4 ans pour une révolution : comment Boris Johnson a transformé radicalement le Royaume-Uni<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
4 ans pour une révolution : comment Boris Johnson a transformé radicalement le Royaume-Uni
©Ben STANSALL / AFP

"Get Brexit Done"

Boris Johnson vient de remporter un "succès historique" lors des élections législatives au Royaume-Uni. Le Premier ministre britannique va pouvoir mener à bien le projet du Brexit dans les semaines et les mois à venir.

Joe Greenwood

Joe Greenwood

Joe Greenwood est chercheur à la London School of Economics. Il a rejoint cette institution après avoir travaillé pour Yougov, plusieurs instituts de sondage, et avoir complété un doctorat à l'université d'Essex. Il s'intéresse au comportement politique et ses recherches se focalisent sur la participation électorale, les privilèges et perceptions politiques dans le contexte britannique. Outre ses approches quantitatives, il est aussi intéressé par des approches qualitatives et des méthodes hybrides, il a ainsi conduit plusieurs interviews, entretiens et focus group avec des députés, des activistes, et des citoyens. 

Voir la bio »
Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

Voir la bio »

Atlantico.fr : Quel a été le rôle de Boris Johnson dans le référendum sur le maintien du Royaume-Uni comme membre de l'Union européenne ? Comment a-t-il soutenu le Brexit ? 

Joe Greenwood : Le rôle de Boris Johnson dans la campagne en faveur d'un départ du Royaume-Uni de l'Union européenne était importante ; il a été un des hommes politiques les plus connus, si ce n'est le plus connu, à soutenir ouvertement le "leave".  Il était alors, comme il l'est encore aujourd'hui, apprécié par beaucoup dans le corps électoral, donc son soutien officiel pour le Brexit est susceptible d'avoir fait gagner des appuis supplémentaires pour cette option. Il a activement fait campagne pour le "Leave", à la vieille du référendum, et a été donc fortement associé avec la fameuse et imprécise revendication que le départ de l'Union européenne permettrait d'économiser 350 millions de livres par semaine (ce qu'il soutient encore). Il y a ceux qui soupçonnent que son soutien en faveur du "Leave" ait été motivé car cela pouvait alors bénéficier à sa carrière ; mais d'autres considèrent que sa position est sincère. II a maintenu une position forte et pro-Brexit depuis le référendum, et cela est apparu comme lui bénéficiant dans l'élection générale de ce jeudi.  

Chloé Morin : Dès le début de la campagne pour le Brexit, de nombreux commentateurs ont vu le choix de Boris Johnson comme purement opportuniste : ce pari risqué était à leurs yeux un simple choix de carrière en vue de se positionner dans la guerre de succession à Theresa May, et n’aurait strictement rien eu à voir avec les valeurs et convictions de l’intéressé (si tant est, selon certain, qu’il en ait jamais eu…). De ce point de vue, il s’est révélé un formidable stratège politique, car bien peu pariaient sur une victoire du Brexit à l'orée de la campagne de 2016…

De fait, depuis cette campagne pour le Brexit, Boris Johnson incarne à sa manière un paradoxe : par son parcours, par sa famille et son éducation à Eton, il fait pleinement partie de l’élite à laquelle ont appartenu la plupart des leaders conservateurs depuis des décennies. Mais par son style, qu’il a notamment affirmé à partir de 2016, il passe pour une figure atypique, changeante, opportuniste, clownesque parfois au risque souvent de ne pas être pris au sérieux. Il y a quelques jours encore, on le voyait chausser des gants de boxe pour illustrer sa détermination à mener à bien le Brexit, ou échapper à des journalistes en se cachant dans un congélateur… 

Il n’a pas reculé devant un certain nombre de « faits alternatifs », pour reprendre les mots de Donald Trump, dans sa campagne pour le Brexit : le plus connu fut le slogan, démenti par les faits mais maintes fois répété par Johnson, selon lequel l’Europe priverait le système de santé britannique de ressources conséquentes. Il a également répété maintes fois des idées telles que le fait que l’UE empêcherait le Royaume uni de vendre les bananes par lot de plus de 2 ou 3, ou de vendre les bananes « anormalement » tordues… 

