15 000 emplois créés : le CICE est-il à la hauteur des enjeux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour maintenir le taux de chômage à un niveau stable, la France doit créer 120 000 emplois par an.
Pour maintenir le taux de chômage à un niveau stable, la France doit créer 120 000 emplois par an.
©Reuters

Premier bilan

Le gouvernement ne reviendra pas sur les modalités du CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) dans le projet de budget 2014, comme le réclame l'aile gauche du PS, a assuré le ministre délégué au Budget Bernard Cazeneuve.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Présenté avec enthousiasme par le gouvernement comme une arme innovante et efficace pour la compétitivité et l’emploi, au cœur du programme de stabilité 2013-2017,  le Crédit  Impôt Compétitivité et Emploi est un élément clef dans la stratégie gouvernementale d’aide aux entreprises en attendant, activement, la reprise mondiale. C’est dire que toute donnée concernant l’efficacité de ce dispositif est scrutée avec anxiété.

Les chiffres annoncés par l’INSEE le 3 octobre laissent penser que 15 000 emplois pourraient été créés au second semestre par ce dispositif. Rappelons que pour maintenir le taux de chômage à un niveau stable, la France doit créer 120 000 emplois par an avec un stock de chômeurs de cinq millions de personnes. Cette information reste toutefois à prendre avec prudence. Car le dispositif n’a vraiment décollé qu’à partir de juin. Créer des emplois pour un chef d’entreprise ne résulte pas de la réaction immédiate à une mesure spécifique, mais de la prise en compte de tous les paramètres qui déterminent la compétitivité de l’entreprise : demande, concurrence, prix, marges, charges, fiscalité. Plus encore, le chef d’entreprise a besoin d’avoir confiance dans la stabilité de ces paramètres, au moins de ceux qui relèvent d’une décision publique.

Rappelons rapidement le mécanisme du CICE  mis en place par le gouvernement en novembre 2012. Le CICE permet à tout  chef d’entreprise qui paye des impôts sur les sociétés, ou sur le revenu, de constituer immédiatement en déduction de cet impôt, dès le début 2013, un crédit de 4% de la masse salariale de 2013, puis 6% en 2014. Ce montant est plafonné à 2,5 fois le SMIC. Il peut aussi céder, si besoin est, cette créance  à la BPI ou à une banque contre une  avance de trésorerie. Cette créance sera ensuite remboursée par l’Etat à l’établissement financier. Sur le papier, ce mécanisme doit inciter les chefs d’entreprise à conserver dans leurs effectifs les personnes gagnant entre un et 2,5 fois le SMIC, soit 3 575 € par mois. C’est donc clairement un système de baisse du coût du travail pour les seules entreprises qui ont une part importante de salariés dans les premières tranches salariales. Il permettrait, selon ses promoteurs,  à 1,5 million d’entreprises d’acquérir une créance fiscale de 13 Md€ dès 2013, et de 20 Md€ dès 2014. Une étude de l’OFCE, datée de février  2013, évalue l’impact maximal sur cinq ans du CICE à la création de 150 000 emplois. Cette baisse des charges sera financée en 2014 pour moitié par des réductions de dépenses publiques et pour moitié par diverses hausses d’impôts, dont  une hausse de la TVA pour 6,4 milliards €.

Injecter à courte des liquidités dans la trésorerie des entreprises, puis baisser les charges, ne peut pas avoir d’effet négatif. Mais établir un lien avec la création d’emplois à court terme, comme le fait l’INSEE, reste un exercice périlleux et certainement prématuré tant les facteurs à prendre en compte sont multiples. Le seul et unique facteur qui va inciter un entrepreneur à créer des emplois ce sont les commandes. Face à de nouvelles commandes, les entreprises cherchent en premier lieu à saturer leurs capacités de production propres, puis recourent à l’intérim et aux heures supplémentaires, et enfin seulement embauchent en contrat à durée déterminée, puis indéterminée. Pour cela, compte tenu de la rigidité propre au système français, elles doivent être convaincues qu’elles pourront conserver durablement leurs nouveaux salariés. Il y a donc une gradation des mesures d’adaptation à un signal positif du marché qui prend nécessairement du temps. 

