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Le Palais de l'Elysée, à Paris.
Le Palais de l'Elysée, à Paris.
©Ludovic MARIN / AFP

Bataille présidentielle

Qui saura construire (et comment) une offre politique susceptible de réunir enfin ceux qui sont optimistes pour l’avenir et ceux qui ont (aussi) de bonnes raisons de ne pas l’être ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Un sondage Challenges/Harris a analysé l’état d’esprit des Français. 53% sont animés par l’inquiétude et 34% par la colère. Mais 26% ressentent de l’optimisme, 13% de la joie et 12% de l’enthousiasme. Quelles sont les origines de ces fractures émotionnelles au sein de la société française ?

Bruno Cautrès : Les émotions et les sentiments des citoyens ne font l’objet d’analyses empiriques (avec des enquêtes et des sondages) que depuis quelques années même si le rôle de la psychologie dans le rapport des citoyens à l’espace public a toujours été fondamental. Dans le domaine des enquêtes et des sondages d’opinion, on peut parler d’un véritable tournant vers la mesure des émotions et des sentiments depuis une vingtaine d’années.  De nombreuses disciplines des sciences sociales ont emboîté le pas de cette importante évolution et notamment ma discipline, la science politique où le rôle des émotions et des affects est devenu un thème très courant des études de psychologie politique appliquées à l’analyse du vote et des comportements politiques.  On peut citer ici les études conduites sur les mobilisations collectives par Christophe Traïni, le rapport au pouvoir et à la démocratie de Philippe Braud et le livre fondateur de George Marcus sur le « citoyen sentimental ».  Selon ce spécialiste américain de psychologie politique, la politique et notamment les campagnes électorales vont mettre à l’épreuve les attachements et les répulsions, les espoirs et les peurs, les colères et les affects des citoyens à l’égard des candidats. Tout le monde n’a ni le temps ni l’envie de suivre de près les campagnes électorales et de lire les programmes des candidats ; les émotions et les affects sont alors comme des raccourcis qu’empruntent les électeurs pour décoder et comprendre l’offre électorale : telle personnalité politique, telle décision qu’il a prise, telle valeur qu’il incarne, mais aussi les traits de personnalité qu’on lui prête, son charisme, vont activer et susciter chez les électeurs la colère, la peur, l’espoir, l’indignation, l’admiration, la haine.

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Il s’agit de puissants ressorts dans l’explication du choix électoral : des recherches conduites au CEVIPOF (par Pavlos Vassilopoulos et Martial Foucault) ont mis en exergue le rôle particulier de la colère dans l’explication du vote pour le RN par exemple. L’enquête annuelle du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF montre, de son côté, à quel point une fracture béante existe dans notre pays entre une vision désespérée, pessimiste et sombre de l’avenir et une vision optimiste. L’élection de 2017 a été marquée par cette césure fondamentale entre une France optimiste et pessimiste. La psychologie sociale a par ailleurs montré l’importance du sentiment de maîtrise de son destin par l’homme : ceux qui ont le sentiment de ne rien contrôler de leur vie, ont un sentiment de confusion très important aujourd’hui. Le sentiment de confusion est d’ailleurs important aujourd’hui dans le pays, la succession des crises (Gilets jaunes, retraites, Covid) a engendré une perte de sens, un sentiment que l’on ne comprend pas bien pourquoi tant de crises en France. Les fractures politiques et sociologiques créées par tous ces sentiments sont très importantes.

Edouard Husson : On peut trouver cette enquête à la fois terrifiante et rassurante à la fois. En fait, les Français expriment d’abord un profond sentiment d’impuissance. Le Président de la République, dans le commentaire qu’il propose du sondage, s’attribue un satisfecit et loue ses compatriotes sur leur lucidité. Mais quel terrible constat, pourtant, sur son quinquennat ressort de ce sondage ! 53% d’inquiétude ! 34% de colère, c’est gigantesque ! Regardons les sujets d’inquiétude: il y a dix sujets à plus de 60%, de l’immigration et l’avenir des enfants au dérèglement climatique et à la délinquance ! 26% qui ressentent de l’optimisme, c’est au fond très peu. Cela correspond à la France qui vote Macron au premier tour.  Le constat de Michel-Edouard Leclerc est intéressant et cinglant face à la langue de bois présidentielle: « Malgré la mobilisation sans précédent des moyens économiques et sociaux pour traverser la pandémie et rebondir, les Français ne se sentent pas suffisamment sécurisés. Ils ont compris que le vieux monde allait muter, mais personne ne prend, avec eux, le temps de la prospective partagée. » (C’est moi qui souligne).  Quel échec pour un président qui aura tant parlé! Mais le sondage est rassurant aussi: les Français désignent les maux qui accablent notre société. Ils font un constat amer sur l’échec du système d’éducation. Ils se méfient de l’Etat et misent sur la famille avant toute chose. mais ils pensent qu’il est possible de mieux réguler la mondialisation et de relocaliser la production.  

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A quel point l’état d’esprit a-t-il du poids au moment du vote ? Un électeur « triste » a-t-il par exemple plus tendance à voter aux extrêmes ?

