2015, l'année où les milliardaires et les géants de la High-Tech ont décidé de devenir immortels : et maintenant ce sera quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le transhumanisme a fait de plus en plus d'émules en 2015.
Le transhumanisme a fait de plus en plus d'émules en 2015.
©Reuters

Fontaine de jouvence

L'an 2015 aura vu l'essor de la recherche pour lutter contre le vieillissement humain, mais aussi pour le développement du transhumanisme et de l'édition du génome. Portée notamment par de puissants milliardaires américains, cette "quête d'éternité" pose cependant de sérieux problèmes éthiques.

Christophe  de Jaeger

Christophe de Jaeger

Le docteur Christophe de Jaeger est chargé d’enseignement à la faculté de médecine de Paris, directeur de l’Institut de médecine et physiologie de la longévité (Paris), directeur de la Chaire de la longévité (John Naisbitt University – Belgrade), et président de la Société Française de Médecine et Physiologie de la Longévité.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, notamment de "Bien vieillir sans médicaments" aux éditions du Cherche Midi, "Nous ne sommes plus faits pour vieillir"  chez Grasset, et "Longue vie", aux éditions Telemaque

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La vie éternelle. Jamais autant qu'en 2015, la quête de l'éternité n'aura animé l'espèce humaine, notamment chez les milliardaires, célèbres ou moins, de la Silicon Valley. Lutter contre les affres du temps, arrêter l’horloge biologique voire la remonter : la liste des entrepreneurs à s’être passionnés pour le sujet ces derniers mois est longue : de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook aux co-fondateurs de Google Sergey Brin et Larry Page, en passant par Peter Thiel,  le fondateur de Paypal. 

Larry Page a consacré 750 millions de dollars à Calico, une société dont l’objectif n’est autre que de tuer la mort… et dont les recherches restent bien secrètes.Dans un entretien accordé au Time Magazine en 2013, il expliquait la démarche de la jeune filiale associée à un géant du médicament : "Nous pensons tous que guérir le cancer est le Graal qui va totalement changer la face du monde. Mais si vous prenez un peu de recul, vous réalisez que certes, il y a énormément de personnes qui meurent tragiquement du cancer, et c'est malheureux, mais au final guérir le cancer n'est peut-être pas un si grand pas en avant que cela". Le seul pas qui vaille serait pour lui celui menant à la vie éternelle. Et Page n’est visiblement pas le seul à le penser. 

Si ce rêve ne date pas d'hier, "2015 restera comme une année charnière, une année où la communauté scientifique (il est vrai poussée par les déclarations tonitruantes de certains milliardaires), accepte de considérer le vieillissement comme une maladie que l’on peut traiter, explique le docteur Christophe de Jaeger. Il ne s’agit pas de n’importe quelle maladie, mais de la maladie originelle. Celle qui va progressivement, insidieusement, altérer notre organisme et le mener aux maladies chroniques classiques : diabète, maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies neuro-dégénératives…" Fait le plus marquant pour notre expert : "l’autorisation par la Food and Drug Administration, fin 2015, d’une étude sur l’influence d’un médicament sur le vieillissement lui-même". 

Les projets et les financements ne manquent pas depuis quelques années, comme le note The DailyBeast : Peter Thiel a développé Breakout Labs, un fonds visant à marier les sciences et les technologies, dont un des objectifs est désormais la lutte contre les maladies dégénératives. Thiel a aussi investi plusieurs millions de dollars dans la Fondation Methuselah dont le programme phare, Strategies for Engineered Negligible Senescence (SENS), se concentre sur les cellules, leurs dysfonctionnements et la manière d’y remédier. Aubrey de Grey, le confondateur de cette start up, expliquait ainsi son projet au magazine Newsweek dans un long article consacré au sujet paru en début d’année : “L’idée est que le corps humain, étant une machine, a une structure qui détermine tous les aspects de son fonctionnement, y compris celle de tomber en morceaux à tout moment. De telle sorte que si nous sommes capables de réparer cette structure - au niveau de la cellule ou de la molécule - nous réparerons le fonctionnement aussi. Ainsi nous aurons complètement régénéré le corps". Au passage, Thiel a adopté un régime alimentaire qui, si on l’en croit, le mènera à l’âge vénérable de 120 ans. Histoire de maximiser ses chances de profiter du fruit des recherches en cours...

D'autres exemples de généreux mécènes sont cités par le DailyBeast : le PDG d’Oracle Larry Ellison, qui a fait un don de 430 millions de dollars pour la recherche contre le vieillissement, et qui trouve le concept de mortalité "incompréhensible" ; Paul Glenn, un capital-risqueur qui distribue des subventions aux scientifiques pour mener des recherches sur "les mécanismes du vieillissement biologique" ; les entrepreneurs Peter Diamandis and Craig Venter qui ont créé la société Human Longevity Inc. dont le but est d’allonger la vie humaine ; ou Pierre Omidyar (eBay) qui consacre lui aussi des millions de dollars à la recherche sur les moyens de se remettre de graves maladies.

