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15 ans d'habiletés politiques et de demi-mensonges : comment François Hollande ne s'est jamais donné les moyens de mener la politique à laquelle il croit
©Reuters

Quand c'est flou...

Les déclarations de François Hollande, mardi, à Washington, concernant l'accord d'échanges entre les Etats-Unis et l'Europe, marquent un nouvel accroc entre le président et une partie de la gauche. Entre les nombreuses contradictions avec lui-même et celles avec sa "famille" politique, la rupture semble irrémédiable.

André Bercoff et Christophe de Voogd

André Bercoff et Christophe de Voogd

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton. Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), de Qui choisir (First editions, 2012) et plus récemment de Moi, Président (First editions, 2013). Son dernier essai  Je suis venu te dire que je m’en vais est paru chez Michalon en novembre 2013.

Christophe de Voogd enseigne l'histoire des idées politiques, l'historiographie et la rhétorique à Sciences Po ainsi qu'au sein du Conseil des Ministres à Bruxelles. Ses publications portent essentiellement sur l’histoire et l’actualité néerlandaises. Il est notamment l'auteur de Histoire des Pays-Bas publié chez Fayard ( 2003) et Pays-Bas : la tentation populiste (note de la Fondapol 2010).

Normalien, agrégé et docteur en histoire, il anime le blog Trop libre de la Fondapol. Mais s'exprime sur Atlantico à titre personnel.

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Atlantico : Mardi, à Washington, François Hollande a déclaré qu'il fallait aller vite concernant l'accord d'échanges entre les Etats-Unis et l'Europe. Un accord qu'une partie de la gauche refuse en bloc. Avec ce qui s'apparente à un nouvel accroc après le report sine die du projet de loi Famille, le chef de l'État est-il en train de totalement se couper de sa majorité ? Quels autres signes semblent indiquer une rupture ?

André Bercoff : Primo : Hollande vient de sceller avec Obama la répartition des rôles en Afrique. L’armée française est sur le terrain, les Américains assurent l’infrastructure et quelques poignées de dollars, mais pas les boys qu’il s’agit pour le moment d’exfiltrer d’Irak et d’Afghanistan. Au-delà de l’horizon guerrier et anti-terroriste, les Etats-Unis, même s’ils sont tournés de plus en plus vers l’Asie, et l’Europe, même si elle est partagée entre ses cigales du Sud qui se remettent au travail et ses fourmis du Nord qui essayent de tenir leur rang, savent qu’ils ont besoin de continuer à former couple afin que l’Occident ne devienne pas l’homme malade de la planète. Quant à la majorité "hollandaise", elle ne rompra pas le cordon, même s’il n’est plus ombilical. La perspective, en ce moment, de retourner devant les électeurs, ne leur paraît pas la plus réjouissante. On les comprend.

Christophe de Voogd : François Hollande se coupe d'une partie de sa majorité parce que celle-ci est très hétéroclite : il est bien des habitants dans la demeure du président ! Il est clair que sa politique s'écarte de la gauche de la gauche. Ce n'est pas une nouveauté et ses mots sur l'accord entre l'Europe et les Etats-Unis ne sont qu'un exemple supplémentaire même si je ne crois pas qu'ils cristallisent réellement les passions de la gauche dans les semaines à venir. Le report de la loi Famille est, en revanche, un tournant absolument majeur puisque il a l'air de signifier la fin des réformes sociétales. Or, ces réformes étaient un gage donné à la gauche de la gauche. Il y a donc un changement qui, à mon avis, est sous-estimé et qui aura des conséquences très importantes sur la suite du quinquennat. D'une part, il y a une rupture avec la gauche libertaire. D'autre part, ce recul va rendre le gouvernement de la France très difficile.