Bruno Cautrès : Globalement oui, mais le sentiment négatif de tristesse n’explique pas tout et il faut  regarder différentes émotions et distinguer parmi ce que l’on qualifie de « vote aux extrêmes ». Il faut aussi toujours tenir compte des autres facteurs qui influencent le vote. Dans un récent sondage de l’institut BVA, on a mesuré les affects et sentiments : sur une échelle de 0 à 10, la note moyenne de sentiment de « désespoir » des français était de 5.2 et la note moyenne du sentiment d’indignation vis-à-vis de la situation de la France était de 5.9. Parmi l’électorat 2017 de Marine Le Pen le sentiment de « désespoir » monte à 6.3 et celui d’indignation est à 6.8. Parmi l’électorat 2017 de Jean-Luc Mélenchon, le « désespoir » est à 5.5 et « l’indignation » à 6.5. On voit donc que l’électorat des « insoumis » est d’abord « indigné » avant d’être « désespéré » tant que celui du RN est sous l’effet d’une grande « indignation » mais aussi d’un fort « désespoir ».

Savoir rassembler des Français aussi bien optimistes que pessimistes n’est-il pas un des enjeux majeurs de l’élection présidentielle ?

Bruno Cautrès : Oui et non. Oui car rassembler des électeurs différents est toujours l’objectif de celui  ou celle qui veut gagner une élection comme la présidentielle. Non, car les clivages et fractures émotionnelles constituent des marqueurs et des délimitations importantes des électorats et que chaque candidat doit avant tout parler à ceux et celles qui se reconnaissent en lui ou elle. Il est évident qu’Emmanuel Macron voudra montrer que l’optimisme et le projection vers l’avant sont toujours là chez lui et dans son programme tandis que des candidatures comme Marine Le Pen ou Eric Zemmour (s’il est candidat) vont fortement mettre en avant l’idée d’une France « déclassée » et qui allait mieux « avant ».  Le thème de la « réparation » des multiples fractures et segmentations de la société française sera néanmoins bien un thème central de la présidentielle, mais c’est un figure de style classique de cette élection : tous les candidats ont un discours mettant l’accent sur l’unité nationale et la réconciliation d’une France fracturée.

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Edouard Husson :Personnellement, je ne pense pas que ce soit la leçon à tirer de ce sondage. Je crois que les optimistes, tels qu’on les devine, sont irrécupérables. Ce sont les gens qui sont acquis à Emmanuel Macron et qui, donc, ne l’écoutent jamais. Là encore, Michel-Edouard Leclerc a raison quand il dit, à propos de la majorité: « Les annonces gouvernementales les stressent, tandis que les débats d’experts les déboussolent. D’où le plébiscite pour les valeurs refuges: repli sur le cercle familial et amical, attrait pour la générosité et l’entraide plutôt que la concurrence et le risque. A mon sens le peiuple a peur, plus qu’il n’a la haine. L’absence actuelle de discours positif et inclusif du bloc réformiste laisse perplexe: souvenons-nous que les « gilets jaunes » n’ont interrompu leur Acte 70 qu’à cause du confinement et que, sporadiquement, des « bonnets rouges » savent fédérer salariés, retraités et petits patrons contre les diktats ». Il faut sans doute, pour compléter ce point de vue, regarder ce qui se passe dans les manifestations contre le pass sanitaire: nous assistons à un soulèvement de la France des villes moyennes, d’abord fondée sur l’idée que l’Etat, « les Parisiens », imposent d’en haut des tas de choses qui maintiennent les Français dans une sorte d’éternelle minorité. Le discours macronien sur le progrès exclut et méprise; il relève de la « révolte des élites ». Ce que le sondage dit au Président et à ses éventuels concurrents, c’est : « Nous sommes toujours là et nous nous débrouillons sans vous, comme nous pouvons ». C’est cette France des classes moyennes et populaires qu’il faut rassurer, « mettre en responsabilité » sur 90% des sujets, afin de pouvoir la rassembler.

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Comment construire une offre politique susceptible de réunir ces deux France ?

Bruno Cautrès : Il y a deux dimensions essentielles de l’élection présidentielle : la dimension verticale (incarner le pouvoir exécutif) et la dimension horizontale (l’empathie et la proximité). La clef de de voûte de la présidentielle sera la capacité des candidats qui veulent challenger Emmanuel Macron à nous expliquer en quoi toutes les crises que nous avons connues pendant son mandat conduisent à renouveler la dimension verticale en prenant appui sur la dimension horizontale. Peut-on gouverner de manière plus empathique et compréhensive des difficultés des gens sans sacrifier la dimension verticale du pouvoir. Mesdames et Messieurs les candidates et les candidats, vous avez 8 mois pour nous expliquer cela ! Au boulot !

Edouard Husson : Encore une fois, je dirai, un peu brutalement, que la France macronienne doit nous être indifférente. Elle a adhéré à la logique sécessionniste du Président de la République - je veux dire, à son envie de larguer les amarres avec « les Gaulois réfractaires » et les « gens qui ne sont rien ». Ce sont les 75% qui ne votent pas Macron qu’il s’agit de revigorer et de rassembler.  Or aucun candidat alternatif ne sait s’y prendre: Xavier Bertrand insulte les électeurs du Rassemblement National; Valérie Pécresse s’adresse à une France désignée de manière très abstraite; Marine Le Pen exclut une partie de la classe moyenne de ses centres d’intérêt; Eric Zemmour se contente de traiter une petite partie des questions et il tend plutôt à entretenir l’angoisse ambiante (immigration, identité). Il manque un discours rassembleur qui dise aux Français: nous allons réduire l’intervention de l’Etat à ce qui est nécessaire, ce qui vous protège réellement, ce qui vous permet de faire ce que vous avez envie de faire, librement, là où vous vous êtes, là où vous souhaitez vous enraciner.

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