"Cette apogée en 2015, n’est que la résultante des 15 premières années du siècle qui ont vu se cumuler de nombreuses découvertes et travaux montrant que le processus du vieillissement pouvait être efficacement combattu, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives à l’être humain, commente Christophe de Jaeger. Mon Institut a contribué à ce mouvement fort en France et en Europe. Que les milliardaires souhaitent participer à cet essor ne peut qu’améliorer les perspectives de résultats. Il est cependant regrettable qu’ils financent le plus souvent tout et n’importe quoi en fonction du "bruit médiatique" que cela peut faire. Sur l’aspect technique, nous avons aujourd’hui de multiples techniques qui nous permettent d’agir concrètement et efficacement, sur le processus du vieillissement humain."

Si l’objectif de la vie sans fin paraît encore lointain, Newsweek fait mention notamment de quelques découvertes récentes prometteuses sur les souris (sans qu’on sache encore si elles sont "applicables" chez les humains). Ces derniers mois ont surtout vu le développement rapide d'un travail sur l'ADN, rappelle Nature : l’édition des gènes via un outil appelé CRISPR-Cas9. "Cet outil, une sorte de 'couteau suisse' de la génétique permet pour 199 $ (c’est son prix sur Internet) de modifier le génome des plantes, des animaux et, bien sûr, des humains", explique Christophe de Jaeger. "CRISPR-Cas9, acronyme anglais pour 'courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées', permet d’identifier sur le génome, avec une redoutable précision, des zones d’information génétique à enlever ou à rajouter", précise-t-il. Cette technique peut permettre de corriger et donc potentiellement de guérir, des maladies génétiques rares, que l’on appelle orphelines". A ce stade, même si certains y songent, créer des êtres plus résistants ou des cerveaux plus intelligents est hors de portée de la science, ces qualités mettant en jeu des mécanismes extrêmement complexes.

En avril dernier, une équipe de chercheurs chinois a annoncé dans une revue scientifique avoir utilisé CRISPR-Cas9 pour modifier sur des embryons humains un gène (β-thalassaemia) qui, en cas de mutation, engendre une maladie du sang mortelle. Pour réaliser son expérience, l’équipe a utilisé des embryons délibérément non viables, écartant d’emblée l’hypothèse d’une naissance. Jusqu’alors, l’édition des gènes n’avait concerné que des cellules humaines d’adultes ou des embryons d’animaux. L'expérience a aussi montré que CRISPR-Cas9 était loin d'être assez fiable pour obtenir les effets recherchés mais cette nouvelle étape n'a pas manqué de donner lieu à des débats très virulents, ainsi que le rappelle Nature."CRISPR-Cas9 fait porter un risque majeur sur des modifications génétiques qui pourraient alors être accessibles à tout laboratoire ayant un minimum de connaissance technique. Le danger n’est pas qu’éthique, mais réel, de voir apparaître plus de maladies ou de désordres biologiques que nous n’en avons actuellement", avertit Christophe de Jaeger.

La Chine ne restera sans doute pas longtemps la seule à avoir franchi le pas. Au Royaume-Uni, une agence gouvernementale devra se prononcer ce mois-ci sur la première demande de scientifiques britanniques pour utiliser le procédé Crispr-Cas9 sur des embryons humains afin de mieux comprendre pourquoi certaines femmes perdent leur bébé avant terme. L'expérience se cantonne à la recherche fondamentale et ne doit évidemment pas déboucher sur une naissance : les embryons ne peuvent pas être conservés au-delà de 14 jours. C’est la première demande concrète concernant CRISPR-Cas9 et des embryons humains :  elle peut aboutir à un refus… mais la possibilité théorique et légale est désormais bien une réalité depuis le dernier trimestre 2015 y compris en Europe. 

"Ce mouvement doit nous interpeller, car il montre clairement que la science devient hors contrôle malgré les réglementations", avance Christophe de Jaeger. "Ce qui était interdit, il y a 15 ans, devient commun aujourd’hui. Ce qui reste interdit en matière de génétique dans certains pays devient commun en Chine. Or la connaissance n’a pas de frontières. Juste 'interdire' en pensant que l’on a résolu le problème des dérives de la génétique n’est pas simplement ridicule, mais dangereux, car faussement rassurant". Il renchérit : "Quand des outils génétiques puissants et simples d’emploi sont disponibles sur le net pour 199 $ (coût de la CRISPR-Cas9), quand des laboratoires travaillent à l’amélioration de l’espèce humaine, sous prétexte de lutter contre des maladies, alors nous sommes dans une nouvelle logique d’eugénisme à la Aldous Huxley. Imaginez un être humain plus vigoureux, en meilleure santé, plus docile et n’ayant pas forcément une plus grande longévité… et vous basculez dans un autre monde, que je ne souhaite à personne. Le fait marquant de 2015 est qu’il ne s’agit plus de théories, de science-fiction, mais de la vraie vie et de notre avenir à tous."

