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11 mai : l’allocution qui reviendra hanter Emmanuel Macron ?
©PASCAL GUYOT / AFP

Stratégie de communication

La dernière allocution d'Emmanuel Macron a été saluée comme l'un de ses meilleurs exercices de communication. Les dernières mesures annoncées par le chef de l'Etat sur la crise sanitaire ne sont-elles pas révélatrices de sa déconnexion avec le réel ? Le durcissement des mesures sert-il davantage à masquer les ratés du gouvernement ?

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico.fr : Dans de nombreux médias, la dernière allocution d'Emmanuel Macron a été saluée comme l'un de ses meilleurs exercices de communication jusqu'à présent. Pour autant, les dernières mesures annoncées par le président ne sont-elles pas davantage révélatrices de sa déconnexion avec le réel?

Maxime Tandonnet : Beaucoup de commentateurs ont en effet salué cette intervention. D’ailleurs un sondage LCI a révélé que les deux-tiers des spectateurs l’avait trouvé « convaincant », un autre sondage paru le lendemain, dans le Figaro, disait le contraire : 53% des spectateurs non satisfaits. Il faut comprendre qu’il y a deux choses bien distinctes dans ces appréciations. D’une part, on juge la performance de communication, l’acteur dans son rôle, l’impression qui se dégage de sa performance. Et là, on est en plein dans la politique spectacle. Le chef de l’Etat a su donner une impression à la fois d’humilité, parlant des erreurs commises – pas des siennes toutefois – d’empathie en parlant des Français qui souffrent, et de fermeté, notamment dans l’annonce de la fin du confinement assortie d’une date précise. Mais cette impression générale ne préjuge en rien de la justesse des décisions prises ni de la cohérence d’une politique. Le choix de réouverture des établissements scolaires le 11 mai, alors que depuis plus d’un mois, il est dit aux Français que les crèches et les écoles contribuent fortement à la propagation du virus a été ainsi fort critiqué. De même l’absence de clarification sur l’absence des masques et des tests de dépistage a déçu une attente. Certes, l’émotion collective est au consensus, mais la raison est à la critique… 

Christophe Boutin : Au risque de passer pour un provocateur, et même si effectivement un concert de louanges s’est élevé sur les plateaux de télévision à peine le dernier mot prononcé, je ferais volontiers une analyse inverse : l'allocution prononcée le lundi de Pâques par Emanuel Macron a certainement été l'une des plus médiocres qu'il ait faites depuis le début de la crise, au moins sur la forme - un Président sur-maquillé pris en plongée de manière à accentuer sa pseudo humilité, un ton trop théâtral, et plus de vingt-cinq minutes pour ne fournir finalement que très peu d’indications, floues et/ou contradictoires.

Mais vous évoquez ensuite la déconnexion d’avec le réel dans les mesures annoncées, et je serais ici un peu plus nuancé. On pouvait effectivement se demander si cette déconnexion d’avec la réalité n’avait pas fini par aveugler l’hôte de l’Élysée lui-même, tant certaines mesures annoncées semblaient relever, de manière parfois caricaturale, de ce « et en même temps » qui est la marque de fabrique de la pensée jupitérienne. On déconfine ainsi le 11 mai, « et en même temps » les aînés restent à la maison. « L'utilisation la plus large possible des tests et la détection est une arme privilégiée pour sortir au bon moment du confinement » « et en même temps » « nous n'allons pas tester toutes les Françaises et tous les Français, cela n'aurait aucun sens. »…

Mais derrière ce qui peut sembler être des incohérences apparaît une vraie cohérence, que l’on comprend mieux en examinant… une nouvelle incohérence, ou présentée telle. « À partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées », déclare le Président, « et en même temps » on interdit jusqu’à mi-juillet d’ouvrir « les lieux rassemblant du public, restaurants, cafés et hôtels, cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées ». Pourquoi alors rouvrir les écoles ? Selon le Président : « C’est pour moi une priorité car la situation actuelle creuse des inégalités. Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents. » Mais le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, devant les difficultés évidentes à assurer la protection des enseignants et des enfants (il ne s’agissait pourtant, selon le Président visiblement très en forme, que d’« organiser différemment le temps et l'espace », nouvelle théorie de la relativité sans doute), annonçait, d’abord, que l’ouverture des écoles serait très progressive, ensuite qu’il ne serait pas obligatoire d’y envoyer les enfants…

Et c’est là sans doute la cohérence derrière les incohérences : si l’on ouvre les écoles, ce n’est pas pour lutter contre les inégalités du savoir pendant au mieux deux mois, mais pour qu’elles servent de « structures d’accueil » et faciliter ainsi la reprise du travail par les parents - comme cela a été le cas pour l’accueil spécifique des enfants de soignants. Ceux des parents qui ne travaillent pas seront par contre incités à garder leurs enfants à la maison, comme devront rester en fait confinés tous ceux – et notamment les aînés – qui ne travaillent pas. « Le 11 mai, il s'agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services ». Aussi et surtout, et, incapable de mettre en place des mesures garantissant la protection de tous, écartelé entre la volonté de limiter l’épidémie et celle de permettre à notre économie de redémarrer, le Président en est conduit à adopter cette attitude ambigüe.

