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20e anniversaire de la mort de Mitterrand : quand le machiavélisme de l’élève Hollande dépasse celui du maître
©Reuters

Le Prince ?

Vendredi 8 janvier, François Hollande participera aux cérémonies du 20 anniversaire de la disparition de François Mitterrand à Jarnac. Un pèlerinage qui rapproche les deux derniers Présidents de la République, l'actuel, et l'ancien. Et ce parallèle n'est pas anodin. Mitterrand n'est sans doute pas le modèle de Hollande, et pour cause, il l'a dépassé dans au moins un domaine : le machiavélisme.

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou

Georges-Marc Benamou est producteur de cinéma et journaliste. Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, il est notamment l'auteur de Comédie française: Choses vues au coeur du pouvoir (octobre 2014, Fayard), ainsi que de "Dites-leur que je ne suis pas le diable" (janvier 2016, Plon).

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Atlantico : On compare de plus en plus François Hollande à François Mitterrand. Mis à part le prénom qu'ils ont en commun, cette comparaison est-elle légitime à vos yeux ?

Georges-Marc Bénamou : Elle n'est pas illégitime dans la mesure où François Hollande est le premier président socialiste depuis François Mitterrand. Ce n'est effectivement pas le seul parallèle que l'on peut tracer. Mais il faut savoir qu'idéologiquement François Hollande était à la tête dans les années 1980 d'un mouvement, les transcourants, dont la spécificité était d'être les descendants à la fois de Jacques Delors et de François Mitterrand. Donc de par sa constitution, Hollande est un hybride de démocrate-chrétien et de socialiste. Ce n'est pas tout à fait le cas de François Mitterrand qui dans les années 1970 et 1980 s'inscrivait dans une stratégie d'Union de la gauche. François Hollande n'est pas un socialiste pur et dur, même si Mitterrand ne l'était pas non plus à l'origine. Ségolène Royal, elle, est beaucoup plus dans filiation mitterrandienne, à savoir tournée vers le terroir. D'ailleurs, sur le plan affectif, elle était restée très proche de Mitterrand. Ce n'est pas du tout le cas de François Hollande qui n'a jamais été son ministre. Il était proche de Jospin à la fin de la vie de Mitterrand et comme ce dernier ne supportait pas vraiment le futur candidat à la présidentielle de 2002, je ne pense pas qu'il s'intéressait beaucoup à François Hollande.

La deuxième divergence fondamentale tient au fait que Mitterrand était un président de septennat. Le quinquennat a changé beaucoup de paramètres. Il a affaibli le président. Et Mitterrand le savait. Lors de mon dernier entretien avec lui à l'Elysée, en mai 1995, il a cette réflexion que je publie dans mon livre (NDLR : "Dites-leur que je ne suis pas le diable" sorti le 7 janvier 2015, chez Plon ici) dans laquelle il explique pourquoi, sans mégalomanie, il est le dernier grand président. Après lui, le pouvoir s'est déplacé vers l'échelon européen avec une perte effective de souveraineté pour la France. La mondialisation a elle aussi dilué les prérogatives du président. Le quinquennat a provoqué quant à lui une forme de fragilisation du système de la Vème République dans la mesure où les parlements ont commencé à mener la vie dure à tous les présidents. Cet entretien était totalement visionnaire. Il décrit le calme plat de Chirac qui a servi de transition. Il décrit aussi les petits présidents qui lui ont succédé, que ce soit Sarkozy ou Hollande, comprenez des hommes d'Etat qui se singularisent par les difficultés qu'ils rencontrent lorsqu'ils tentent d'agir.

Quel est le destin de Hollande ? Est-ce d'être, comme le disait Mitterrand, un petit président ou de trouver lui-même son propre chemin ? C'est la question qui va se poser d'ici à 2017 et par la suite s'il est réélu.

Mitterrand et Hollande ont une autre différence. Le premier avait bâti une stratégie politique très solide qui était adaptée à son temps : la fusion de la gauche. Il ne portait pas les communistes dans son cœur mais cette alliance était nécessaire. François Hollande, lui, n'a pas réussi à créer d'union, ni avec les écologistes, ni avec ce qui reste du Parti communiste français. Donc quelle est la politique de Hollande ? La question est tout à fait légitime. La stratégie de Mitterrand était très claire. Elle était à gauche. Celle de François Hollande se situe dans l'ouverture au centre et dans la réinvention d'une sorte d'alliance entre la gauche et le centre.

Dans les entretiens avec Mitterrand que je publie, l'ancien Président de la République mettait en garde contre une telle stratégie. Il exhortait Henri Emmanuelli et Jack Lang en leur expliquant que la gauche c'était le parti des salariés et des ouvriers. Si elle oubliait cela, elle ne sera plus rien. Or la gauche d'aujourd'hui fonctionne selon les idées du club Terra Nova et consort. Elle a oublié le peuple. Elle pense qu'il faut faire alliance avec les banlieues et satisfaire les bobos. Ce ne sont pas les leçons que j'ai retenu de Mitterrand.  