Pendant que certains travaillent à améliorer notre corps en modifiant l'ADN, d'autres ont plutôt cherché à créer des clones de nos organes afin de les remplacer quand ils deviennent défectueux :les scientifiques savent déjà reproduire les tissus du foie ou ou d'un rein comme on réaliserait une impression 3-D, transformer des cellules de la peau en cellules souches et des cellules souches en organes. A terme, on peut imaginer pouvoir remplacer toutes les pièces du puzzle humain. Mais, comme le fait remarquer le magazine Newsweek dans son dossier, cela promet d'incessants passages au bloc opératoire au gré du vieillissement et, finalement, l'angoisse d'une mort brutale - par arrêt cardiaque par exemple - ne sera pas totalement évacuée... D'où le pari de se passer purement ou simplement de notre corps.

De tous ces milliardaires obnubilés par la vie éternelle, celui qui cache le moins son objectif - au risque de passer pour un farfelu - est un certain Dmitry Itskov. En 2011, ce milliardaire russe qui a fait fortune dans Internet lance l’ONG The 2045 Initiative, une association rassemblant une grosse vingtaine de scientifiques, experts en robotique, en intelligence artificielle ou en création d'organes articiels. Objectif d’ici 30 ans (rien de moins): transférer des éléments de la personnalité humaine sur des supports non biologiques, une sorte de cerveau artificiel accompagné d’un corps sous forme de robot-avatar ou sous forme d’hologramme. Une fois débarrassés de leur enveloppe de chair, ces avatars high-tech vivraient ainsi 10.000 ans… ou plus. 

Les défenseurs du projet mettent en avant les avancées fulgurantes de la technique qui permettent d'imaginer des robots-avatars très perfectionnés que l'humain pourrait commander à distance. On s'attend certes en 2016 à de nouvelles avancées dans le développement des super-ordinateurs. Intel s’est donné pour objectif de développer d’ici 2018 un super ordinateur opérant à la même vitesse que le cerveau humain. IBM, Google, la NASA et bien d’autres sont sur le coup. C’est ambitieux : en 2013, des chercheurs japonais et allemands ont réussi à simuler un pour-cent de l’activité du cerveau pendant... une seconde. Mais même si les humains parviennent à créer le réceptacle destiné à accueillir notre intelligence (ou notre conscience), encore faudra-t-il pouvoir la transférer.
Un autre gourou des technologies et de la version la plus jusqu'au-boutiste du transhumanisme, Ray Kurzweil, ingénieur en chef de Google, ne doute pas que cela soit faisable à moyen terme  : " Dès les années 2030, nous ­allons, grâce à l’hybridation de nos cerveaux avec des nano-composants électroniques, disposer d’un pouvoir ­divin." Son livre Humanité 2.0 imagine un processus dans lequel des nanorobots captureraient nos souvenirs et nos compétences en scannant notre cerveau pour transférer les données vers un super ordinateur…

"Transférer la personnalité humaine sur des supports non biologiques, par exemple informatique, n’est pas simplement techniquement inapproprié, mais humainement sans intérêt, car justement, nous y perdrions notre humanité et cela serait la fin de la race humaine", considère Christophe de Jaeger. "C’est le grand attrait du transhumanisme pour les personnes qui souhaitent avoir une réponse simple à leur fantasme d’immortalité. Le corps de l’être humain est faible, tombe malade et meurt. Aucun problème, remplaçons le corps par une machine qui l’on pourra entretenir facilement et très longtemps. Le seul problème est l’esprit qui est contenu dans le cerveau : là cela devient plus complexe. D’autant plus, qu’il existe à l’heure actuelle plusieurs grands projets internationaux (Human Brain…) qui se perdent en disputes intestines. Le plus simple, n’est-il pas d’entretenir ce que nous avons déjà ? Notre corps humain contient en lui-même tous les secrets d’une très longue vie en bonne santé."

"Il est évident, et ceci d’autant plus que l’on y consacre le budget, que le projet de vivre très, très, très longtemps en bonne santé sera réalisé", constate de son côté Christophe De Jaeger. "Imaginez déjà vivre 250 ans… Tôt ou tard, cela se fera, plutôt tôt que tard, puisque nous y sommes déjà presque. Mais la vraie question n’est pas là. Car vivre éternellement n’a pas vraiment de sens aujourd’hui. La bonne santé est le corolaire incontournable si l’on s’intéresse à la longévité. Par ailleurs,vous allez vous occuper 150 ans, 200 peut être… et après. Que vont devenir vos proches ? Que va devenir l’organisation de la société ? Comment vont s’organiser les relations internationales entre "riches immortels" et "pauvres mortels" ? Penser aujourd’hui "immortalité" est sans grand intérêt. En revanche, penser "Longue vie" (titre du dernier ouvrage du docteur Jaeger, chez Telemaque, ndlr) a un sens : vivre en bonne santé, le plus longtemps possible me parait déjà un objectif accessible et réaliste."

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