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10.000 morts sur ordonnance : cauchemar en Ehpad.
10.000 morts sur ordonnance : cauchemar en Ehpad.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Bonnes feuilles

Le Docteur Sauveur Boukris publie « 10 000 morts sur ordonnance, Comment les éviter ? » aux éditions du Cherche Midi. Plus de 10 000 personnes meurent chaque année en France à cause de médicaments. Le Dr Sauveur Boukris dresse la liste des médicaments responsables de tant de décès, donne des solutions pour mieux contrôler leurs dangers et des conseils pour éviter les risques des effets secondaires. Extrait 2/2.

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris

Sauveur Boukris est médecin généraliste.

Enseignant à Paris, il participe à de nombreuses émissions de radio et de télévision sur les questions de santé. Il est l'auteur de plusieurs livres médicaux dont "Santé : la démolition programmée", aux Editions du Cherche Midi.

Il a écrit  "Médicaments génériques, la grande arnaque" aux Editions du Moment.

Son dernier livre s'intitule "La fabrique des malades" aux Editions du cherche midi.

Voir la bio »

En France, plus de 720 000 personnes fréquentent un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), soit 10% des personnes âgées de plus de 75 ans et un tiers de celles âgées de 90 ans ou plus. Les résidents sont de plus en plus âgés. Les femmes sont majoritaires et plus souvent seules que les hommes (91% d’entre elles n’ont plus de conjoint), et les hommes sont plus jeunes que les femmes. L’Ehpad est souvent le dernier lieu d’hébergement de la personne âgée seule et dépendante. En moyenne, les résidents y passent deux à trois ans et deux sorties sur trois sont causées par le décès de la personne.

Manque de personnel et désorganisation

Durant ma carrière, j’ai eu l’occasion de travailler dans deux Ehpad à Paris. Ce sont des établissements de luxe, bien équipés et avec du personnel de qualité. Les lieux sont souvent confortables, avec des chambres spacieuses avec rangements et télévision, des animations fréquentes, une salle à manger attractive où les plats sont en général de qualité et de bon goût, une bibliothèque et un espace d’accueil chaleureux.

Mais quid des soins ? Dans ce domaine, il y a beaucoup à dire ! D’abord le manque de personnel soignant: on trouve 1 infirmière pour 50 résidents, parfois 60. Elle a de nombreuses tâches à accomplir dans une journée: dispenser les traitements (faire ingérer les médicaments après les avoir vérifiés, noter leur prise à la sortie de la chambre pour chaque résident), effectuer les soins (injections, pansements, prise de tension, gestion des rendez-vous et des ordonnances), encadrer les aides-soignantes et gérer la relation avec les familles. Leur charge de travail est lourde.

Celle des aides-soignantes est aussi très importante : faire les toilettes, donner le petit-déjeuner et les repas, habiller les résidents. On compte 1 aide-soignante pour 12 résidents. Tout doit être fini à midi, ce qui signifie que les toilettes durent parfois moins de 10 minutes !

L’absentéisme est une préoccupation des équipes de direction, qui s’inquiètent du turn-over du personnel soignant dans certains établissements. L’absence d’une aide-soignante ou d’une infirmière suffit à propager la panique et le désordre. On cherche à la va-vite une remplaçante. On fait appel à des intérimaires. Et par conséquent, le personnel soignant change souvent. Un salaire peu élevé avec des contraintes horaires, un travail épuisant et peu gratifiant, sans reconnaissance, les conditions de travail les poussent parfois au découragement.

«Le manque de moyens associé au manque de formation, c’est la maltraitance assurée », affirme le Dr Thierry Martin, gériatre au centre hospitalier de Cherbourg.

Carence du personnel et personnel insuffisamment formé expliquent les dysfonctionnements. Le personnel fait ce qu’il peut avec les moyens dont il dispose. L’encadrement des équipes médicales est aussi insuffisant: un médecin coordonnateur parfois présent à temps partiel; le médecin traitant généraliste qui vient quand il peut et lorsqu’il est présent ne peut voir tous les résidents, faute de temps…

Les prescriptions, la délivrance et le suivi des traitements

Le nombre moyen de médicaments consommés par les personnes âgées est de 8 chez les 70-80 ans, passe à plus de 9,61 chez les 80-90 ans pour atteindre 9,92 chez les 90-100 ans et 8,11 pour les plus de 100 ans. Dans les Ehpad, près de 60% des résidents consomment plus de 4 médicaments par jour (le nombre de médicaments prescrits est cependant très variable selon les établissements). Les classes thérapeutiques prescrites sont les antidépresseurs (32%), des anxiolytiques (27%), des hypnotiques (22%), des neuroleptiques (15%) et des régulateurs de l’humeur (3%).

