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2018 ou le mondial de la fin des illusions Bleu-Blanc-rouge
©BERTRAND GUAY / AFP

Vivre-ensemble

Le gouvernement actuel, s'il n'a pas voulu relancer le slogan de la France Black Blanc Beur, a particulièrement insisté sur l'instant d'union national que la victoire de l'Equipe de France représentait. Or, les Français sont loin de partager cet enthousiasme.

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent

Jean-Philippe Vincent, ancien élève de l’ENA, est professeur d’économie à Sciences-Po Paris. Il est l’auteur de Qu’est-ce que le conservatisme (Les Belles Lettres, 2016).

 

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Atlantico : Un sondage Ifop pour Atlantico publié ce samedi montre que l'euphorie sportive de la victoire des Bleus en Russie n'est pas suivie par une amélioration de la cohésion nationale ni par un mouvement d'optimisme pour la France, contrairement à 98. Le gouvernement actuel, s'il n'a pas voulu relancer le slogan de la France Black Blanc Beur, a particulièrement insisté sur l'instant d'union national que l'événement représentait. Pourtant, cette cohésion est vivement contestée par les Français eux-mêmes, qui sont 12% de plus qu'il y a 3 mois à considérer que de vraies tensions existent entre les différentes catégories sociales et communautés qui vivent de manière séparées. Le mondial 2018 est-il finalement l'opposée de 1998, celui de l'anti-Black Blanc Beur ?

Jean-Philippe Vincent : Quelle tristesse, tout cela ! C’est la coupe du monde « bulles de savon » : quelques moments de joie et, au final : rien. Enfin, pas tout à fait parce que nous avons eu de très beaux matchs, supérieurs à ceux de 1998. Je ne suis pas certain que le parallèle avec 1998 soit si pertinent que cela, car la conjoncture nationale et économique était alors meilleure. Le problème de cette coupe du monde 2018, jouée sur le thème de l’union nationale, c’est que l’union nationale, aujourd’hui, n’embraye plus sur rien. Pour que la mystique de l’union nationale fonctionne, il faut que la dynamique du « nous », du collectif,  se répercute de communautés en communautés : communauté nationale, d’abord, mais aussi communautés locales, régionales, solidarités de quartiers, solidité des familles, etc. Le « nous » est profondément en crise en France, bien plus que dans des pays dits « individualistes » comme les Etats-Unis. Le résultat est une incapacité à «être bien ensemble » durablement, en confiance et, d’une certaine façon, en communion de pensées. Depuis 40 ans, et peut-être plus, la France est prisonnière d’une dialectique appauvrissante entre le « je » des individus et le « il » de l’Etat. Le résultat est que les formes les plus élémentaires du « nous », du vivre ensemble, ont disparu. La société de confiance s’est transformée en société de défiance, sous l’effet conjugué de l’hyperindividualisme des « je » et de l’ultracentralisation du « il », l’Etat. Dans une configuration de ce type, il n’y a plus de place pour la joie collective du « nous » et aussi pour une certaine ambition nationale. 1998 n’a rien produit, non plus de durable, à part des illusions. Ces deux coupes du monde sont des artefacts purs. Le mondial de 2018 a été, malgré sa beauté, le mondial de la fin des illusions.

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Doit-on y voir la marque d'un désintérêt pour la chose commune, pour les "grands moments nationaux", ou plutôt le signe d'une grande méfiance à l'égard du gouvernement en place spécifiquement ? 

C’est le désintérêt, non pour la chose commune (cet intérêt existe), mais la capacité à intégrer le bonheur commun dans la joie des individus qui est en cause. Tout se passe comme si les enjeux communs et les enjeux individuels étaient totalement déconnectés. Un philosophe, Jacques Maritain, avait écrit un très beau petit livre qui mériterait d’être relu : « La personne et le bien commun ». Comme les individus, aujourd’hui, n’ont plus de sentiment d’appartenance à quoi que ce soit (à part la famille), la capacité à vivre en société est évidemment très diminuée. Qui, aujourd’hui, dit : « je suis membre de.. ». Peu de gens. Quand le sentiment d’appartenance est devenu aussi faible, alors la désagrégation de la société est très engagée et ça n’est pas un Etat hypertrophié qui pourra y remédier. Il est au contraire une partie importante du problème. Pour ressentir à nouveau des joies collectives et des ambitions nationales, avec tout ce qu’elles apportent, il va falloir réapprendre à faire des sacrifices au bien commun. J’observe que dans la société française d’aujourd’hui je ne vois que l’armée française où la dialectique du bien particulier et du bien commun joue de façon satisfaisante. Quant à l’actuel gouvernement, très honnêtement, il n’est pour rien, selon moi, dans les désillusions actuelles.

La minorité qui croit dans les effets bénéfiques ou qui se déclare plus optimiste du fait de la victoire des Bleus est principalement à trouver dans les rangs des sympathisants de LREM. S'agit-il selon vous du marque de fidélité calculée ou d'un réel aveuglement d'une certaine France quant au sentiment de désunion partagé par la majorité des Français ?

Je crois que l’électorat progressiste qui compose LREM présente les particularités de tout électorat progressiste. D’abord, juger le présent, non d’après les faits, mais en fonction d’un futur rêvé ou idéalisé. C’est le côté « millénariste » des progressistes. Ensuite, le progressiste se refuse à voir, et même à concevoir le mal : si des individus font mal, causent du mal, ça n’est pas la nature humaine qui est en cause, mais la société qui a mal joué son rôle. Il suffit donc de modifier le fonctionnement de la société pour que tout aille mieux. Le péché originel n’existe pas dans l’univers progressiste. La conjugaison de ces deux éléments : foi millénariste et bonté naturelle de l’homme, fait que les progressistes sont victimes d’un optimiste béat qui les coupe de la réalité. L’électorat LREM préfère vivre avec ses fantasmes qu’avec la réalité. Mais il sera un jour rattrapé par la réalité.

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