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14 juillet et crise de doute nationale : qui est fier d’être français en 2016 ?
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Un sondage Ifop en exclusivité pour Atlantico.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : 80% des Français se déclarent fiers d'être français. Que pensez d'un tel résultat dans un moment ou le pays semble confronté à fort clivage identitaire, et un rejet massif de sa classe politique ?

Jérôme Fourquet : On constate dans cette enquête que 80% de la population s'estime fière d'être française, c'est un score très élevé. On parle souvent de l'autodénigrement qui serait un sport national en France, or, on voit que80% de la population ne communie pas dans ce sentiment-là dont un gros tiers est même très fier de sa qualité de français.

En 6 ans, au regard d'une précédente enquête réalisée également à la veille du 14 juillet en 2010, la fierté française n'a pas pris une ride et a même gagné en intensité puisque nous sommes passés de 29% de "très fier" en 2010 à 37% aujourd'hui. Cette remontée peut s'expliquer en partie par la récente coupe d'Europe de football qui a pu amener du baume au cœur au sentiment national. 

Il y a donc une stabilité entre 2010 et 2016 alors même que la majorité politique est différente et que notre pays a subi entre ces deux dates le prolongement de la crise économique (avec tous les dégâts que cela cause) et les attentats terroristes qui ont révélé un certain nombre de fractures françaises. 

Quand on compare avec une date plus ancienne, l'année 2009, on voit qu'une baisse du sentiment de fierté s'était opérée entre 2009 et 2010. Vraisemblablement, le point de 2010, avec 79% de Français qui se disaient fiers à l'époque, était une anomalie dans la mesure où cette réponse était inscrite dans un contexte particulier, celui du lancement du débat sur les valeurs et l'identité nationale.

Maxime Tandonnet : Ce résultat va à l'encontre des idées reçues selon lesquelles la mentalité contemporaine est dominée par le seul repli individualiste, la passion de l'argent et de la consommation. La fierté d'être français, selon cette enquête, caractérise toutes les générations, y compris les plus jeunes. Dans les périodes de trouble et de doute, de peurs et d'angoisses, la Nation reste une valeur refuge. La France a été ensanglantée et profondément traumatisée par les attaques terroristes de janvier et du 13 novembre 2015. Dans le contexte de cette agression contre la France, le reflexe de solidarité nationale et de patriotisme est naturel. L'attachement à la Nation peut aussi s'expliquer comme une réaction contre les tentations identitaires et le repli communautariste. Les Français sentent bien la tendance à l'implosion de la société et expriment leur besoin d'unité autour d'une valeur commune, la Nation. L'affirmation de l'attachement à la Nation peut aussi s'interpréter comme la quête de références traditionnelles devant les incertitudes de la mondialisation. Le monde se transforme sous l'impact des technologies, en particulier d'Internet, de la circulation des hommes, des images, des idées, des marchandises et des capitaux. La fierté nationale correspond ainsi à un besoin de repère dans la tourmente. L'impopularité de la classe politique n'y change rien. La Nation est une communauté historique qui transcende les clivages idéologiques et les partis politiques.  

Ce sentiment de fierté est-il partagé par l'ensemble de la population française ?

Jérôme Fourquet : Si le sentiment de fierté est relativement stable entre 2010 et 2016, on constate néanmoins deux évolutions :

1) Une progression sensible de la fierté nationale dans l'électorat PS : +14 points sur le total "oui" entre 2010 et aujourd'hui et +33 points sur le "oui, très fier". 

2) Inversement, on constate une baisse de 5 points sur le total "oui" dans l'électorat LR et de 10 points sur le "oui, très fier". 

Cela indique, que les interviewés répondent en partie en fonction de leur appartenance partisane : on se sent d'autant plus fier aujourd'hui d'être français quand c'est un membre du PS qui siège à l'Elysée. Le même mécanisme s'applique de manière inversée pour les électeurs de droite qui se sentaient plus à l'aise avec leur identité nationale quand elle était incarnée par Nicolas Sarkozy que quand c'est François Hollande qui les représente. 

Par ailleurs, il y a très peu d'écart. Que ce soit hommes/femmes, en termes de génération ou encore en termes de région, on est sur un score massif de 80% : le sentiment de fierté est présent avec à peu près la même intensité dans toutes les classes, toutes les catégories de la population.

