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L’universitaire Francis Fukuyama lors d'une conférence.
L’universitaire Francis Fukuyama lors d'une conférence.
©Astrid Stawiarz / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Crises économiques

La fin de l’histoire et l’avènement d’un « nouvel ordre mondial », structuré autour de la puissance américaine, ne sont plus à l’ordre du jour en 2023.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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En 1989, peu avant la chute du mur de Berlin, l’universitaire Fukuyama publia un article devenu célèbre : « La fin de l’histoire ». Il y affirmait que la victoire de la démocratie libérale sur le totalitarisme serait définitive. Il estimait que la proposition libérale, incarnée en majesté par les États-Unis, s’était imposée comme l’idée régulatrice du monde contemporain.

Trente-cinq ans plus tard, le constat est bien différent. La fin de l’histoire et l’avènement d’un « nouvel ordre mondial », structuré autour de la puissance américaine, ne sont plus à l’ordre du jour. L’optimisme libéral des années 1990 a été de courte durée. L’architecture occidentale de la gouvernance internationale est contestée - le nombre de démocraties libérales a diminué et leur prestige a été écorné sur fond d’interventions militaires qui se sont soldées par des échecs (Afghanistan, Irak…) - et le modèle autoritaire, incarné notamment par la Chine et la Russie, constitue un défi pour elles.

Aujourd’hui, les observateurs décrivent à l’envi le « retour de l’Histoire ». Si l’élargissement des BRICS à six pays ne rime pas avec une solidarité étroite de ses membres, l’effet de contrepoids accru à l’ordre occidental est patent. La guerre en Europe orientale est aussi un révélateur de la perte relative d’influence occidentale. Aux marges de l’Eurasie, la déprise de l’Occident s’approfondit, au Moyen-Orient singulièrement (Turquie, Arabie Saoudite…) et, en Afrique, les dominos emblématiques de l’influence française tombent les uns après les autres.

Cette situation traduit bien l’évolution qu’a connue, ces dernières années, la société internationale. Les différentes crises sécuritaire (11 septembre 2001), économique et financière (subprimes) et sanitaire (pandémie du Covid-19) ont anéantis les espoirs nés de la chute du mur de Berlin. La confiance qui dominait les rapports internationaux a cédé la place à un climat de méfiance généralisée tandis que des clivages que l’on croyait disparus (opposition Est-Ouest, renaissance d’un « Sud global » hostile à toute domination occidentale…) se sont trouvés réactivés.

Ainsi, les fantômes du XIXème siècle et les rivalités multiples des puissances tendent à réapparaître. La guerre est revenue sur le continent européen et a repris au Moyen-Orient, les traités et négociations multilatérales sont en régression alors que les institutions universelles (Cf. Nations Unies) semblent hors-jeu. À cet avenir du passé s’ajoutent des défis nouveaux qui transcendent les sociétés, bien démunies pour y faire face : inégalités sociales, migrations internationales, dérèglement climatique, régulation des nouvelles technologies… Sans doute n’a-t-il jamais existé un ordre international stable, mais pouvait-on, au moins, se référer à des modèles (principe de l’équilibre, de la sécurité collective, de dissuasion nucléaire…).

Dans ce contexte, la place de l’Europe dans ce monde qui se profile, reste en suspens. Elle, qui ambitionnait au sommet de Lisbonne de « devenir, dans la décennie 2000, l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », décroche par rapport aux Etats-Unis. L’écart de PIB est désormais de 60% entre les deux rives de l’Atlantique alors qu’il était nul au tournant du siècle. Et même si cet indicateur montre des limites, n’est-il pas l’emblème d’un fossé aggravé, sinon paradoxal : d’un côté, une véritable économie de la connaissance et de l’innovation (« Seven Magnificient » : GAFAM, Tesla et Nvidia) de l’autre, une économie qui produit surtout des normes (RGPD, AI Act) voire reste enkystée dans certains dogmes (concurrence libre et non faussée) ?

Le découplage entre cette prospérité européenne, assise naguère sur l’énergie fossile russe bon marché et sur le commerce à bas coût avec la Chine, et sa sécurité, « déléguée » aux Etats-Unis et à leur effort de défense, est devenu intenable avec la nouvelle donne géopolitique. Son erreur n’a-t-elle pas été d’occulter l’ordre des priorités, entre capacité à s’inscrire dans les rapports de puissance, de manière autonome et responsable, et développement de sa prospérité ?

La France, pour sa part, semble être écartelée entre son ambition de rester influente face aux changements du monde en portant une voix singulière sur l’échiquier international, les exigences renchéries de la solidarité occidentale et les limites de son économie et de sa cohésion interne.

La planète est « fracturée ». La mondialisation recule et le monde se cloisonne. Un monde parcouru de crises multiples voire additionnées. Un monde en transitions multiples, aux ondes de choc entremêlées : numérique, écologique, démographique, géopolitique… Un monde où les involutions nationalistes et souverainistes s’approfondissent, sur fond d’exigences croissantes de régulations planétaires. Est-il entré dans un « entre-deux gramscien » ?

Les « vieilles » démocraties libérales sont-elles capables de faire face aux défis de l’heure, qu’ils soient (géo)politiques, économiques ou technologiques ? Si elles ne veulent pas disparaître, elles doivent défendre leur modèle tout en renonçant à l’exporter.

Pour faire face au monde qui est et qui vient, il parait plus que jamais nécessaire de conjuguer volonté et intelligence et d’adopter une véritable démarche lucide et éclairée.

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