syndicats ne sont pas condamnés tel qu'on pouvait le dire et le penser jusqu'alors au vu du désintérêt de la population pour les corps intermédiaires. C'est extrêmement important dans la mesure aussi où toutes les mouvances syndicales -la CFDT par exemple- n'appelaient pas à  la grève. Ainsi, si les négociations avec le gouvernement n’aboutissaient pas et dans la mesure où tous les syndicalistes ne se sont pas mobilisés, le mouvement pourrait donc prendre davantage d'ampleur. 

Comme lors des manifestations des Gilets jaunes, les black blocks et les émeutiers étaient présents au sein des cortèges ce vendredi, 87 arrestations ont été relevées à Paris. Le monument de la République a par exemple été tagué, que penser de ces débordements, sont-ils désormais le fait commun de toute manifestation ? Jean-Luc Mélenchon a aussi pointé du doigt la réponse des forces de l'ordre, note-t-on également ce jeudi des débordements du côté de la police ? 

La tradition émeutière avait quasiment disparue en France entre les années 1980 et 2000, avant de revenir en force avec la loi El Khomri (loi travail) et davantage encore avec le mouvement des Gilets jaunes. Il y a de fortes chances que cette tendance progresse dans les mois et années à venir. Il y a donc de fortes chances que ces émeutiers soient présents de manifestations en manifestations d'autant plus, que si l'on regarde les chiffres -3000 gardes à vue et 2000 condamnations- ils ne semblent pas avoir peur de la justice. Si les menaces judiciaires ne les arrêtent pas, il y a donc fort à parier que le mouvement émeutier enfle. Cette tendance doit également être mise en parallèle avec le fait que 20% de la population est favorable ou du moins n'est pas opposée à l'usage de la violence dans les mouvements sociaux. Ceci ne veut bien sûr pas dire que 20% de la population usera de la violence, simplement que ce soutien aux émeutiers est réel.

Parallèlement, il y a une tendance de plus en importante de la part des forces de l'ordre à se montrer violentes. Il y a des interventions policières qui sont de plus en plus violentes dans les manifestations. Il y a même certains cas -à Nantes ce jeudi par exemple alors que les manifestants ne faisaient que danser- dans lesquels la police intervient et charge sur les manifestants sans aucune raison apparente. Il y a donc aussi de la part de la police une tendance à être beaucoup plus répressive et violente dans ses réactions ce qui dans certains cas entraîne la réponse des manifestants. Dans ce cas précis, Mélenchon constate une réalité : toute personne qui regarde les manifestations peut observer une montée des "violences" policières. La dégradation des rapports sociaux -ici entre manifestants et police- entraînent des réactions violentes de part et d'autres. La police, par exemple, réagi de plus en plus rapidement au moindre débordement même le plus petit. 

Cette tactique policière et gouvernementale -puisque cette stratégie émane du ministère de l'Intérieur- n'est pas nouvelle. On peut dresser une comparaison avec tentation insurrectionnelle des années 1920 et la réponse assez similaire du gouvernement Clémenceau. Bien que les tactiques étaient différentes et le seuil de violence ait été bien supérieur à l'époque, la stratégie était quelque part la même : mater les tentations insurrectionnelles par une réponse forte des forces de l'ordre.

Ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est que d'un côté la société est bien moins violente -on n'est pas dans le même rapport à la violence que dans les année 20, par exemple- et pourtant le rapport à la violence est plus important, de part et d'autre, qu'il ne l'était il y a une vingtaine d'années. Et ce phénomène n'est pas restreint à la France il se constate aux quatre coins du monde.

Si le parallèle a été dressé à plusieurs reprises, à la suite de la forte mobilisation de ce jeudi et notamment à la grève d'ores et déjà reconduite par la RATP, doit -on s'attendre à un mouvement aussi soutenu et durable qu'en 1995 ? 

Le départ du mouvement est plus important qu'en 1995, mais il faut également prendre en compte les 15 jours de préparation dont ont disposé les syndicats cette fois-ci. En effet, la grève a été annoncée 15 jours à l'avance et les médias en ont beaucoup parlé, or en 1995 il n'y avait pas eu ce laps de temps de préparation. Il faut également prendre en compte le fait qu'il n'y pas eu, depuis 1995, de victoires ou de résultats positifs pour les syndicats. Cela peut également traduire, dans le cas présent, une volonté d'aller jusqu'au bout. Pour l'heure on est dans une configuration similaire à  celle de 1995, l'opinion est plutôt favorable au mouvement mais on ne sait pas encore ce qui adviendra dans les jours qui viennent. 

C'est toujours difficile de savoir si le mouvement tiendra sur la durée. En 1995, le mouvement avait duré parce que le gouvernement avait tardé à répondre. Mais 1995 est un contre-modèle, aujourd'hui on ne sait pas quelle stratégie le pouvoir en place choisira d'adopter. Pour l'heure, on sait que jusqu'à lundi prochain la situation restera bloquée, mais il est impossible de se prononcer sur l'après lundi. 

Il est difficile de se prononcer sur la question, est-ce que le mouvement ira crescendo ou restera-t-il stable ? On ne sait pas. Ce que l'on peut dire, c'est que si le gouvernement cède face à la contestation il risque de perdre sa base qui retournera vers Les Républicains. A contrario, s'il ne cède pas on ne sait absolument pas quelle tournure le mouvement peut prendre.

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