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100 % sondages : à quoi ressemblerait le programme d’un candidat souhaitant répondre à tous les vœux des Français
©REUTERS/Benoit Tessier

Tous ensemble !

Selon certains, droite et gauche ne veulent plus dire grand chose. Pourtant les sondages démontrent que ces deux notions bénéficient encore d'un fort écho auprès de l'opinion française, et que les partis en quête d'un projet auraient tort de négliger cette réalité.

Aurélien Bernier

Aurélien Bernier

Figure du mouvement altermondialiste et écologique, ancien membre du conseil d'administration d'ATTAC et du Mouvement politique d'éducation populaire (MPEP), Aurélien Bernier collabore au Monde Diplomatique. Auteur de sept livres, dont Le climat, otage de la finance (Mille et une nuits, 2008), Comment la mondialisation a tué l'écologie (Mille et une nuits, 2012), et La gauche radicale et ses tabous (Seuil, 2014)

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Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Lorsqu'on voit que des électeurs du Front de gauche peuvent reporter leur vote sur le Front national, on est tenté de penser que la distinction gauche-droite est un concept éculé. Qu'en est-il dans les faits ?

Yves-Marie Cann : "La gauche et la droite ça ne veut plus rien dire !". Ce discours, maintes fois entendu en France, les responsables politiques en portent la principale responsabilité : ceux-ci ont fréquemment abandonné toute référence idéologique permettant de structurer le débat politique ; et lorsqu’ils sont au pouvoir, l’approche gestionnaire l’emporte sur la politique, faisant qu’une politique "de gauche" paraît fréquemment semblable à une politique "de droite". Les sondages permettent toutefois d’aller à l’encontre de cette idée reçue : à l’échelle individuelle, se dire "de gauche" ou "de droite" recouvre toujours un clivage qu’il est possible d’objectiver sur de nombreuses sujets.

Ce qu'attend la gauche

La réforme du système social (84% au Front de Gauche et 80% au PS - sondage Harris, p.17)

Les sympathisants de gauche restent particulièrement attachés au modèle social français dont les principaux piliers datent de la fin de la Seconde guerre mondiale. Cet attachement n’est toutefois pas dépourvu de critiques. Nombre de sympathisants de gauche reprochent en effet à notre modèle social de ne pas suffisamment assurer l’égalité des chances et de traitement entre individus. C’est dans ce sens qu’il faut interpréter les souhaits exprimés en faveur d’une réforme du système social, pour un meilleur accès de tous aux services de l’Etat providence. Le souhait de réforme est lui aussi élevé à droite, mais pour d’autres raisons. Auprès des sympathisants de droite, le coût du modèle social français et les déficits qui lui sont associés sont les principales motivations présidant au souhait d’une réforme.

L'éducation (76% FDG, 72% PS)

L’éducation reste un marqueur très important pour la gauche, pour des raisons à la fois idéologiques et stratégiques. L’éducation est en effet appréhendée par la gauche comme facteur d’émancipation des individus : émancipation du travailleur face au patron, émancipation du citoyen face aux notabilités, par exemple. Au-delà, l’éducation constitue aussi un enjeu stratégique en raison de l’ancrage à gauche des personnels enseignants de l’Education nationale.

Le logement (81% FDG, 83% EELV, 59% PS)

La sensibilité à l’enjeu du logement est inégalement distribuée au sein de la société française. D’abord parce que notre pays compte près de 60% de propriétaires, pour lesquels la question de l’accès au logement se pose naturellement avec moins d’acuité. Ensuite parce que les locataires se concentrent avant tout dans les zones urbaines, à forte densité de population. De plus, ils constituent une population plus jeune que la moyenne nationale. De telles disparités sont à l’origine de celles observées dans certains chiffres (81% FDG, 83% EELV, 59% PS) : en fonction de la sociologie de telle ou telle famille politique, le rapport au logement ne sera pas le même. Ainsi, l’électorat EELV, généralement plus jeune et plus urbain que l’électorat PS par exemple, formule davantage d’attentes en la matière.

Les sujets marquants à droite (FN compris)

La croissance économique (83% UMP, 75% Marine Le Pen)

Dans un contexte de crise économique et sociale, les attentes en matière de croissance économique sont particulièrement intenses, à gauche comme à droite. Toutefois, des arbitrages des uns et des autres il résulte une attente plus forte à droite qu’à gauche, ces derniers mettant davantage en exergue que les premiers la protection sociale et la lutte contre les inégalités comme amortisseurs sociaux face au contexte économique.