Lorsque l’on interroge les infirmières et qu’on écoute leur vécu quotidien, on constate qu’il y a des dysfonctionnements dans l’administration et la délivrance des médicaments. La distribution des traitements se déroule en même temps que le petit-déjeuner et dure parfois bien au-delà. Le patient est très rarement à jeun pour les examens et traitements qui le nécessitent (extraits thyroïdiens et infections urinaires par exemple). Les traitements antiparkinsoniens qui nécessitent plusieurs prises sont rarement pris aux heures prescrites. Les traitements anti[1]coagulants sont sources d’erreur quand ils sont intégrés dans les piluliers.

Quand la dose prescrite représente une partie du comprimé (et c’est souvent le cas), il arrive qu’il soit donné entièrement, d’où un risque d’accidents hémorragiques. Par ailleurs, les gélules sont parfois ouvertes pour être absorbées, ce qui entraîne une absorption plus rapide du médicament qui modifie le métabolisme et par conséquent son efficacité. En outre, la Haute Autorité de santé indique qu’il ne faut pas écraser plus de trois médicaments ensemble et cette recommandation n’est pas toujours respectée. Le personnel a tendance à écraser tous les médicaments pour une seule prise.

Ajouter de la vie aux années (et non des années à la vie)

Pour les résidents, l’administration de médicaments est devenue une habitude, un rituel. Ils arrivent avec la prescription de leur médecin généraliste et on ne fait que renouveler leur ordonnance. Certains malades sont si attachés à leurs médicaments que le retrait de l’un d’entre eux est source d’incompréhension ou de colère. Ils sont habitués à leur pilule du soir, à leur comprimé bleu ou rouge, et tout manquement est vécu comme une perte de repères (il arrive aussi que les familles de ces personnes âgées interviennent pour nous demander de ne pas arrêter ou changer le traitement). Il faut du temps pour leur expliquer l’inutilité de telle ou telle prescription. Pourtant, les prescriptions ne sont pas toujours justifiées et un travail pédagogique s’avère nécessaire.

Mon activité auprès des personnes âgées, qu’elles vivent à domicile ou en Ehpad, m’a permis de réfléchir sur nos comportements et nos objectifs. Je me suis posé de nombreuses questions : quelle est la pertinence des décisions médicales chez les personnes âgées ? Quel comportement le praticien doit-il adopter ? Le patient privilégie-t-il l’amélioration de la qualité de sa vie ou son allongement ? Le but thérapeutique est-il d’ajouter de la vie aux années ou d’ajouter des années à la vie? Le souhait du malade doit être respecté; il faut pouvoir en parler avec lui et connaître son vécu.

Pour ma part, j’opte pour un renoncement à certaines thérapeutiques afin d’éviter les risques de la polymédication. Le but du traitement des personnes de grand âge n’est pas toujours la guérison, mais l’amélioration de son état de bien-être et la reprise d’une certaine autonomie. On ne raisonne pas en termes d’efficacité médicale et de nombre d’années de vie gagnées, mais plutôt en termes d’amélioration de la qualité de vie, c’est-à-dire de la possibilité d’accomplir des actes de vie courante.

Prendre en compte le «vécu de la vie » du patient, ses préférences, est capital, et c’est même une obligation légale depuis la loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner santé. On a tous rencontré des personnes capables de valoriser leur vie alors que leur état de santé physique ou mentale est précaire et d’autres qui y attachent peu de prix. On rencontre des personnes âgées en bonne santé apparente, avec une bonne retraite, des enfants et des petits enfants affectueux, qui «ont tout pour être heureux», et qui pourtant sont déprimés et souhaitent une mort rapide, fatigués de vivre. Et inversement, on connaît des patients porteurs de maladies graves ou d’autonomie réduite très optimistes et faisant preuve d’une grande combativité qui leur fait refuser la mort.

Par conséquent, avant de prendre une décision médicale et en particulier de prescrire un traitement médicamenteux, le médecin doit se préoccuper de l’opinion du malade pour juger de l’efficacité et de la tolérance des soins médicaux. Il existe un écart important entre l’appréciation des patients et celle des soignants : ces derniers sont attentifs aux signes cliniques et aux symptômes observés, alors que les malades s’intéressent à ce qu’ils ressentent et à sa capa[1]cité de satisfaire ses besoins.

La qualité de vie est un facteur déterminant de la décision médicale, mais il existe peu de moyens pour la mesurer surtout lorsque le malade ne peut s’exprimer, ou est épuisé par une maladie qui s’éternise. Le recours à l’entourage ou à sa famille peut être utile et aider à déceler les éléments de satisfaction ou d’inconfort.