En termes de stratégie politique, on peut voir à travers l'exemple du débat sur la déchéance de nationalité que Hollande n'a rien à envier à Mitterrand. L'élève a-t-il dépassé le maitre en termes de cynisme ?    

Je n'emploierai pas le terme de "cynisme" mais plutôt "machiavélisme". François Hollande a appris (et ce n'est pas compliqué lorsque l'on gère le Parti socialiste) à être cet homme lisse sur lequel tout coule. Mitterrand était un peu dans la même veine. Prendre les rênes du PS amène à apprendre ces jeux politiques byzantins; et donc le machiavélisme qui est l'art du politique.

Et vous avez raison, le meilleur exemple réside dans la façon, très mitterrandienne, avec laquelle il a étouffé Sarkozy et Les Républicains dans le Discours du Congrès et la gestion des évènements de novembre. Certes, il y a des bugs sur la déchéance de nationalité mais cette manière d'instaurer un dialogue direct entre lui et Marine Le Pen en passant par-dessus la tête de Sarkozy est assez machiavélienne et habile.

En quoi Hollande serait-il d'une certaine manière plus machiavélien que Mitterrand ? Le président actuel ne compte-t-il pas autant si ce n'est plus de victimes politiques à son actif que son prédécesseur ?

Je pense que Hollande a moins de boussole et de matrice politique que Mitterrand. L'époque aide beaucoup à cette évolution. Hollande n'a pas la colonne vertébrale idéologique et politique d'un Mitterrand. Il a étouffé Manuel Valls qui était tout de même bien plus fringuant sur le papier. On est dans la logique des institutions. Et Hollande en joue très bien dans sa manière d'asphyxier l'ancienne garde, celle de Fabius, mais aussi sa propre génération, celles des Moscovi et des Cambadélis, et même la nouvelle qui arrive, à savoir Emmanuel Macron et Manuel Valls. De ce point de vue-là c'est un grand fauve qui fait le vide sans trop le montrer.

Sur la question du charisme, il semble y avoir une vraie différence entre Mitterrand et Hollande : le premier était un homme politique qui inspirait la crainte, si ce n'est la peur, tandis que le second joue plutôt sur sa bonhommie et son apparence sympathique et inoffensive. N'est-ce pas là la plus grande différence entre les 2 présidents ?

Absolument, Mitterrand c'était aussi un personnage de roman. Il y a indiscutablement une différence de densité et en même temps une grande énigme Hollande. Qui est-il vraiment ? Quels sont ses sentiments ? On a vu que c'était un homme qui a du sang-froid mais on le connait peu. Mitterrand était curieusement plus dans la tradition des romantiques du XIXème siècle. Il a compris qu'il ne fallait pas être "normal" pour être président et que celui-ci avait besoin de circonstances particulières. Il faut être un homme qui parvienne à soulever l'enthousiasme et les masses populaires. Sur ce point, Hollande a encore du chemin à faire pour égaler le maitre Mitterrand.

Peut-on faire un rapprochement dans les mesures politiques prises entre Hollande et Mitterrand ?

J'ai l'impression que Mitterrand tenait 3 bouts quand Hollande n'en tient qu'un. L'ex-président tenait le social, les lois sociétales (cf : abrogation de la peine de mort) et les grandes décisions culturelles. C'est d'ailleurs cette fibre-là qui faisait que Mitterrand était vraiment à gauche. Aujourd'hui, de cette matrice il ne reste plus qu'un élément : le sociétale, avec le mariage pour tous. Il n'y a plus de grandes lois sociales ni d'engagement culturel, mis à part les quelques références que ses conseillers lui ont écrit sur un carnet qui sont de l'ordre du service minimum.

Sur le plan personnel, on a l'impression d'avoir à faire à deux grands séducteurs du sexe opposé. Peut-on à ce niveau-là dresser un parallèle ?

Peut-être même si Mitterrand était un peu plus discret. A l'époque il n'y avait presque pas de paparazzis, les réseaux sociaux et internet n'existaient pas encore. Closer non plus. Mitterrand avait quelque chose d'assez romanesque. Il représentait une forme de retour à la tradition du monarque républicain. On a l'impression de revivre les ambiances de cour très monarchiques avec la femme, la maitresse, la favorite (Sarkozy était d'ailleurs aussi dans ce schéma-là… sans être mitterrandien pour autant). Hollande et Mitterrand sont 2 monarques républicains qui usent ou ont usé de leur bon plaisir. 

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