Les déficits publics et la dette (80% UMP, 66% FN)

C’est une constante depuis de nombreuses années : les aspirations à lutter contre les déficits publics et la dette sont nettement plus marquées à droite qu’à gauche. Ceci est plus particulièrement le cas auprès des électeurs du centre droit (UDI, MoDem) et de l’UMP. Ainsi dans une étude réalisée par l’Institut CSA au premier tour de l’élection présidentielle en 2012, la lutte contre les déficits publics apparaissait comme l’une des premières motivations du vote des électeurs de Nicolas Sarkozy.

L'insécurité (74% UMP, 83% FN)

Si les attentes en matière de lutte contre l’insécurité ont beaucoup progressé ces dernières années à gauche, il n’en demeure pas moins qu’elles restent nettement plus marquées à droite, davantage encore à l’extrême droite. Auprès des sympathisants UMP et FN par exemple, la lutte contre l’insécurité constitue une sorte de marqueur identitaire avec généralement en toile de fond l’immigration. Rappelons que c’est notamment sur cette thématique de la lutte contre l’insécurité que s’est construite la stature présidentielle de Nicolas Sarkozy lors de ses passages au ministère de l’Intérieur entre 2002 et 2007.

La dépendance des personnes âgées (41% UMP, 53% FN)

Comme pour le logement à gauche, le degré de sensibilité à la thématique de la dépendance des personnes âgées doit être relié aux caractéristiques sociologiques de l’électorat de droite. Celui-ci présente en effet un profil plus âgé que la moyenne nationale. En toute logique, les craintes et/ou les attentes en matière de dépendance des personnes âgées y sont plus fréquemment exprimées que dans le reste de la population : pour les plus jeunes, ce sujet est bien entendu trop éloigné de leur quotidien pour y émerger de façon significative.

Pour accéder au sondage, cliquer ici

Quel programme un candidat de droite devrait il développer s'il prenait pleinement en compte les attentes de son électorat ?

Au niveau économique

Eric Verhaeghe : Je vois mal comment échapper aujourd'hui à une remise à plat du rôle de l'Etat. L'Etat s'occupe (mal ou très mal) de toute une série de sujets où il n'a pas sa place. Il s'en occupe notamment par le biais d'une cascade d'incitations fiscales auxquelles personne ne comprend plus rien et qui sont extrêmement improductives. Il devient urgent de refonder un impôt universel, juste, et performant: c'est-à-dire un impôt peu coûteux à prélever, qui ne plombe pas l'activité économique, et qui nous remette sur la voie de la cohésion sociale. Bien entendu, cette remise à plat doit autant concerner la sécurité sociale que le budget des administrations. Il faut qu'on nous explique pourquoi tous les revenus participent au financement de la sécurité sociale alors que seule une partie d'entre eux (les revenus du travail) ouvre droit à des contreparties. Ce genre d'anomalie est destructeur pour le système social dans son entier.

Sur l'Europe

Bien entendu, l'impact de l'Europe sur l'influence française dans le monde est au coeur des débats. Depuis 30 ans, une élite parisienne répète que la France n'est plus rien à elle seule, et que sa seule voie de survie tient à l'Europe. Mais enfin... c'est bien le contraire qui se produit : plus la France s'intègre dans l'Europe, moins elle est prospère, moins sa culture existe, et moins elle rayonne. La plus grande imposture sur ce point s'appelle l'euro : depuis que la France est entrée dans l'euro, elle régresse, les salaires stagnent, la compétitivité recule. Il faut avoir le courage de poser les questions qui fâchent.

Dans les institutions de la vie politique

Le moment vient de balayer l'escalier par le haut. De ce point de vue, le quinquennat de Nicolas Sarkozy constitue un boulet difficile à traîner. L'attitude d'un Claude Guéant, par exemple, constitue pour beaucoup de Français un repoussoir absolu : comment ce fonctionnaire devenu ministre à force de servilité vis-à-vis du pouvoir a-t-il pu impunément se verser des sommes en liquide sur le denier public, puis tremper dans des arbitrages à 400 millions avec Bernard Tapie, sans que son mentor ne le désavoue officiellement ? Il faut remettre les choses à plat, obliger les fonctionnaires qui se font élire à démissionner de la fonction publique, interdire le cumul des mandats, limiter la durée des carrières politiques, réduire le nombre de communes (10.000 communes suffisent en France), fusionner le Sénat et le Conseil Economique et Social, repenser les modalités de scrutin. Bref, il faut se préparer à la démocratie liquide.

