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1998-2018 : la Banque centrale européenne fête ses 20 ans au lendemain d'une crise décennale qui a révélé l'ampleur de ses failles
©Capture écran France TV

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Après 20 ans d'existence, la BCE affiche un bilan d'une décennie 1998-2008 réussie et de dix années ininterrompues de crise entre 2008 et 2018. Un résultat qui est aussi bien le fruit des lourdes erreurs commises par son ancien président, Jean-Claude Trichet, que d'une politique monétaire mal pensée dès l'origine.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Scott Sumner

Scott Sumner

Scott Sumner a enseigné pendant plus de 30 ans l'économie à l'université de Bentley dans le Massachussets aux Etats-Unis. Détenteur de la Chair en politique monétaire du Mercatus Center, ses recherches se sont principalement orientées vers l'économie monétaire, et particulièrement sur le rôle de l'étalon-or pendant la Grande Dépression. Scott Sumner est auteur pour le blog TheMoneyIllusion.com et plus récemment de Econlog.econlib.org .

 

 

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Lars Christensen

Lars Christensen

Lars Christensen est un économiste danois spécialisé en économie internationale, marchés émergents et politique monétaire ayant plus de 20 ans d’expérience au sein de gouvernements et d'établissements bancaires. Il est l'auteur du site marketmonetarist.com. Son compte Twitter : @MaMoMVPY.

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Atlantico : Ce 1er juin, la Banque centrale européenne fête son 20e anniversaire. L'histoire monétaire de la BCE semble être coupée en deux, entre les années heureuses de 1998 à 2008, et une décennie perdue allant de 2008 à 2018. Comment expliquer cette situation ? Cette décennie perdue est-elle le résultat d'erreurs commises en 2008, dans un contexte de crise, ou faut-il y avoir des causes plus structurelles ?

Scott Sumner : La période de faible performance de la zone euro est en partie le résultat d'une croissance inadéquate de la dépense nominale (le PIB nominal, intégrant l'inflation), et en partie le résultat de problèmes structurels qui ont pu jouer un rôle spécifique dans certains pays. Cependant, même là ou les problèmes structurels sont un facteur (en Italie par exemple) une croissance plus rapide du PIB nominal aurait pu aider. Cette croissance inadéquate du PIB nominal a deux causes ; l’utilisation d'un objectif de maîtrise des prix et le fait d'avoir été incapable de remplir cet objectif. Ainsi, même si la zone euro avait atteint son objectif de 2% d'inflation pendant la période comprise entre 2008 et 2018, la croissance nominale aurait été insuffisante pour couvrir les besoins du marché de l'emploi de la zone euro. De plus, la BCE n'est pas parvenue à satisfaire à cet objectif d'inflation à 2%, ce qui a conduit à empirer la situation. Leur objectif est trop faible, et ils ont échoué à le satisfaire.  

Nicolas Goetzmann : La BCE est née de l'hypothèse qu'une union monétaire permettrait à terme d'obtenir une union politique. Un outil économique a été mis en place dans le but de servir un objectif politique, et c'est ce qui peut expliquer, en partie au moins, les difficultés rencontrées. Parce que c'est cette hypothèse qui a justifié de faire coexister au sein d'une même monnaie des pays extrêmement différents et qui n'avaient pas les mêmes intérêts. Ce contexte difficile aurait cependant pu être contenu en mettant en place un mandat plus équilibré que celui que nous connaissons. En effet, la BCE, héritière de la Bundesbank poursuit un objectif exclusif de stabilité des prix, c’est-à-dire dont le but principal est d'abord la protection du capital. Au contraire, les Etats-Unis, avec la FED, poursuivent un objectif appelée dual, qui est celui de la maîtrise des prix et la recherche de "l'emploi maximal", c’est-à-dire du plein emploi. La signification de ces différences est que la FED a pour mission de diriger l'économie américaine en équilibrant le rapport de force entre travail (recherche du plein emploi) et capital (maîtrise des prix), alors que la BCE poursuit un simple objectif de protection du capital, ce qui se fait au détriment du travail. Il n'est pas nécessaire d'aller beaucoup plus loin pour comprendre ce qu'il s'est passé en 2008. Le mandat de la BCE a été entendu de manière restrictive par le Président de l'époque, Jean-Claude Trichet, qui a commis l'exploit de faire deux fois la même erreur, en 2008 et en 2011, en resserrant la vis monétaire, c’est-à-dire en contractant l'activité. La première fois, il le fait pour protéger la zone euro de l'inflation alors que la récession était déjà en cours, ce qui était d'ailleurs totalement à contre courant de ce qui était fait aux États Unis. La seconde fois, en 2011, est la cause de ce que nous avons appelé la crise de la zone euro, parce qu'elle a entraîné par le fond les économies européennes convalescentes, comme l'Espagne, la Grèce, l'Italie et même la France. Mario Draghi est venu corriger le tir en 2012, en essayant de faire ce qu'il pouvait avec le mandat qui lui était attribué. C'est ce qui explique la reprise actuelle, mais les limites de son mandat expliquent aussi pourquoi la zone euro continue de traîner un taux de chômage de 8.5% alors que les Etats-Unis sont à 3.9%. Un rapport du simple au double alors que les deux continents affichaient un taux de chômage identique en 2010, c’est-à-dire 10%. Les performances enregistrées depuis lors peuvent être comprises par le mandat attribué à chacune des banques centrales. Le plein emploi est une priorité aux Etats-Unis, cela n'est pas le cas en zone euro. L'objectif de la BCE est trop restrictif, c'est la cause de l'anémie économique européenne qui dure depuis 10 ans.

