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Une étude américaine montre que les douleurs nerveuses chroniques pourraient être traitées en “éteignant” le centre de la douleur dans le cerveau
©Allan Ajifo / Flickr

Avancée scientifique

Une étude menée par le Boston Children's Hospital et le National Institute of Mental Health vient d'être rendue publique. Un compte-rendu dans la revue Nature affirme que l'étude démontrerait que des neurones du cortex sensoriel du cerveau influenceraient la sensibilité au toucher.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Quelle est la nature de ce nouveau circuit cérébral mis à jour ?

André Nieoullon : En fait, il ne s’agit pas exactement de la découverte d’un nouveau circuit cérébral car les neurones en question sont déjà connus, mais peut-être bien d’une piste pour comprendre la fonction de ces neurones particuliers, qui prennent leur origine dans le cortex cérébral et descendent jusque dans la moelle épinière innerver localement les zones impliquées dans la genèse de la douleur, et plus simplement des « sensations » liées notamment à la mise en jeu de fins récepteurs sensoriels insérés dans la peau, permettant au cerveau de « s’informer » sur la nature de ces sensations propres au sens du « toucher ».
Pour mieux comprendre, il faut savoir que la perception consciente de notre environnement par notre sens tactile est liée à la mise en jeu de milliards de récepteurs spécialisés insérés dans la peau, ce qui fait que la moindre caresse de l’air sur la peau ou la moindre variation de température de l’air est perçue comme telle… A côté de cela, d’autres récepteurs un peu différents sont chargés de véhiculer au cerveau des informations concernant cette fois une agression de la peau, qu’elle soit sévère (piqûre, brûlure) ou plus diffuse comme par exemple une inflammation liée à une quelconque infection locale (type irritation de la peau, réponse allergique, démangeaisons en tous genres, etc.). Les récepteurs sont cutanés et des nerfs spécialisés dans les deux modalités sensorielles (stimulation douce ou agression douloureuse) véhiculent l’information jusqu’à la moelle épinière, dans une zone elle-même spécialisée bien précise, et, de là, les informations, qui respectent aussi la topographie de l’origine de la zone de peau concernée (main, pied, bras, jambe, cou, face, etc.), sont relayées vers le cerveau, et en particulier vers des territoires du cortex cérébral particuliers, que l’on nomme le « cortex sensoriel », qui analyse ces sensations. S’agissant des informations douloureuses, nous n’avons à ce stade de nos connaissances encore bien peu d’idées sur la façon dont elles sont analysées de façon consciente par notre cerveau –c’est dire notre ignorance !- mais ce que nous savons avec certitude, parce que chacun aura pu en faire l’expérience soi-même, c’est que nous avons un certain pouvoir de contrôle de la douleur par la volonté. Ainsi, nous ne sommes pas tous égaux devant la douleur et chacun pourra tester sa capacité à « résister » à la douleur… dans certaines limites, bien évidemment ! En d’autres termes, nous savons que nous sommes capables « d’agir volontairement sur la douleur »,  et ce que les Neurosciences nous ont appris depuis longtemps c’est que ce contrôle « conscient » (au sens de volontaire) est lié non pas à notre simple psychisme (volonté) mais plus prosaïquement à la mise en jeu d’un blocage –nous parlons d’inhibition- des messages douloureux qui s’exerce au niveau de la moelle épinière par une influence neuronale issue du cortex cérébral. Une sorte de « filtrage conscient » des sensations douloureuses pour éviter qu’elles ne remontent trop jusqu’au cerveau, en quelque sorte…
Les travaux qui sont rapportés dans l’étude du Boston Children’Hospital ont trait à des douleurs d’un type particulier, qui relèvent de ce que l’on désigne par un groupe de maladies très larges plus ou moins invalidantes, les neuropathies périphériques. Il s’agit dans ce cas de réaliser que des stimulations très douces de la peau, voire même l’absence de stimulation de certains territoires de la peau, deviennent soudainement insupportables, comme dans le cas des zonas et autres pathologies du même type. Ces maladies ne trouvent pas pour la plupart de traitements satisfaisants et conduisent à des situations dramatiques pour les patients concernés. Dans ce cas, il s’agit de comprendre que cette douleur n’est en fait pas liée aux « circuits » normaux de la douleur tels qu’évoqués ci-dessus, mais bien à des sensations très douloureuses qui ne peuvent plus être réduites par la volonté, notamment parce que les circuits neuronaux « descendants » du cortex sensoriel vers la moelle épinière relaieraient une information erronée selon certaines hypothèses.
L’idée est alors que si l’on trouvait les moyens de bloquer sélectivement ces neurones particuliers issus du cortex sensoriel, cela pourrait se traduire par une réduction réelle de ces douleurs insupportables. C’est ce que suggèrent les résultats de cette expérience chez la souris rendue « neuropathique », c’est-à-dire représentant un modèle de douleur neuropathique. Dans ce cas, non seulement la mise au silence de ces neurones corticaux bloque les douleurs neuropathiques artificiellement générées, mais, en plus, cette action antalgique en dehors de tout médicament permet aussi à la souris de conserver une sensibilité « normale », de percevoir une douleur similaire à celle d’un animal témoin, et surtout de ne plus être hyper-sensible aux stimulations cutanées. Une belle démonstration extrêmement prometteuse et porteuse d’espoir pour tous ceux qui souffrent de douleurs neuropathiques impossibles à réprimer et qui, le plus souvent, résistent à tous les antalgiques dont nous disposons aujourd’hui ! Et immédiatement on pense aux méthodes de stimulations corticales trans-crâniennes ou intracérébrales, qui ont déjà fait leurs preuves chez les patients dans d’autres pathologies neurologiques. Un espoir donc, mais d’autres études doivent vérifier que l’hypothèse est la bonne et que l’activation anormale de cette voie neuronale est bien à l’origine de ces hyper-sensibilités douloureuses, ce que l’on désigne par hyper-esthésies.