Au niveau sociétal

La société française, depuis mai 2012, est dominée par des lobbies minoritaires qui détestent l'altérité et menacent les libertés publiques. Le lobby homosexuel, par exemple, déteste tout ce qui ne lui ressemble pas et est prêt à fouler aux pieds tous les principes de la démocratie pour imposer ses vues. Les manoeuvres policières lors de la "Manif pour tous" l'ont montré. Or la société française porte une tradition diamétralement différente : les Français aiment la différence et, quoiqu'ils en disent, le métissage. Ils sont porteurs d'une culture millénaire qui a toujours accepté l'homosexualité (les guerriers gaulois étaient homosexuels, faut-il le rappeler ?), mais sans en faire un dogme, ni un prosélytisme social. Il faut arrêter avec cet autoritarisme de l'exclusion minoritaire et revenir à nos bonnes vieilles libertés publiques qui ont fait notre grandeur.

De même, quel programme un candidat de gauche aurait-il intérêt à présenter pour coller au mieux aux aspirations de son électorat ?

Aurélien Bernier : Il faut d'abord noter que les principales préoccupations des citoyens – et de très loin – sont les questions économiques : chômage, système social, pouvoir d'achat. C'est le cas pour l'électorat de gauche comme pour l'ensemble des Français. Les sympathisants du Front de gauche placent également dans leurs premières préoccupations la question du logement, qui relève de la qualité de vie, mais qui est évidemment liée à la situation économique (pouvoir d'achat, spéculation immobilière...). Enfin, quand les sympathisants de gauche s'inquiètent pour l'éducation, c'est avant tout pour les moyens humains et financiers accordés au système éducatif. Plus globalement, il s'agit du financement des services publics, qui est remis en cause par les politiques libérales.

Pour répondre aux attentes de son électorat, qui recoupent celles d'une grande majorité de Français, un candidat de gauche doit donc avant tout porter un programme crédible de sortie de crise, qui vise la suppression du chômage et une véritable justice sociale. Or, c'est justement ce que le Front de gauche prétend faire. Donc, s'il n'arrive pas à mobiliser les électeurs, c'est que les mesures concrètes qu'il propose ne parviennent pas à convaincre.

Le seul programme crédible, celui que je défends, est un programme de démondialisation. Pour en finir avec le chômage, il faut d'une part relocaliser la production et d'autre part développer l'emploi dans les secteurs non-marchands. Pour relocaliser, il faut des mesures protectionnistes. Pour développer le secteur non-marchand, il faut de l'argent public. Cet argent doit venir principalement de la taxation des bénéfices des grandes entreprises et des grandes fortunes. Il faut donc contrôler les mouvements de capitaux pour imposer ces nouvelles mesures fiscales sans risquer de voir les capitaux fuir le pays. Ces prélèvements de richesses financeront également le système social ainsi qu'un grand plan de rénovation de l'habitat. Il faut également refuser de payer une grande partie de la dette publique et reprendre en main l'outil monétaire en sortant de l'euro. Enfin, il faut nationaliser les banques et les assurances pour collecter l'épargne populaire, qui sera utilisée pour mener des projets d'intérêt général et soustraite à la spéculation.

C'est un programme tout à fait cohérent, mais qui suppose des mesures unilatérales prises au niveau national, en rupture totale avec les politiques de l'Union européenne. Il faut donc accepter de sortir de l'ordre juridique et monétaire européen, en restaurant la primauté du droit français et en revenant à une monnaie nationale. Si la gauche radicale est en difficultés, c'est qu'elle hésite encore à aller jusqu'au bout sur cette question européenne. Elle croit encore qu'il sera possible de changer l'Union européenne "de l'intérieur". Pour moi, c'est une erreur, et cela explique très largement son échec électoral. La rupture unilatérale avec "Bruxelles" doit donc figurer dès la première ligne d'un programme de gauche. L'autre explication des ses difficultés est bien-sûr la question des alliances : tant que le PCF continuera à s'allier localement avec le Parti socialiste, le Front de gauche restera suspect aux yeux de beaucoup d'électeurs. Là aussi, il faut être clair dans un programme : puisque le Parti socialiste ne mène plus de politique de gauche, il faut couper le cordon avec lui, radicalement.

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