Un groupe social se distingue : les artisans, commerçants chefs d'entreprise ne sont que 66% à être fiers (12 points de moins que la moyenne). Cela s'explique en partie par l'image que le pays a donnée ces derniers mois avec les grèves à répétition, les manifestations violentes : cette image est de nature à heurter une partie de ces artisans, commerçants, chefs d'entreprise qui ne se retrouvent pas dans cette France des grèves, des cortèges et des blocages. De la même façon, ils sont probablement assez enclins à penser qu'il est très difficile d'entreprendre en France, qu'on leur met des bâtons dans les roues, que la France a un problème avec le travail, la réussite, ce qui peut expliquer qu'une partie minoritaire mais plus répandue qu'ailleurs de ces artisans, commerçants, chefs d'entreprise ne se dise pas aujourd'hui fière de leur pays. 

Enfin, "seules" 70% des personnes s'estiment fières d'être françaises dans l'électorat FN (soit 8 points de moins que la moyenne) : pour un parti qui se revendique profondément patriote, de prime abord, cela peut interpeller. Mais l'explication semble assez simple : sans doute qu'une partie des sympathisants du FN ne se sentent pas fiers d'être français parce qu'ils ne se reconnaissent pas ou plus dans le pays tel qu'il est aujourd'hui. 

Quels sont les éléments constitutifs de la fierté nationale, et quelle est la frontière à tracer avec un nationalisme ? Ces éléments peuvent-ils différer dans le temps et donner ainsi une coloration différente à ce sentiment de fierté nationale ? Comment le transformer en une force pour le pays ? Ce sentiment de fierté nationale n'est-il pas orphelin d'un projet commun ?

Maxime Tandonnet : Même si l'enseignement de l'histoire, au sens chronologique, a été affaibli au cours des trente dernières années, les Français ont conscience de partager un patrimoine d'une richesse exceptionnelle : les heures de gloires et de souffrance qui ont émaillé l'histoire de France avec ses héros et ses grands écrivains, une situation géographique privilégiée, avec ses paysages, ses montagnes, son accès à trois mers et à l'océan. Paradoxalement, l'ouverture internationale, les contacts de plus en plus fréquents avec le monde extérieur, les voyages, les échanges par Internet contribuent à faire prendre conscience aux Français, notamment aux plus jeunes, des caractéristiques de l'identité française, un mélange de générosité, d'intellectualisme, d'esprit frondeur et de nonchalence latine. C'est au contact des autres que cette "francitude" prend son sens. Le nationalisme est tout autre chose : l'exaltation d'une supposée supériorité française appelant une domination sur les nations étrangère. Reconnaître une spécificité française et en tirer fierté, une fierté pacifique et tolérante, n'implique en aucun cas une dérive nationaliste. Le sentiment national a pris des formes différentes de celle d'il y a un siècle, tourné contre un ennemi, l'Allemagne. Il est vrai que l'un des problèmes de la France tient à l'absence de projet mobilisateur, d'objectif commun susceptible de valoriser cette fierté nationale. La modernisation économique et sociale fut le grand dessein des années 1960 et 1970. Depuis, la vie politique tend chaque jour un peu plus vers le carriérisme et le culte de l'ambition individuelle. L'aide au développement de l'Afrique pourrait être, par exemple, un objectif à proposer aux jeunes Français. 

Selon une enquête réalisée par le Pew research center, le sentiment national reste modéré en France, fort en Hongrie et en Italie, faible en Suède… Comment expliquez-vous ces différences ? 

Maxime Tandonnet : Il est sans doute assez difficile de mesurer le niveau de fierté des nations européennes selon des critères communs. Il est vraisemblable que la force du sentiment national est liée aux blessures d'amour propre et aux souffrances endurées par les nations européennes. On l'imagine fort en Espagne, au Portugal, en Grèce, qui ont subi des situations très difficiles liées à la crise économique. L'Italie a été très touchée aussi. La Suède est au contraire un pays plutôt satisfait. La France est dans une position intermédiaire. La tournure prise par l'Union européenne, donnant l'image d'une domination allemande sur le reste du continent, dans le domaine économique et financier mais aussi, dans la gestion de la crise migratoire a eu un effet négatif sur l'image de l'Europe. L'idéal européen d'une union toujours plus étroite entre les peuples et respectant une stricte égalité entre les Etats en a été altérée. L'enjeu vital des années à venir est d'éviter que les fiertés nationales, nécessaires et légitimes, ne dégénèrent en nationalisme revanchard et agressif. Aujourd'hui, l'Union européenne donne beaucoup trop le sentiment d'indifférence à l'égard des nations et des peuples. Cette impression génère un renouveau du nationalisme de frustration et de rancune. C'est pourquoi il est tellement urgent de réformer l'Union européenne en profondeur.

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