Les mesures d’allégement des coûts sont toujours bienvenues mais sont souvent intégrées comme un effet d’aubaine sans changer les comportements des entreprises si les signaux du marché ne sont pas suffisamment encourageants. L’économie réelle prend toujours le pas sur les mesures d’accompagnement qui elles sont temporaires et marginales. Or seule la consolidation des signaux de croissance en 2014 pourra inciter les entreprises à embaucher. Si comme le prévoit l’INSEE dans une étude publiée le 3 octobre, le PIB atteint une croissance de 0,2% en 2013, cette croissance, même très modeste, pourrait déclencher une spirale vertueuse. Mais l’INSEE prévoir également au second semestre la poursuite de la contraction de l’emploi à hauteur de 31 000 emplois après huit trimestres consécutifs de hausse du chômage. Ces chiffres traduisent une amélioration par rapport aux 76 000 pertes d’emplois du premier semestre 2013.

Le système du CICE a été initialement critiqué, car perçu  comme complexe et inefficace dans la compétition internationale. Il favoriserait  les entreprises qui ont les salariés les moins bien rémunérés. Cette critique est partiellement inexacte, car 3 500 € par mois représente plus que le salaire médian, 1 675 € par mois et que le salaire moyen, 2 410 € mois en 2012. La mesure touche en effet 83% des emplois mais l’étude de l’OFCE fait apparaître que ce sont la construction (89% des emplois) et les services (84%)  qui en seront le plus bénéficiaires. Il est vrai qu’elle ne concerne pas vraiment les entreprises de pointe à forte valeur ajoutée dans lesquelles les salariés les plus qualifiés, ingénieurs et cadres commerciaux, dépassent le seuil de 42 000 € bruts annuels.

Les mesures de mise en œuvre ont allégé les dispositions administratives. Par ailleurs, l’instruction fiscale du 12 juillet 2013 se montre peu contraignante dans l’utilisation de ces moyens. Destiné à "financer l’amélioration de la compétitivité des entreprises à travers notamment des efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement" le CICE qui ne serait pas affecté à ces objectifs, fort larges en pratique, ne se verra pas sanctionné. Les montants versés fin août à 9 500 entreprises s’élevaient à 870 millions €. Ce n’est toutefois qu’en 2014 que toutes les entreprises pourront effectivement constater sur leur compte d’exploitation la baisse des charges 2013.

Néanmoins, les dirigeants d’entreprise sont très perturbés par l’incertitude fiscale qui règne à Bercy. Or si la CICE se traduit efficacement par un allégement visible des coûts, d’autres impôts menacent le compte d’exploitation des entreprises et perturbent gravement les initiatives.  Alors qu’on parlait à Bercy début septembre de la suppression de l’impôt forfaitaire annuel (IFA), payable même en l’absence de bénéfices, et de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui rapporte 5 milliards € par an, assis sur le chiffre d’affaires, ainsi que l’abaissement de 33,3% à 30% du taux de l’impôt sur les sociétés,  Bercy a introduit le principe d’un impôt encore inédit, l’impôt sur l’excédent brut d’exploitation (EBE)*, qui intègre les amortissements et les provisions avec une assiette plus large que l’impôt sur les bénéfices, pour… remplacer les précédents. Cette mesure n’est pas encore stabilisée ni dans son taux, ni dans son assiette ni peut-être même dans son principe.  Ces va-et-vient fiscaux paraissent improvisés et sans étude préalable d’impact alors que l’économie est un domaine fragile et sensible où la confiance est difficile à gagner mais très facile à se dégrader.

Souffler le chaud et le froid en matière économique est une injonction paradoxale. Si nul ne disconvient parmi les dirigeants d’entreprise que baisser les dépenses publiques et réduire le déficit sont des stratégies indispensables, qui commencent à se mettre concrètement en place, ils souhaitent que le cap soit clairement fixé et que les faits soient en ligne avec les déclarations du Président de la République devant des chefs d’entreprise fin septembre : 'C’est par les entreprises que nous arriverons à assurer la réussite du pays'.

*Ps : Ce dimanche, Pierre Moscovici annonce le retrait du projet de taxation de l'EBE au profit d'une surtaxe provisoire sur l'impôt sur les sociétés.

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