Cette tendance à prendre ses distances avec le réel, surfant ainsi sur des erreurs de perception répandues  se confirme aujourd’hui : il y a quelques jours, le Mirror publiait un article recensant « 60 mensonges » de Boris Johnson, parmi lesquels l’idée que chaque fois que le Brexit était reporté d’un mois, cela coûtait 1 milliard au Royaume Uni, ou le fait que la dépense publique pour le système de santé n’a jamais été autant revalorisée que sous le mandat des conservateurs. Celui qui fut renvoyé de son poste en 2004 par le leader conservateur de son parti Michael Howard pour avoir menti sur une relation extra-conjugale a toujours nié avoir jamais pris des libertés avec la vérité. Et il faut avouer que ce rapport assez étrange qu’il entretient avec le réel lui réussit, puisque les électeurs ne lui en ont pas tenu rigueur lors du scrutin de cette semaine… même si, à l’orée de l’élection, il n’était pas plus populaire, dans l’absolu, que Theresa May juste avant sa démission. Dominer ses concurrents de la tête et des épaules, de ce point de vue, lui a suffi. 

Certes, le choix du « Brexit » est sans doute un des actes lourds de Johnson, un choix décisif pour sa carrière. Mais au delà des valeurs, propositions, ou de la vision défendue par ce personnage, qui ont considérablement varié au cours de sa carrière, c’est donc bien le « style » de « BoJo » qui est remarquable. Assez nombreux furent les responsables publics à faire campagne pour le Brexit, mais bien peu surent se faire remarquer comme il le fit… et en tirer un capital politique semblable au sien, que nulle pitrerie, nulle distorsion de la réalité, ou nul revirement ne semblent véritablement entamer. En quelques sortes, il défie les lois de la gravité politique, à la manière de certaines figures - Trump, par exemple - politiques qui semblent de plus en plus nombreuses dans la nouvelle ère politique dans laquelle nous sommes entrés depuis quelques années.

Sous le gouvernement de Theresa May, quel fut son rôle ? A-t-il réussi à changer le positionnement politique des conservateurs ?

Joe Greenwood : L'interprétation dominante est que Boris Johnson était un piètre ministre des affaires étrangères pendant son sa participation au gouvernement de Theresa May ; cela principalement en raison de son incapacité fréquente à faire preuve de tact et à user d'un langage approprié dans les rencontres avec les dignitaires étrangers, ou lorsqu'il visitait des pays étrangers. Sa démission de son cabinet, puis ses critiques de l'approche portée par Theresa May vis-à-vis du Brexit n'ont pas été décisive sur le moment, mais il a depuis l'extérieur du gouvernement rendu plus difficile le travail de la première ministre, et a par conséquent a contribué à sa chute dans le long terme. Le rôle qu'il a joué dans ce processus a renforcé la position pro-Bexit à l'intérieur du parti conservateur, ce qu'il a encore plus affermi depuis sa prise de fonction en tant que premier ministre, et pendant la campagne pour les élections générales. 

Chloé Morin : Johnson fut longtemps considéré comme un trublion, qui ne cachait pas ses ambitions primo-ministérielles. Il n’a donc nullement facilité la tâche d’une May qui peinait à tenir sa majorité, et à réconcilier les « hard Brexiters » et les partisans d’une ligne plus conciliante avec l’UE dans sa propre majorité. 

S’agissant du positionnement politique des conservateurs, il faut bien mesurer que la personnalité des leaders politiques compte de plus en plus, y compris dans un système parlementaire comme le système britannique. Quand on mesure la popularité des partis, le Labour et le parti conservateurs font en effet plus ou moins jeu égal. Pourtant, le différentiel de popularité entre Corbyn (leader du Labour) et Johnson (leader des conservateurs), est très élevé.

De même, la marque imprimée par Johnson sur son parti depuis son accession au pouvoir a été assez considérable et romp avec l’héritage de ses prédécesseurs sur certains points clé : par son style, évoqué plus haut, mais aussi par ses choix politiques, il tranche avec une Theresa May jugée sérieuse, rigide, au risque de paraître insensible - on se souvient les critiques virulentes dont ses choix fiscaux sur les soins aux personnes âgées furent l'objet, ses opposants l’ayant baptisée « death tax ». Boris Johnson n’a pas adopté la ligne de rigueur budgétaire qui était celle d’un Cameron ou d’une May. Il a fait passer l’économie, pourtant traditionnellement domaine où les conservateurs sont crédités par l’opinion davantage que les travaillistes, au second plan par rapport au sujet de la souveraineté. Surtout, il a fait preuve d’une discipline de message - « get Brexit done » était son mantra - qui tranchait nettement avec la dispersion de son opposant principal. En effet, Jeremy Corbyn a fait campagne sur la base d’un message ambigu sur le Brexit (renégocier, puis revoter?), et d’un catalogue de proposition si fourni qu’il en est devenu impossible à mémoriser : gratuité de l’université, vote à 16 ans, nationalisations massives, gratuité des soins pour les personnes âgées dépendantes, etc… Aujourd’hui, le positionnement politique des conservateurs paraît relativement clair, leur mission est connue, alors que celui du Labour paraît beaucoup plus flou.