Des soins lourds et coûteux doivent, à mon sens, faire l’objet d’un questionnement qui permet de trouver un compromis entre ce qu’il y a à faire «de mieux» en provo[1]quant « le moindre mal». Pendant mon exercice dans les Ehpad, j’ai toujours cherché à réduire la consommation de médicaments et j’ai entrepris la déprescription. Ce qui n’est pas chose facile, car cela va à l’encontre des pratiques et des attentes des résidents et de leurs familles. Avec les personnes âgées, j’ai toujours considéré que l’objectif thérapeutique n’est pas toujours de les guérir (peut-on guérir de la vieillesse ?) mais de soulager au mieux et d’apporter le plus de confort possible. Deux principes guident les prescriptions : primum non nocere («d’abord ne pas nuire») et «ajouter de la vie aux années et non des années à la vie ».

La maltraitance médicale ou médicamenteuse

Agir et faire à tout prix peut en effet être contradictoire avec les intérêts et les désirs de la personne soignée. Rappelons aux médecins que l’article 37 du code de déontologie médicale et l’article L 1110-5 de la loi du 4 mars 2002 les oblige à ne pas faire courir à un malade des risques disproportionnés par rapport aux bénéfices escomptés et à éviter toute obstination déraisonnable dans les thérapeutiques. C’est ce que j’appelle la maltraitance médicale ou médicamenteuse. «Vouloir une bonne qualité de vie» pour son malade consiste à reconnaître que la mort est inéluctable et que la médecine n’a pas à la retarder indéfiniment. Pourquoi toujours agir ? L’abstention thérapeutique n’est-elle pas une option? Ne rien faire, c’est faire !

Peut-on dialoguer et communiquer avec les personnes âgées malades? Demande-t-on leur avis sur leur traitement? Bien souvent elles répondent: «C’est vous le médecin», ce qui signifie «c’est à vous de décider». Nous avons alors une lourde responsabilité face à elles. Or, il est très difficile pour un clinicien d’anticiper l’impact psychologique déclenché par la maladie. Le malade est conditionné par son milieu culturel, son éducation et par des événements de sa vie très intimes qu’il ne révèle pas au médecin. Ainsi, la qualité de vie objectivée par le médecin via son regard extérieur de professionnel peut être en décalage avec son appréciation subjective par le patient. La prise en considération du patient, de sa philosophie de vie, est essentielle pour éviter la surmédication.

D’autres questions me viennent à l’esprit: pourquoi donner des statines (substance contre le taux élevé de cholestérol dans le sang) à une personne de plus de 80 ans ? Quels bénéfices en attendre ? Ces médicaments ont une action préventive pour réduire les risques cardiovasculaires, mais nous n’avons donc pas le recul suffisant pour apprécier leur efficacité sur les personnes âgées. En second lieu, le bénéfice attendu est à moyen terme, c’est-à-dire qu’il peut survenir dans plusieurs années voire dans un avenir plus lointain. Mais est-il toujours raisonnable d’en prescrire à des personnes de 80 ans ?

Autre question : pourquoi administrer autant de psychotropes ? Il arrive de voir des ordonnances avec un somnifère, un anxiolytique et un antidépresseur. Les trois médicaments associés entraînent une somnolence et un état de vigilance défaillant. Et c’est ainsi l’on voit des personnes âgées endormies l’après-midi dans le grand salon devant la télévision allumée ou devant une animatrice !

Il arrive aussi que les résidents âgés deviennent agités au cours de leur séjour et se promènent dans les couloirs, la nuit, sans possibilité de dormir. L’équipe soignante demande alors au médecin de prescrire «quelque chose» pour avoir la paix et pour ne pas déranger le service. Et ce «quelque chose » est souvent un neuroleptique léger pour calmer la personne agitée.

Les personnes âgées qui tombent dans leur chambre en essayant d’aller aux toilettes représentent à elles seules plus de 80% des chutes dans les Ehpad. Toutes les études montrent le rapport entre la consommation de psychotropes et le risque de chutes : à partir de 60 ans, le risque de chute est multiplié par quatre. Même sans gravité, ces chutes engendrent une perte d’assurance chez les personnes âgées. Sachant que la plupart se lèvent (et chutent) pour aller aux toilettes, la seule solution offerte est de porter des couches. Il y a vingt ans, dans le service du Dr Pierre Rumeau, trois patients au maximum portaient des couches. Aujourd’hui, pour le même nombre de malades, ils sont entre 65 et 75 %. L’explication du médecin est simple : «Les pathologies n’ont pas changé mais les aides-soignantes ont été divisées par trois.

A lire aussi : 10.000 morts sur ordonnance : les risques des médicaments les plus consommés

Extrait du livre du Docteur Sauveur Boukris, « 10 000 morts sur ordonnance, Comment les éviter ? », publié aux éditions du Cherche Midi.

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