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15 août 1811 : ces querelles de préséances entre notables lors de la Saint-Napoléon annonçaient l'existence d'un nouvel ordre social
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Bonnes feuilles

Tout l'été, Atlantico publie les bonnes feuilles de livres remarquables. Aujourd'hui, "15 août 1811 : l'apogée de l'Empire ?" de Charles-Eloi Vial. Extrait 2/2.

Charles-Eloi Vial

Charles-Eloi Vial

Archiviste paléographe, docteur en histoire de l'université Paris-Sorbonne, Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France. Il a notamment publié chez Perrin une biographie de Marie-Louise (prix Premier Empire de la fondation Napoléon), La Famille royale au TempleNapoléon à Sainte-Hélène et 15 août 1811. L’apogée de l’Empire ?

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"Il ne s’était pas tant agi, pour le Premier consul puis pour l’empereur, de mettre fin à la Révolution en remettant de l’ordre dans la société. Il fallait avant tout remettre la société en ordre. Les fêtes publiques, particulièrement la Saint-Napoléon, en constituent l’exemple parfait. Ces réjouissances permettent à la France de l’époque de se donner à voir à elle-même en aplanissant, autant que possible, les tensions sociales et les conflits hérités de la fracture révolutionnaire, les élites se subdivisant alors en un réseau subtil de hiérarchies entre les anciennes familles de la noblesse ou de la bourgeoisie et celles de notabilité plus récente, enrichies depuis 1789. Pour tout ce qui concerne les questions de préséance entre les représentants des différents groupes sociaux, l’Empire s’inscrit pourtant dans la lignée de l’Ancien Régime où de tels conflits étaient monnaie courante. Certaines de ces querelles font curieusement écho à celles de l’ancien temps : à Orléans, la fête de Jeanne d’Arc, rétablie par Bonaparte en 1803, donne ainsi lieu chaque année à des disputes entre magistrats et conseillers municipaux faisant directement écho à celles de la municipalité et du bailliage avant la Révolution.

Toutefois, même si la division de la société en trois ordres a théoriquement disparu en 1789, une nouvelle fracture se fait jour. Le sens des préséances entre notables est devenu si fort que, dans certaines villes, des plans ont été dressés afin d’assigner une place distincte aux différentes catégories sociales appelées à assister aux cérémonies officielles, avant tout destinés à mettre en avant la « majesté administrative » : préfet, sous-préfet, conseiller de préfecture, commandants militaires, médaillés de la Légion d’honneur, présidents et membres des tribunaux criminels, de première instance, de commerce ou de la douane, juges de paix, maire, conseillers municipaux, agents de police, huissiers, administrateurs des lycées, officiers de la Garde nationale, grands propriétaires terriens ou manufacturiers, et enfin le public, les plus riches devant et les pauvres les plus éloignés du chœur. L’organisation des fêtes publiques donne ainsi lieu à des querelles aussi complexes que celles qui occupent les officiers de la cour impériale responsables de l’étiquette. Le ministre de l’Intérieur échange régulièrement avec les autorités locales sur ces questions épineuses, grâce auxquelles les notables retrouvent peu à peu leur place au sein d’un ordre social un temps bouleversé.

Comme l’a noté Jean-Paul Bertaud, ces querelles souvent absurdes montrent surtout la « fatuité des notables » et la mesquinerie des fonctionnaires procéduriers et avides de reconnaissance. La plupart de ces affaires remontent au Consulat ou au début de l’Empire, les dernières années du règne ne recouvrant qu’un nombre réduit de dossiers. Comme à la cour des Tuileries où l’organisation de la fête de l’empereur fait désormais partie de la routine, la raréfaction des correspondances des préfets, sous-préfets et maires relatives à l’organisation des fêtes publiques montre cependant que l’œuvre de réorganisation était en voie d’achèvement. Seuls cinq documents évoquent la Saint-Napoléon du 15 août 1811. Dans certains cas, il ne s’agit que d’amour-propre : le sous-préfet de Chinon, Fortin, est ainsi visé par une plainte du curé après avoir insisté pour être raccompagné chez lui par la totalité du cortège des notables, tandis que d’Argenson, préfet des Deux-Nèthes, se plaint de devoir céder le pas au préfet maritime d’Anvers. La principale question préoccupant alors les autorités était celle du siège à accorder aux auditeurs au conseil d’État nommés à des sous -préfectures, dont le rang a été fixé par un décret du 1er juin mais que certains préfets ont du mal à placer sur les bancs des églises au jour de l’anniversaire de l’empereur, comme celui de la Doire, qui semble perplexe. Doivent-ils être assis côte à côte avec le secrétaire général de préfecture au deuxième rang ? Ou faut-il placer ces derniers au premier, avec le préfet, le maire et le président du tribunal de première instance ? Dans la Manche, le sous-préfet de Saint-Lô se pose les mêmes questions, comme son collègue préfet du Mont-Blanc à Annecy. À ces quelques incertitudes près, la fête se déroule dans tout l’Empire selon un canevas déjà éprouvé par plusieurs années de pratique, chaque individu connaissant sa place, non seulement dans le cadre des cérémonies, mais également au sein de la société. Un ordre dû à un seul homme, si parfait qu’il semble désormais immuable."

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