En bref, si vous devez retourner travailler, vous serez déconfiné, avec masque au travail et dans les transports en commun, disposant d’écoles-garderies pour vos enfants, testé si vous présentez des symptômes et mis en quarantaine si vous êtes positif – ce qui, pour le coup, peut sembler incohérent, puisque vous avez pu contaminer autour de vous avant d’avoir les symptômes et que, mis en quarantaine chez vous, vous pouvez contaminer votre famille (mais il n’est pas impossible que l’on fasse finalement confiance à ce masque qui ne servait à rien…). Si vous ne travaillez pas, vous resterez par contre confiné. Voilà sans doute la cohérence sous-jacente des annonces macroniennes contradictoires, mais ce n’est sans doute pas cette réalité qu’ont perçu les Français.

Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron a réussi à imposer aux Français sa vision de la réalité, notamment durant la crise des Gilets Jaunes. La crise sanitaire semble pour autant résister à cette torsion du réel. Comment l'expliquer ?

Maxime Tandonnet : Il n’a pas réussi à imposer aux Français sa vision de la réalité : il est parvenu, après la crise des Gilets Jaunes, à préserver un plancher électoral minimum, autour d’un cinquième des votants (aux Européennes) ce qui est différent. C’est vrai qu’après la crise des Gilets Jaunes, à travers une omniprésence médiatique dans le cadre du grand débat, il a su apparaître en rempart contre la violence aux yeux d’une partie de la bourgeoisie urbaine aisée, dont le vote s’est rajouté au noyau électoral progressiste pour limiter un peu les dégâts aux Européennes avec un score de 20%. Cette fois avec le covid 19, c’est beaucoup plus compliqué parce que la crise est d’une ampleur sans commune mesure : elle a fait 15 000 morts, elle provoque une crise économique titanesque avec des millions de chômeurs supplémentaires, la ruine d’une multitude de commerçants, restaurateurs et artisans. Il est cette fois impossible d’esquiver des responsabilités et les lacunes constatées. Bref, l’événement est tellement colossal qu’il est impossible de le réduire à un affrontement entre le bien progressiste et le mal populiste. Il s’impose avec tant de tant de violence et de souffrances, qu’il ne se prête pas à une réinterprétation en bataille romanesque contre la « peste nationaliste ». La peste, cette fois, n’est plus un fantôme : elle est une réalité vécue par les Français.  

Christophe Boutin : On peut d’abord se demander si Emmanuel Macron a réussi à imposer aux Français sa vision de la réalité lors de la crise dite des Gilets jaunes au vu du soutien dont a bénéficié le mouvement. Mais vous avez raison de noter une chose : il aime convaincre et n’hésite pas pour cela à proposer aux Français une visite dans une « France Potemkine » - comme ces « villages Potemkine », ces décors de carton-pâte que le ministre russe de ce nom faisait traverser à l’impératrice Catherine II dans la Crimée de 1787. C’était encore le cas dans l’allocution du 13 avril, mais malheureusement pour lui, plus encore qu’avec les Gilets jaunes, il suffit aux Français de trois clics sur Internet pour se rendre compte d’une réalité qu’ils sont aussi plus nombreux à la vivre.

Il a ainsi cherché à présenter le cas de la France dans la lutte contre l’épidémie comme étant, au pire, identique à celui des autres pays du monde, et au mieux, meilleur que celui d'autres pays touchés par le virus, évoquant pour cela un « virus redoutable, invisible, imprévisible ». « Redoutable et invisible », sans doute, mais « imprévisible », qui, à part peut-être Agnès Buzyn – et encore, elle s’en est défendue – considérait « imprévisible » l'arrivée du virus en Europe et notamment France ? « Comme tous les pays du monde - continuait le chef d’un État à la dérive -, nous avons manqué de blouses, de gants, de gels hydro alcooliques ». C'est faux là encore, et la comparaison de notre situation, non seulement avec d'autres pays européens – l’Autriche, où l’on distribue gratuitement des masques –, mais aussi extra-européens - la Turquie ou le Maroc par exemple - montre bien la faiblesse spécifique de la France en la matière.

