2008, le retour ? Les marchés financiers montrent des premiers signes de dérives et le système d’alerte mis en place après la crise ne se déclenche pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a cinq ans, Lehman Brothers disparaissait de l’échiquier financier mondial, provoquant une crise sans précédent.
Il y a cinq ans, Lehman Brothers disparaissait de l’échiquier financier mondial, provoquant une crise sans précédent.
©Reuters

Bis repetita

Bulle des crédits aux étudiants, PIB à la traîne, surévaluation des actions... La vulnérabilité de la sphère financière américaine suscite à nouveau des inquiétudes.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Atlantico : Les marchés financiers américains montrent à nouveau des signes de dérives financières. Pouvez vous nous les préciser ? Le système financier américain en est-il devenu vulnérable ?

Antoine Brunet : Oui, il y a aux Etats-Unis des signes qui à nouveau justifient des inquiétudes quant à la vulnérabilité de la sphère financière.

Il y a d’abord depuis 2009 l’expansion beaucoup trop forte des student loans, des crédits aux étudiants. On évoque par ailleurs qu’une part importante de ces student loans serait subprime, c’est-à-dire consentis à des étudiants qui n’auront jamais la capacité de rembourser.

Il y a ensuite le très bas niveau des rendements des obligations « high yield », c’est-à-dire les rendements qu’acquittent les moins bonnes signatures d’entreprises américaines sur les obligations qu’elles émettent. Il y a manifestement une sous-estimation par les investisseurs du risque de défaut qu’elles présentent.

Il y a aussi la surévaluation des actions. Le multiple « cours des actions/ profits » est redevenu nettement supérieur à son niveau de juin 2007 qui était pourtant historiquement élevé. Il faut remonter aux derniers mois avant mars 2000 et aux derniers mois avant octobre 1929 pour trouver des multiples aussi élevés. Par ailleurs, le ratio « Capitalisation boursière/ PIB nominal », un ratio proposé par Warren Buffet lui-même, atteint lui aussi un niveau historiquement très élevé et très malsain. Et cela s’articule avec des pratiques très dangereuses. Les entreprises utilisent une part importante de leurs profits non pas à investir ni à rembourser leurs dettes mais à verser des dividendes et à racheter leurs propres actions pour être bien assurées que le cours de leurs actions continue à monter quoiqu’il arrive. On est là dans des artifices très dangereux.

Par ailleurs aussi, la performance des indices boursiers s’est alimentée au niveau historiquement très bas que la Fed a fait régner sur les taux courts et sur les rendements longs. Les taux d’intérêt auraient normalement vocation à remonter, ce qui ne pourrait que bousculer la hausse des indices boursiers.

Or, Me Yellen, Chairperson de la Fed, reconnaît désormais couramment qu’une part de la croissance pourtant faible du PIB américain (2% l’an environ au cours des derniers trimestres) est imputable à ce qu’elle appelle l’effet-richesse. A mesure que les ménages (en général les plus riches) s’enrichissent sur Wall Street, ils accentuent leur consommation et ont un impact positif sur l’évolution du PIB. Si jamais Wall Street devait subir une correction importante, cela devrait enclencher assez rapidement un retour à la récession.

Les Etats-Unis ont-ils véritablement tiré les leçons de la crise de 2008 ?

Ni les Etats-Unis, ni l’Europe ni le Japon n’ont tiré les  leçons pertinentes de la terrible crise dont ils sont l’épicentre depuis 2007. Les analystes officiels et privés ont en général mis le projecteur sur les seuls excès de la spéculation et de la finance, blâmant d’ailleurs essentiellement l’avidité et la cupidité des dirigeants de la finance. Ce  premier niveau d’explication n’est pas faux. Mais il est totalement insuffisant. Il faut remonter plus en amont.

Deuxième niveau. Les dirigeants de la finance ont toujours été avides et cupides. S’ils ont pu, aussi facilement entre 2002 et 2007, réussir leurs spéculations et réaliser leurs appétits, c’est parce que les dirigeants des Etats-Unis (Maison-Blanche, Congrès et plus encore Federal Reserve) ont depuis 2000 pratiqué ou laissé pratiquer une politique de taux d’intérêt toujours plus bas qui était aussi une politique encourageant un financement très (trop) facile et très (trop) bon marché.

Mais cela oblige à remonter à un troisième niveau : si la classe dirigeante américaine a été amenée depuis 20 ans à retenir une politique de taux d’intérêt toujours plus bas jusqu’à atteindre des niveaux historiquement jamais vus (tant en taux nominaux qu’en taux corrigés de l’inflation), c’est parce que, depuis 20 ans, le dynamisme spontané de l’économie n’a cessé de s’affaiblir. Face à cela, ils ont entrepris de stimuler artificiellement leur économie : les taux bas encourageaient beaucoup d’agents privés à s’endetter et en encourageaient beaucoup d’autres à s’enrichir sur les marchés d’actifs (boursiers, obligataires, immobiliers…) pendant que les taux de plus en plus bas évitaient à l’Etat fédéral de voir s’enfler la charge d’intérêt sur une dette publique de plus en plus lourde.