Lars Christensen : La dernière décennie a évidement été compliquée pour la zone euro, et il n'y a aucun doute que la BCE a commis un certain nombre d'erreurs en 2008, mais également en 2011 et 2012, lorsque les taux d'intérêts ont été rehaussés prématurément. Cela étant dit, il est très difficile pour la BCE de faire les choses correctement, puisque la zone euro a été bâtie sur de sérieux problèmes structurels. Après tout, le question est de savoir s'il sera un jour possible pour la BCE de  conduire UNE bonne politique monétaire pour la zone euro avec des membres aussi différents, avec d'une part des pays comme l'Allemagne ou les Pays Bas, et d'autre part des pays comme la Grèce et l'Italie, avec la France au milieu.

Dans ces conditions, il apparaît que la BCE n'aurait pas réellement pu faire autre chose que de faillir dans le contexte du choc de 2008, mais la BCE elle-même n'a certainement pas rendu les choses plus simples.

En 2015, Mario Draghi mettait en place ce qui a été appelé l'assouplissement quantitatif européen. Cette opération a-t-elle été efficace ? Certains commentateurs, particulièrement en Allemagne, ont pu dire que ce plan était excessif, quand d'autres ont pu avancer que cela n'était pas assez. Comment évaluer cette opération ?

Scott Sumner : Le programme d'assouplissement quantitatif a eu un modeste effet expansif, mais a été incapable de parvenir à l'objectif fixé par le mandat. L'inflation est restée bien en deçà de la cible fixée. Une politique plus expansionniste était nécessaire.  

Nicolas Goetzmann : L'assouplissement quantitatif est un outil au service d'un objectif. L'objectif européen étant moins ambitieux que celui des Etats-Unis, il n'est donc pas anormal que les résultats soient différents. Cependant, Mario Draghi peut être présenté comme l'homme qui a sauvé l'euro, aussi bien par ses actes que par ses déclarations. Il n'est pas parvenu à mettre en place une stratégie aussi ambitieuse que celle menée outre-Atlantique, mais il est allé aussi loin que son mandat le lui permettait. La zone euro revient de loin, mais elle a encore du chemin à faire, parce que la politique monétaire qui a été menée au cours de ces 10 dernières années a fait perdre plus de 20 points de PIB au continent. L'enjeu n'est pas tellement de rehausser le montant alloué à l'assouplissement quantitatif, il repose plus surement sur une modification du mandat de la BCE, pour lui faire intégrer un objectif de plein emploi par exemple, ou idéalement un objectif de PIB nominal. 

Lars Christensen : Mario Draghi, après les échecs de Jean-Claude Trichet (en 2011-2012), a introduit le QE (quantitative easing-assouplissement quantitatif). Cela a certainement été un succès. Il a sorti la zone euro des abysses et de la déflation. Mario Draghi mérite sans doute beaucoup de critiques pour cela….Cela étant dit, même s Mario Draghi a fait du bon travail à la tête de la BCE, il ne peut corriger ce qui ne marche pas avec l'euro : il ne s'agit pas d'une zone monétaire optimale. Les États membres sont simplement trop différents pour que cela puisse fonctionner.

Qu'est ce qui pourrait être fait pour permettre à la BCE de proposer une politique monétaire plus adaptée ? Que peut-on anticiper de l'avenir de la BCE, notamment en pensant à son possible prochain président- qui pourrait être l'actuel dirigeant de la Bundesbank Jens Weidmann ?

Scott Sumner : La BCE aurait pu faire plus en matière d'assouplissement quantitatif, mais il aurait encore été plus efficace de changer d'objectif, par exemple un objectif de niveau des prix, ou même un objectif de PIB nominal. Selon moi, un objectif de PIB nominal serait trop controversé pour la BCE. Cependant, quand la prochaine récession arrivera, l'idée d'un objectif de niveau de prix, qui a été proposée par Ben Bernanke, pourrait être politiquement acceptable pour la zone euro, puisque cela permettrait d'assurer que l'inflation affiche une moyenne de long terme de 2%. Avec un tel régime, la Banque centrale promet de corriger tout excès ou toute faiblesse de l'inflation, s'assurant que l'inflation moyenne, au fil des années, corresponde à l'objectif fixé à la Banque centrale. Un ciblage par niveau permet des politiques plus expansionnistes pendant des périodes de fortes récessions, notamment lorsque les Banques centrales sont limitées par la borne 0 des taux d'intérêts.

La plus grande menace à laquelle fait face la BCE est que la faiblesse excessive de la croissance nominale conduise à une réaction populiste dans les pays qui subissent la croissance la plus faible, ce qui laisse place au doute quant à l'acceptabilité future de la zone euro. Une politique monétaire efficace n'est pas un remède miracle pour la croissance faible et des hauts niveaux de dettes, mais elle rend les problèmes moins sévères.  

Lars Christensen :  Je pense qu'un autre objectif, que l'objectif actuel qui est celui de la stabilité des prix, par exemple un objectif de PIB nominal aurait pu réduire les risques d'échec, mais encore une fois, par construction, il est difficile de faire fonctionner correctement la zone euro. Je dois admettre que je suis profondément inquiet de la nomination de Jens Weidmann à la tête de la BCE, parce qu'il va essayer de rendre la politique monétaire européenne plus stricte encore. Ce qui pourrait très facilement redéclencher une crise européenne et potentiellement l'explosion de l'euro. Je croise les doigts pour que cela n'arrive pas.  

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