Retour au réel avec les « vraies réussites » françaises ? « Les commandes sont désormais passées » affirme sans rire Emmanuel Macron, quand l'annoncer comme une victoire de notre administration le 13 avril, bien longtemps donc après le début de la crise et la constatation des manques, relève de la plaisanterie de mauvais goût. « Il est difficile d'entendre qu'une pénurie mondiale empêche les livraisons ». Certes, mais comment font donc les autres ? Autre « vraie réussite » française selon le Président, « le transfert de patients, vers […] le Luxembourg, la Suisse, l'Allemagne et l'Autriche ». En quoi le fait que notre pays, 6e puissance économique mondiale, dont le système soins a longtemps été considéré comme l’un des meilleurs du monde, soit obligé de faire appel à l’aide d'autres pays - qui font face dans le même temps, et mieux, à la même crise - est-il une « vraie réussite » ?

Et comment oublier enfin le mythe d’une Nation tout entière dressée contre l’hydre coronaviresque ? « Nous voilà tous solidaires, fraternels, unis, concitoyens d'un pays qui fait face » déclare un Président qui ne parviendra sans doute à convaincre sur ce point de l’union nationale que ceux qui l’étaient déjà

Verbalisations et sanctions afin de de faire respecter les mesures se sont multipliées en France, plus qu'ailleurs en Europe. Les Français sont-ils moins respectueux des règles que leurs voisins européens ou le durcissement de ces mesures sert-il davantage à masquer les ratés du gouvernement ?

Maxime Tandonnet : Dès le départ, le choix fait par les autorités politiques était à une gestion administrative et étatique de la crise du covid19. On aurait pu imaginer une plus grande part donnée à l’information, la sensibilisation, à la confiance en la sagesse populaire. Nul n’a envie d’attraper cet affreux virus... Mais il y a eu une pression médiatique en faveur d’une réponse fondée sur le contrôle et la sanction. Le jour du premier tour des municipales, les grands journaux télévisés ont pointé les familles rassemblées dans les espaces publics parisiens, puis le lendemain, les rassemblements dans les gares, souvent d’ailleurs d’étudiants qui rejoignaient leur famille à la suite de l’annonce de fermeture des établissements scolaires et universitaires. L’ambiance générale était à la culpabilisation et à a pénitence. Suivant l’air du temps, les autorités politiques ont fait le choix d’un confinement général, obligatoire, dont le non-respect était assorti de lourdes sanctions. Le pouvoir a fait le choix de suspendre une liberté fondamentale, celle d’aller et venir, mais avec le plein consentement, sinon l’exigence de la population, marquant une préférence pour la sécurité sur la liberté. Ensuite, la communication sur le nombre d’amendes quotidiennes infligées servait tout naturellement à donner une image d’action et de fermeté permettant de couvrir les critiques sur la gestion de crise notamment relative aux masques ou aux tests de dépistage. Mais là encore, c’est avec le parfait consentement de la population qui en veut toujours davantage. Cependant, dans les périodes de grand trouble, l’air du temps est infiniment volatile. Cette exigence d’autorité peut soudainement se retourner en exaspération et en colère. Il suffit d’un rien pour que tout bascule. Un slogan fait d’ailleurs très mal en ce moment sur les réseaux sociaux : « la France seul pays au monde où on distribue des amendes plutôt que des masques ». 

Christophe Boutin : En fait nous faisons face ici à un problèmes classique : des applications trop rigides ou au contraire trop souples d’un même règle.  Trop souples, avec par exemple ces gens qui, en plein confinement, vont aller pique-niquer avec des amis sur les plages de Vendée ou faire des barbecues sur les toits de leurs citées et qui, comme tels, doivent être sanctionnés par des FSI qui ont fait, et font encore, un travail difficile avec bien peu de protections.

Mais le malheur veut que la tradition française conduise trop souvent, pour répondre à une question, à édicter des règles générales qui sont parfois ineptes – l’interdiction de se promener sur une plage déserte - et d’autres fois floues – les produit de « première nécessité ». Et puisqu’il faut donc interpréter les textes pour pouvoir les appliquer, un certain arbitraire semble manifeste à voir quelques-unes des condamnations qui ont pu être prononcées : la liste est déjà longue de ces petites vexations ou inutiles mesquineries, qui suscitent, au mieux le rire, au pire la colère. Ce sont cette fois des applications trop rigides de la norme de la part de ceux qui  gagneraient à se rendre sur le site… de leur ministère pour éviter de sanctionner ce qui est pourtant expressément autorisé par leur administration centrale.

Si l’on ajoute qu’il est de notoriété publique que les dites règles ne s’appliquent pas de la même manière sur l’ensemble du territoire ou envers des populations distinctes, que certains élus croient bon d’en rajouter – interdiction d’aller à plus de 100 m de chez soi, ou de s’asseoir plus de tant de temps sur un banc public -, on imagine les tensions inutiles qui peuvent être créées. Des tensions qui ne vont pas masquer, mais au contraire rendre plus sensibles les ratés du gouvernement, et c’est donc très logiquement qu’Emmanuel Macron a déclaré sur ce point qu’il ne fallait pas « rajouter des interdits » inutiles aux normes qui existent.

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