Et on en arrive alors à un quatrième niveau d’explication. Les économistes américains reconnaissent et prennent acte désormais de ce mouvement prolongé d’affaiblissement de l’économie américaine. Mais ils ont laissé de côté le sujet essentiel : quelle est donc l’origine de cet affaiblissement ? Un critère qui devrait selon nous s’imposer comme déterminant dans l’analyse de cette question, c’est le critère chronologique. C’est à partir de 2000 que le mouvement d’affaiblissement s’est amorcé. Et c’est aussi à partir de 2000 que débute ce que certains appellent le passage de la mondialisation à l’hyper-mondialisation et que je préfère désigner, moi, comme le passage de la mondialisation à la sino-mondialisation.

En quoi consiste le passage à la sino-mondialisation ? En obtenant des dirigeants américains en 1999 son adhésion à l'OMC, la Chine a alors obtenu l’abolition de toutes les protections douanières à l’encontre des produits made in China et elle a pu soudainement concrétiser tous les avantages qui étaient issus de sa formidable sur-compétitivité contre tous les autres pays (Les chiffres sont approximativement. les suivants : En 2001 : le coût salarial ouvrier horaire en Chine était 80 fois moins cher que dans les pays industrialisés et 9 fois moins cher que dans les grands pays émergents ; en 2014, il est encore 30 fois moins cher que dans les pays industrialisés et 5 fois moins cher que dans les grands pays émergents).

Un tel  privilège commercial dévolu à la Chine ne pouvait que déstabiliser l’économie des Etats-Unis et du reste du monde.

Plus précisément, l’économie américaine (mais aussi celle de l’Europe, du Japon et des pays émergents) a été en tout cas affectée négativement par Pékin à travers quatre médiations :

- Aux Etats-Unis, du fait d'un déficit commercial explosif avec la Chine, le déficit commercial n’a cessé de s’alourdir depuis 2001. Cela freine mécaniquement la croissance de leur PIB ;
- Les investissements industriels des grandes entreprises américaines sur le territoire américain se font toujours plus rares parce que les investissements industriels de la planète tendent à se concentrer en Chine (la localisation des investissements industriels tend à se concentrer dans les pays où la main d’œuvre ouvrière est la moins chère). Cela porte aussi atteinte à la croissance du PIB  américain ;
- Les PME industrielles américaines ne survivent que très difficilement, confrontées qu’elles sont depuis 2001 à une concurrence ravageuse de la part des entreprises chinoises et aussi des multinationales occidentales opérant à partir de la Chine ;
- Enfin et surtout, des pressions de toutes sortes (économiques et politiques) se sont exercées pour que, soudainement depuis les années 2000, le coût salarial ouvrier horaire corrigé de l‘inflation cesse de progresser et commence à régresser significativement. La concurrence déloyale de la part de la Chine est désormais devenue tellement intense que les entreprises américaines (mais aussi européennes, japonaises, brésiliennes ou indiennes) sont obligées de réviser toujours plus à la baisse le pouvoir d’achat qu’elles accordent à leurs salariés ouvriers. Au total, la masse salariale et la consommation des ménages, pauvres et moyens, progressent désormais bien moins vite que le PIB, ce qui contribue aussi à réduire le rythme de croissance du PIB.

C’est donc au total, le surgissement en 2000 de la Chine, munie d’une sur-compétitivité absolue et d’une totale impunité douanière, qui a déstabilisé l’économie américaine (et celle du reste du monde).

Si l’on admet ce diagnostic, la thérapeutique de fonds aurait consisté pour Washington à refuser et à remettre en cause le privilège insupportable qu'il avait accordé à Pékin en 1999 et qui s'avérait détestable et déstabilisateur pour les Etats-Unis et pour le reste du monde.

Dès lors que, pour des raisons trop longues à expliquer ici, Washington a préféré renoncer à une telle thérapeutique, il ne pouvait que s’embarquer dans une fausse bonne politique, une politique court-termiste et aventuriste, une politique qui sollicitait de plus en plus les expédients et les artifices que nous avons décrits, une politique qui exposait l’économie américaine à des crises financières récurrentes.

Cette politique, à deux reprises, a certes limité à court terme la déstabilisation de l’économie américaine mais en lui inoculant en même temps une formidable vulnérabilité financière et économique.

La crise de 2000 ? Elle fut abrégée (fin de la récession franche dès début 2002) grâce à un formidable laxisme budgétaire et monétaire avant d’induire la crise de 2007/2009 (surendettement des banques jusqu’à en rendre plusieurs insolvables ; surendettement de nombreux ménages jusqu’à les rendre insolvables ; bulles boursières et immobilières….).

La crise de 2007 ? Elle fut abrégée (fin de la récession franche dès mars 2009) grâce aux mêmes expédients mais en introduisant à nouveau le risque d’une nouvelle crise financière….

C’est seulement si les Etats-Unis, prenant appui sur leurs alliés et sur de nombreux autres pays, se décidaient enfin à casser le privilège commercial auquel s'accroche Pékin qu’ils pourraient renouer avec une croissance spontanément dynamique (3 à 3,5% l’an), ce qui leur permettrait de rompre enfin avec l’infernal cycle économico-financier en trois phases dans lequel ils s’inscrivent depuis 2000 : « Taux d’intérêt maintenus trop longtemps trop bas », « Surendettement et Gonflement d’une Bulle immobilière et boursière », « Krach immobilier et boursier et Crise financière ». Ce jour là, les Etats-Unis mettraient fin à la vulnérabilité financière chronique dont ils sont l'objet depuis 2000.

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