Tant au niveau de sa personnalité que de ses méthodes, comment Boris Johnson a-t-il affecté et modifié l'idéologie du parti conservateur ? 

Joe Greenwood : Une part importante de l'effet produit par Boris Johnson sur la vie politique britannique est lié à son conseiller Dominic Cummings. Le slogan de campagne des conservateurs, "Get Brexit Done" (Faire le Brexit) rappelle le "Take Back Control" (reprenez le contrôle) qui était le slogan de campagne du "Leave" (que Monsieur Cummings dirigeait), et est symbolique du succès de la campagne conservatrice. C'était un slogan particulièrement bon parce qu'il pouvait parler à la fois aux votants préoccupés par le Brexit et les votants qui veulent passer à autre chose et ont des intérêts pour d'autres politiques publiques – ou sont simplement fatigués du processus du Brexit. Pour revenir à Johnson lui-même, il est plutôt populaire chez beaucoup de votants du fait de son image de franc-tireur qui dit ce qui doit être honnête (selon leurs points de vue), sans considération pour ce qui est politiquement correct. En effet, beaucoup dans l'électorat l'aime lui et son caractère, sans forcément lui faire confiance, et ils le préfèrent sans doute par défaut par rapport aux principales alternatives, comme Corbyn. Comme tel, son influence sur la campagne est qu'il est apparu comme le moins formaté et le plus décomplexé (même si en vérité, il était fortement managé en coulisse) ; dans le jeu de la campagne cela pu séduire plusieurs votants. De plus, son charisme lui permet de faire accepter à ses électeurs des positions politiques qu'ils n'auraient pas forcément acceptées d'autres hommes politiques. Par exemple, à l'exception de sa position sur l'Irlande du Nord, la proposition de Boris Johnson pour l'accord de Brexit est plutôt similaire à celui de Theresa May, mais il est maintenant en bonne voie pour le faire passer dans ce parlement nouvellement élu. C'est l'affaire d'une même pilule administrée par un docteur différent. 

Chloé Morin : On s’attache souvent à souligner le style, dont je viens de montrer qu’il était atypique, mais il a également introduit des changements sur le plan des politiques. 

D’une part, en tranchant un noeud qui embarrassait et divisait son parti depuis des années : l’Europe. L’essor du parti euro sceptique UKIP, qui a reçu 16% des voix aux élections européennes de 2004, et jusqu’à 26,6% en 2014, a contribué à mettre la pression sur les conservateurs, sommés de sortir d’une forme d’ambiguïté consistant à critiquer l’Europe, mais de l’intérieur. Mais Cameron, qui avait proposé le référendum, n’avait pas pour autant fait campagne pour la sortie de l’Union. May s’était trouvée dans la position de plaider pour l’accord arraché avec l’UE par son gouvernement, après avoir fait campagne pour la sortie en 2016. Aussi loin que l’on regarde, l’histoire du parti conservateur avec l'Europe a été compliquée. Leur tendance à trop se focaliser sur ce sujet lors de la campagne des élections générales de 2001 est d’ailleurs pour beaucoup rendue responsable de leur échec... Il semble donc que pour la première fois depuis longtemps, la position du parti conservateur sur le sujet européen soit nette et simple. 

D’autre part, bien qu’il n’ait pas beaucoup dévié du sujet européen lors de sa campagne, il semble que les options de Johnson en terme de politique intérieure soient quelque peu distinctes de celles de ses prédécesseurs. J’évoquais le sujet de « l’austérité », à laquelle ses prédécesseurs s’étaient identifiés (surtout depuis la crise de 2008), mais qui n’est plus du tout un élément central du discours de Johnson. Il sera intéressant de voir comment, dans les mois qui viennent et à mesure que le sujet du Brexit va éventuellement céder la place à d’autres débats de politique intérieure, Johnson opère ou non un aggiornamento du logiciel de son parti. Son style et sa plasticité idéologique semblent en tout cas indiquer qu’il pourrait faire opérer à son parti des virages stratégiques supplémentaires, si ceux-ci lui apparaissaient politiquement opportuns. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !