2023, l’année du retour du spectre d’une guerre mondiale <!-- --> | Atlantico.fr
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La menace d'une guerre entre la Chine, la Russie et les Etats-Unis a plané en cette année 2023.
La menace d'une guerre entre la Chine, la Russie et les Etats-Unis a plané en cette année 2023.
©DOMINIQUE JACOVIDES / POOL / AFP-DOUG MILLS / THE NEW YORK TIMES-REDUX-REA

Bruit des bottes

La menace d’un conflit mondial, déclenché par la Chine et la Russie (un tandem plus qu’hostile aux valeurs occidentales), a plané en cette année 2023.

Franck DeCloquement

Franck DeCloquement

Ancien de l’Ecole de Guerre Economique (EGE), Franck DeCloquement est expert-praticien en intelligence économique et stratégique (IES), et membre du conseil scientifique de l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée - EGA. Il intervient comme conseil en appui aux directions d'entreprises implantées en France et à l'international, dans des environnements concurrentiels et complexes. Membre du CEPS, de la CyberTaskforce et du Cercle K2, il est aussi spécialiste des problématiques ayant trait à l'impact des nouvelles technologies et du cyber, sur les écosystèmes économique et sociaux. Mais également, sur la prégnance des conflits géoéconomiques et des ingérences extérieures déstabilisantes sur les Etats européens. Professeur à l'IRIS (l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques), il y enseigne l'intelligence économique, les stratégies d’influence, ainsi que l'impact des ingérences malveillantes et des actions d’espionnage dans la sphère économique. Il enseigne également à l'IHEMI (L'institut des Hautes Etudes du Ministère de l'Intérieur) et à l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale), les actions d'influence et de contre-ingérence, les stratégies d'attaques subversives adverses contre les entreprises, au sein des prestigieux cycles de formation en Intelligence Stratégique de ces deux instituts. Il a également enseigné la Géopolitique des Médias et de l'internet à l’IFP (Institut Française de Presse) de l’université Paris 2 Panthéon-Assas, pour le Master recherche « Médias et Mondialisation ». Franck DeCloquement est le coauteur du « Petit traité d’attaques subversives contre les entreprises - Théorie et pratique de la contre ingérence économique », paru chez CHIRON. Egalement l'auteur du chapitre cinq sur « la protection de l'information en ligne » d u « Manuel d'intelligence économique » paru en 2020 aux Presses Universitaires de France (PUF).
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À l'occasion cette fin d’année, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de revenir sur un élément les plus saillants à leurs yeux de l’année 2023. Franck DeCloquement aborde brièvement ce spectre récurrent d’un conflit mondial qui plane, porté par un tandem plus qu’hostile aux valeurs occidentales : la Chine et la Russie.  

La mondialisation qui nous avait été vendue comme « pacificatrice » et « heureuse » n’aura en définitive jamais été en mesure d’apaiser un tant soit peu les relations internationales. Pire, elle aura même au demeurant fait grandir et accélérer la haine de l’occident dans un esprit de revanche, et les appétits prédateurs des belligérants les plus déterminés à regagner en puissance… Aux premiers rangs desquels la Russie et la Chine.

Et au crépuscule de cette année 2023 qui s'achève, nous avons assisté sans ambages ces douze derniers mois au retour en grandes pompes de l'incertitude géopolitique tous azimuts. Une instabilité croissante et persistante qui aura d’ailleurs très largement dominée et minée l’année écoulée. Et si les conflictualités en « tout temps et tous lieux » n'ont jamais réellement cessé sur la surface du globe, beaucoup auront indéniablement impliquées ces douze derniers mois passés, les grandes puissances en lice, ainsi que leurs satellites. Augmentant drastiquement dans leur sillage, le risque d'extension corrélatif « des feux de l’envie » shakespearienne popularisés par l’ancien académicien français défunt René Girard, et les conflits haineux triangulaires qui couvent, au reste de la planète. Au risque d’un embrasement mimétique général à la moindre anicroche, telle une cendre incandescente nonchalamment oubliée sur la poutre de Notre Dame. De la guerre en Ukraine en passant par la bande Gaza, et sans doute demain l’annexion soudaine de l’ile de Taïwan par les troupes armées de Pékin, ces conflits qui impliquent la Russie, les Etats Unis, la Chine et l’Iran, empirent graduellement et infusent à feu doux parfois, ou par soubresauts violents, mois après mois.

En l’état, 2024 promet donc d’ores et déjà « des lendemains qui chantent » en la matière. Au risque d’une apocalypse causée par un engrenage improbable, fruit de calculs tordus et d’erreurs successives, déjà narré avec suspense et moult détails dans « 2034 », ce thriller parfaitement troussé d’Elliot Ackerman et de James Stavridis sorti à l’été 2021. Tout commencerait par exemple à bord d’un destroyer américain engagé dans une opération de routine dans les eaux troubles et contestées que revendiquent sans relâche Pékin en mer de Chine : « Dans le même temps, un F35 américain surarmé flirterait avec l'espace aérien iranien. Mais le pilote, pourtant très expérimenté, perdrait les commandes et tomberait aux mains de l'ennemi. Ces incidents apparemment fictifs et isolés pourraient mettre en branle dans notre réalité une implacable mécanique de confrontation. Personne ne voulant l'apocalypse nucléaire, chaque puissance jouerait alors au plus serré »... Mais politiques et militaires ont beau avoir envisagé tous les paramètres, on ne peut jamais tout prévoir… Surtout l’inéluctable.

Cette nouvelle guerre des mondes aura-t-elle finalement lieu ?

Cette triple confrontation qui gronde entre la Chine, les États-Unis et la Russie, mais aussi leurs alliés en lice actuellement très fortement engagés militairement et diplomatiquement (Europe en tête), demeure relativement similaires aux précédentes : avec son lot classique d’actions d’espionnage et de scories infectes, de représailles diplomatiques surannées, de propagande noire (Tik Tokisarion rampante des esprits), de musellement des opinions publiques, de contrôle social renforcé sur les cœurs et les esprits par les plateformes sociales concurrentes, de censures de journalistes et d’arrestations arbitraires de dissidents, de concurrence fratricide et déloyale entre belligérants pour préserver et garantir leurs accès aux ressources rares dans les pays tiers, de critiques mutuelles des centre de décisions adverses par l’instauration subverti et subreptice  d’un narratif alternatif –  Washington, Pékin et Moscou – pour délégitimer et discréditer les systèmes politiques et sociaux ennemi, et déstabiliser leurs populations, mais aussi les choix diplomatiques de leurs adversaires.

Très schématiquement comme le concède certains observateurs, la configuration des affrontements géopolitiques d'aujourd'hui n'oppose plus uniquement comme d’antan, deux « mastodontes » rivaux, mais bien au contraire deux familles de pays à l’ordre très spécifique : l'une partageant la vision d’un ordre du monde très nettement ordolibéral (l'ordolibéralisme – Ordoliberalismus en allemand – ce courant de pensée selon lequel la mission économique de l'État est de créer et de maintenir un cadre normatif permettant la « concurrence libre et non faussée » entre les entreprises), l'autre une vision illibérale très autoritaire et beaucoup plus dirigiste, souvent matinée d’une soft-dictature de bon aloi pour mimer les bonnes manières et la concorde intérieure apparente prêtée aux pays occidentaux.

Pour exemple de ces paradoxes qui naissent en définitive de ce théâtre d’ombres et d’apparences dans les deux camps : le ministère de la Sécurité d’État chinois a très récemment publié un article indiquant qu’il « réprimera et punira les activités qui mettent en danger la sécurité nationale du pays dans le domaine économique » à la suite de la récente conférence sur le travail économique. Le sens du texte est en outre le suivant :

« Pour maintenir la sécurité économique, nous devons adhérer indéfectiblement au système économique du socialisme... À l’heure actuelle, le domaine économique est devenu de plus en plus un champ de bataille important pour la concurrence entre les grandes puissances, et l’environnement international devient de plus en plus complexe, sévère et incertain. Pour favoriser la reprise économique, nous devons surmonter les difficultés internes et relever les défis externes. Par exemple, toutes sortes de « clichés » destinés à chanter le déclin de l’économie chinoise continuent d’émerger, ce qui est essentiellement une tentative d’utiliser de faux récits pour construire des « pièges discursifs » et des « pièges cognitifs » du « déclin de la Chine », afin d’attaquer le système socialiste aux caractéristiques chinoises ». Et pour la première fois depuis 1978, discuter des problèmes de l’économie chinoise pourrait entraîner une véritable responsabilité pénale. »

