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18 juillet 2007 : le premier 100m d'Usain Bolt dans l'indifférence totale
©Reuters

Bonnes feuilles

Le seul athlète à avoir conquis neuf médailles d'or olympiques a raccroché ses pointes à l'été 2017. C'est non seulement un monument de l'athlé qui s'en va mais c'est aussi le sauveur d'une discipline qui était en perdition (dopage, fraudes, corruption...) à son arrivée sur les pistes. Depuis des années, Bolt est la seule authentique star planétaire du premier sport olympique, un sport en crise qu'il a porté médiatiquement et économiquement sur ses épaules. Extrait de "Bolt, le messie malgré lui" de Nicolas Herbelot, publié aux éditions Solar (1/2)

Nicolas  Herbelot

Nicolas Herbelot

Nicolas Herbelot est journaliste à L'Equipe

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Pour Usain Bolt, les Jeux de Pékin en 2008 avaient quelque chose du hold-up parfait. Car non seule‑ ment il était inconnu du grand public une semaine plus tôt, mais les spécialistes ignoraient eux-mêmes un an auparavant qu’il ambitionnait de courir le 100 m un jour. Et pour cause ! Le Jamaïquain s’en moquait alors complètement lui-même. D’une certaine manière, Usain Bolt est entré par effraction dans cette discipline sans laquelle il ne serait jamais devenu l’icône qu’il est. Et finalement, presque personne n’a vu ce qui constitue de ce point de vue la course la plus importante de sa carrière. Son 100 m oublié. Le 100 m fondateur. Je n’y étais pas et je n’en ai trouvé aucun compte rendu nulle part. Ça méritait enquête. Cette course eut lieu un an plus tôt dans l’anonymat le plus total en Crète, dans la cité antique de Réthymnon, le 18 juillet 2007, lors du 23e meeting Vardinoyiannia. Un petit meeting au label « européen », sorte de troisième division internationale, aujourd’hui disparu depuis que la crise a durement frappé la Grèce… Le stade Gallos qui l’accueillit ressemblait à beaucoup de ces stades champêtres que l’on retrouve en France, flanqué d’une unique petite tribune de 1 300 places, côté ligne d’arrivée. Sauf que ce stade a, lui, une vue imprenable sur la mer Égée. Après sa traversée du désert, de blessures en rendez-vous manqués des années 2004‑2006, Bolt avait enfin trouvé comment gérer les tensions générées par sa scoliose grâce au docteur Hans-Wilhelm Müller-Wohlfahrt. Son coach Glen Mills estimait donc qu’il était temps qu’il sorte de son cocon du 200 m pour aller à l’évidence, le 400 m.

Le garçon semblait programmé pour succéder à Michael Johnson sur les deux distances. Jeune, il avait déjà fait merveille sur le tour de piste : 45′′35 à seize ans ! Au début de l’été 2007, le 5 mai, toujours à Kingston, il rabotait donc ce record à 45′′28. Preuve que Mills n’a pas la science infuse, il pensait comme tout le monde que l’avenir de son poulain était sur cette distance, la plus longue du sprint. « Je le trouvais trop grand pour le 100 m », résume-t‑il. Mais l’idée inquiétait Bolt, qui avait conçu une aversion à l’égard du 400 m et de l’effort lactique qu’il suppose. Quand le lactate monte depuis les jambes en raréfiant l’oxygène dans les muscles au point de vous couper les jambes, et dans le cerveau au point de vous donner le vertige. Et qu’il retourne tout le corps, jusqu’à l’estomac, au point de vous faire vomir sur le bord de la piste. Lui préférait donc doubler le 200 m avec le 100 m. Pour donner sa chance au phénomène, une chance qu’il pense alors illusoire, le rusé Mills lui lance un contre-pari. « Il lui a dit : “Tu pourras courir un 100 m si tu bats le record national du 200 m avant !” », se souvient Ricky Simms, l’agent de l’athlète. Le record en question n’avait rien d’inaccessible pour Bolt, qui s’en était approché à deux centièmes l’année précédente (19′′88 contre 19′′86). Mais il avait une forte valeur symbolique en Jamaïque car il était la propriété de Don Quarrie, légendaire gloire passée de l’île, depuis 1971. L’affaire fut pliée le 24 juin, lors des sélections jamaïquaines aux Mondiaux 2007 à Kingston, en 19′′75. C’est ainsi que Bolt eut droit à son premier 100 m d’adulte, le premier depuis que, gamin, Keith Spence lui mettait des volées au tournant du siècle.

À l’été 2016, quand je l’ai croisé à Ostrava, Simms a fait un bond de dix ans dans le temps pour se remémorer les circonstances : « Usain m’avait mendié cette course toute l’année. Il m’avait ordonné de tricher avec le coach pour courir ce 100 m.

– Comment ça tricher ?
– Du genre, dis-lui qu’il n’y a pas de 200 m au programme ou, mieux, que le 200 m a été annulé au dernier moment et remplacé par un 100 m. Il me mettait une grosse pression mais je lui disais que le coach n’était pas stupide.
– Comment avez-vous atterri en Crète ?
– On avait discuté avec Usain et comme il n’avait pas trop le droit à l’erreur, on avait cherché un endroit au chaud, plutôt que Glasgow par exemple. Au moins, en Crète, on avait des certitudes sur la météo.
– Et sur le chrono ?
– Aucune. À l’époque, Wallace Spearmon, dont Usain était très proche depuis leurs années juniors, avait couru quelques 100 m sans être très convaincant. Donc on pensait qu’Usain ne serait peut-être pas dernier mais au milieu du peloton. En 10′′1 et quelques. Il n’avait eu aucun entraînement spécifique. »

En 10′′03, à Réthymnon, Bolt avait entre autres battu les Américains LeRoy Dixon et Wallace Spearmon et le Français Martial Mbandjock. Il se situait avec ce chrono au douzième rang mondial d’un été qui verra Asafa Powell descendre son record du monde à 9′′74 en septembre. Bref, les experts n’y avaient vu qu’un chrono certes intéressant mais somme toute anecdotique à l’échelle de l’histoire et des JO qui s’annonçaient l’année suivante. Bolt s’en moquait. Car comme le souligne Simms : « Après Réthymnon, Usain ne pensait pas devenir le meilleur du monde sur 100 m un an après. Il faut se souvenir que, pour lui, c’était juste une performance qui lui permettait de doubler 100 m et 200 m plutôt que 200 m et 400 m. »

Extrait de "Bolt, le messie malgré lui" de Nicolas Herbelot, publié aux éditions Solar

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