Cependant, la rupture n'est pas totalement consommée car la gauche de la gauche n'a pas d'autre alternative. Vu ce qu'elle représente dans le pays, elle ne peut pas former une force majoritaire alternative. Au sein du PS, François Hollande devrait donc toujours arriver à maintenir la majorité. Il devrait en revanche se séparer, après les élections européennes, des Verts qui ne lui apportent que des ennuis et ne représentent qu’eux-mêmes.

Qu'est-ce qui, dans le parcours de François Hollande et dans sa pratique du pouvoir à la tête du Parti socialiste, permet de d'expliquer qu'une telle rupture finisse par se produire ?

André Bercoff : Elle ne se produira pas. L’art de gouverner consiste aussi à avaler des couleuvres, même si elles se transforment en boas. Il est clair que le ressentiment des écologistes d’un côté, et de la gauche du PS de l’autre, s’apparentera bientôt à de la haine rentrée devant pareille cacophonie. Mais la politique est aussi une question de survie et la Constitution, si le Roi le désire, leur permet de tenir encore pendant plus de trois ans.

Christophe de Voogd : François Hollande a tout fait pour reculer les décisions dans plein de domaines. A la tête d'un parti d'opposition, il est assez facile de ne pas prendre de décision. Mais, maintenant, il est face à l'épreuve des responsabilités, il est obligé de prendre des décisions. De fait, ne pas faire de choix est, en soi, une décision : la pire. C'est ce qui explique le délitement du lien entre lui et le pays.

Est-ce la conséquence logique des 10 années animées principalement par une volonté de synthèse qui finalement n'est parvenue à souder personne ?Quelle part de responsabilité l'ancien premier secrétaire du PS porte-t-il dans l'éclatement des lignes politiques ?

André Bercoff : Je l’ai dit et écrit mainte fois, et suis loin d’être le seul : pendant plus de dix-huit mois, François Hollande gouvernait comme s’il était encore rue de Solferino, Culbuto entre les courants, dont la devise fut pendant onze ans : thèse, antithèse, prothèse. Il jette le masque aujourd’hui pour faire un socialisme de l’offre et de l’entreprise, sauf que le Medef lui envoie à la figure ses « contreparties » et que la Cour des Comptes lui demande des efforts largement supplémentaires. Sa responsabilité, c’est qu’il aurait dû trancher dès son premier mois à l’Elysée. Mitterrand pouvait s’amuser pendant deux ans. Hollande, non. On mesure aujourd’hui les dégâts.

Christophe de Voogd : C'est moins le problème de François Hollande que celui du Parti socialiste qui n'a jamais été capable de faire son "aggiornamento", c'est-à-dire, comme l'ont fait le Labour au Royaume-Uni ou le SPD en Allemagne, de prendre un virage idéologique et d'accepter vraiment l'économie de marché. Quand on regarde la déclaration de principes de 2008, on s'aperçoit que le parti est sans arrêt entre deux lignes : une ligne encore marxiste, très hostile à l’entreprise et une ligne sociale-démocrate. Ça n'a jamais été tranché et ça ne l'est toujours pas.

François Hollande est à la fois le fils de Jacques Delors et de François Mitterrand. Il a toujours été sur la ligne sociale-démocrate, comme Delors. Mais, du point de vue tactique, il a été marqué par Mitterrand, avec une volonté de ne jamais sortir de l'ambiguïté. Mais, si Mitterrand pouvait faire semblant de ne pas changer tout en changeant, Hollande ne le peut pas, du fait de la durée et de la dureté de la crise. C'est l'élément qui change tout. Mais, sur la longue durée, François Hollande n'est finalement que le reflet d'un parti qui depuis 1983 et le fameux virage inavoué de la rigueur ne sait pas choisir entre deux lignes.

Cette obsession de la synthèse était-elle compatible avec une véritable réflexion sur un projet socialiste fédérateur ? Sous François Hollande, le PS s'est-il pensé (ou a-t-il cessé de le faire) ?