Côté « démocratique », et en Amérique cette fois, cette récente perle passée presque inaperçue auprès des grands médias nationaux : la loi sur l'autorisation de la défense nationale (National Defense Authorization Act, ou NDAA) est l'un des rares textes législatifs majeurs que le Congrès américain adopte chaque année, une pratique qui a débuté en 1961. Cette loi régit tout, des augmentations de salaire des militaires à l'achat de navires et d'avions, en passant par des politiques de soutien à des partenaires étrangers tels que Taïwan. Une version de compromis du projet de loi sur la défense et la sécurité nationale, d'un montant de 886 milliards de dollars, a très récemment été dévoilée, en fin de journée à l'issue de négociations entre les camps républicains et les démocrates. Et le Congrès pourrait en outre commencer à voter sur le projet de loi dans les prochains jours. Avec en perspective, l’adoption par le Congrès d’une extension de la disposition relative à la surveillance nationale, qui permet aux forces de l'ordre d'espionner sans mandat les Américains. L'extension de la disposition relative à la surveillance – connue sous le nom de « section 702 » de la loi sur la surveillance des renseignements étrangers (FISA) - a été discrètement insérée à la 2353 sèmes page du projet de loi… Un peu comme le fut sous la mandature de Donald Trump, le très fameux Cloud Act, lui aussi subtilement inséré dans les 2232 pages de la loi budgétaire américaine qui devait impérativement être votée pour éviter un nouveau shutdown du gouvernement américain.

Rappelons pour mémoire que le Cloud Act permet, sous certaines conditions et uniquement dans le cas d'actes criminels graves attestés ou « supposés », la saisie et/ou l’interception de données stockées hors des Etats-Unis par les forces de l'ordre américaine, et dans certains cas l'inverse (si un accord mutuel « Executive Agreement » a été signé). Cette demande est faite aux entreprises de télécommunication ou d'infogérance (CSP - Communication Service Provider ou RSP Remote Service Provider)… A noter que ce texte est arrivé lors d'une activité juridique très importante autour des données personnelles, entrée en vigueur du « RGPD - Règlement Général sur la Protection des Données », renouvellement aux US pour 5 ans du « FISA - Foreign Intelligence Surveillance Act », production d'une 1ère version du texte « e-Evidence » par la Commission Européenne. Tout cela sans parler du « Privacy Shield » de 2016 entre l'UE et la Suisse d'une part, et les Etats-Unis d'autre part.

Il semble donc très prudent d’éviter la souscription de tout service hébergé de société américaine comme AWS, Google (G-Suite, ...) et Microsoft (incluant Office 365 / Teams), même proposant un hébergement en France ou en Europe, tout du moins en attendant que la jurisprudence autour de Cloud Act et du RGPD commence à être connue de tous et testée concrètement par chacun.

En conclusion, des élections européennes de juin aux élections américaines de novembre, l'année à venir sera parsemée de multiples scrutins d’importance majeure, qui pourraient bien servir de cibles aux attaques les plus sophistiquées permises, par le truchement de technologies de plus en plus accessibles aux belligérants en lice. Jeux Olympiques à l’été 2024 en France y compris… Une petite quarantaine de pays désigneront leurs présidents, tandis que des élections parlementaires sont d’ores et déjà de mise dans près de 20 autres pays encore. De Dakar à Mexico, de Moscou à Washington, en passant par plus d’un milliard de votants indiens, en 2024, près de 49% de la population mondiale sera concernée par une élection majeure.

Les vertigineux et très récents progrès des Intelligence Artificielles (IA) génératives dans le champ de l’audio, des images, du texte, permettent d’ores et déjà aux assaillants de tous poils de disposer d’un arsenal de fonctionnalités supplémentaires très avancées, pour créer et générer des contenus frelatés, détournés et parfaitement malveillants… à dessein. Gageons aussi que l’intégration de ces contenus modifiés ou falsifiés, ferons une très grande place à l’exagération et la promotion de sujets opportunément orientés pour les rendre viraux dans le seul but de « manager » la perception, mais aussi le les cœurs et les esprits des publics cibles adverses dans nos plus que très fragiles démocraties. En France y compris. Orwell lui-même en aurait cauchemardé. Compliquant en l’occurrence de plus en plus la sagacité des électeurs à discerner le vrai du faux dans ce flux continu d’informations qui se déversent en ligne journellement, et se succèdent à un machinal et rythme hypnotique  pour ravir nos attentions collectives. En définitive,  seuls les citoyens éclairés que nous demeurons toutes et tous encore, peuvent se réapproprier la seule ressource inestimable qui compte véritablement. Celle « non technologique » dont chacun de nous dispose en définitive gracieusement : l'esprit critique et le discernement...

Très bonne fin d’année 2023.

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