André Bercoff : Le PS a oublié de penser entre 2002 et 2012. Tout occupé de reprendre le pouvoir, il n’a pas analysé assez profondément le monde dans lequel nous sommes rentrés. Résultat : quelques bonnes intentions, quelques bonnes idées, mais un amateurisme dans la stratégie et un bordélisme dans la tactique qui laissent pantois. La manière avec laquelle il tente de violer la société française pour lui faire des enfants par procréation idéologiquement assistée, relève plus de la camisole de force que de la persuasion. Résultat : une partie du peuple jette l’enfant des réformes avec l’eau du bain sociétal, identitaire et économique dans laquelle on patauge.

Christophe de Voogd : Il y a évidemment des gens qui pensent au PS mais il n'y a pas de ligne claire depuis 30 ans. Cela a été amplifié par François Hollande mais également par les alternances. Soit on est au pouvoir et on gère les affaires, soit on est dans l'opposition et on se concentre sur la conquête du pouvoir. Le rythme a encore été accéléré par le quinquennat. Du coup, on évite les cures d'opposition trop longues qui obligeraient à réfléchir sur les fondements.

Cette défiance grandissante de la majorité à l'égard du président a-t-elle également à voir avec un refus de la culture du chef ?

André Bercoff : Encore faut-il qu’il y ait un chef et qu’il accepte de tenir son rang.

Christophe de Voogd : François Mitterrand a quand même été un chef long, durable et respecté. Je ne crois pas au refus de la culture du chef à gauche. Mitterrand a imposé un virage radical en 1983 mais il n'a été que marginalement contesté. A l'époque, ce sont les communistes qui sont partis. Cette fois, ce seront les écologistes.

L'image du chef est peut-être moins importante qu'à droite, moins dans sa culture politique, mais je crois que fondamentalement, la gauche veut un chef. Les hésitations permanentes et les reculades frustrent d'abord les socialistes. Surtout en période de responsabilités, il y a une volonté de clarification à gauche, l'envie d'un cap clair. Par définition, dans la Ve république le président est à la fois le problème et la solution.

Comment dans ces conditions François Hollande peut-il continuer de gouverner ? Avec quelles méthodes ?

André Bercoff : Il a les moyens – Vème République oblige – à imposer à sa majorité des réformes aussi nécessaires qu’urgentes. Le 49-3 n’est pas fait pour les chiens, les explications claires et précises non plus. Pour réussir un pacte de responsabilité, il n’y a qu’une manière : prendre le peuple à témoin, mettre tout sur la table puis décider. Trancher. Sanctionner. Et n’avoir peur ni de la rue, ni des corporations. Vaste programme, mais sinon, le futur  louvoiera  entre la lente implosion ou la subite explosion.

Christophe de Voogd : Le gouvernement est désormais hors d'état de gouverner. Peu importe que ce soit réel ou non, François Hollande a changé de discours économique. Il est confronté à la fois aux surenchères de sa gauche et au scepticisme du patronat. Et comme il vient de changer de discours sur les questions sociétales, le président ne peut plus avancer, avec la majorité actuelle, sur ces deux fronts. C'est mathématique. Comment par exemple faire passer la loi Taubira sur la réforme pénale qui irait totalement à l’encontre de l’opinion publique ? Je prédis là encore une reculade et un ajournement de prudence…

Ne l'oublions pas en effet, il a face à lui une forte opposition de la droite et une autre, encore inclassable, que l'on retrouve dans la rue. Cela va s'amplifier car les manifestations sont encouragées par les reculades. On l'a vu sur l’écotaxe et la loi Famille. Est-ce que cela va être de même avec les taxis ? Ces phénomènes vont se multiplier. Dans les prochains mois le gouvernement sera donc réduit à l’expédition des affaires courantes. Le « pacte de responsabilité » sera le premier à en faire les frais. L’autre scénario, en effet, à savoir, la prise de décisions courageuses en matière de dépenses publiques pour permettre la conclusion du pacte, se heurterait au cœur même de l’électorat du PS. Impossible en période électorale. Et très difficile après !

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