En quoi pourrait-il aider à comprendre les interactions entre esprit et corps qui permettent de "contrôler" la douleur ?

C’est l’une des questions majeures que vous soulevez là : prendre conscience de sa douleur c’est se questionner sur la nature même de l’Homme. La communication par la parole et la capacité de pouvoir traiter de sujets abstraits sont souvent considérées –assurément de façon très réductrice !- comme le propre de l’Homme. Mais l’animal est aujourd’hui heureusement affirmé comme étant un être sensible et percevant la douleur, ce qui amène à des considérations d’ordre éthique infiniment importantes dans notre Société. Aujourd’hui la question se pose de savoir si cette capacité que nous avons à contrôler la douleur de façon consciente, comme nous l’avons évoqué ci-dessus, existe également chez l’animal, être sensible au même titre que l’Homme ? Les données de l’expérimentation de nos collègues tant à prouver que c’est bien le cas puisque la manipulation de cette voie neuronale descendante du cortex sensoriel paraît efficace pour traiter des douleurs neuropathiques dans ce modèle, chez la souris. Une raison de plus pour réfléchir sur la souffrance animale… même si dans ce cas la notion de « conscience » est plutôt à prendre dans le sens de « cerveau éveillé » que dans celui d’un état attestant de la responsabilité pleine de l’animal. Nous pouvons aussi nous interroger sur le sens qui est donné à la douleur par de nombreux philosophes qui ont écrit sur la douleur, et plus généralement dans certaines cultures qui lui confèrent une connotation existentielle majeure pour traverser la vie. Mais chacun qui aura éprouvé dans sa chair des douleurs neuropathiques insupportables balaiera rapidement ces questions métaphysiques pour ne retenir que l’idée que demain, enfin,  une solution pourra exister pour lui.

Quelles perspectives en termes d'amélioration des traitements cette découverte permet-elle d'envisager ?

Nous l’avons mentionné, les travaux de nos collègues de Boston ont pour objectif de découvrir de nouveaux traitements pour enfin pouvoir prendre en charge dans de meilleures conditions les neuropathies périphériques associées à des douleurs résistant aux traitements antalgiques dont nous disposons. « Manipuler » le contrôle descendant du cerveau potentiellement déficient chez certains malades à des fins thérapeutiques est dès lors une perspective intéressante, d’autant que, comme je l’ai indiqué plus haut, certaines opportunités de blocages d’activité de voies neuronales rendues hyperactives sont aujourd’hui possibles, notamment par des techniques de stimulation cérébrale déjà largement utilisées chez d’autres patients neurologiques. De fait, la stimulation cérébrale profonde (à l’intérieur du cerveau) est une stratégie thérapeutique très développée chez certains malades souffrant de maladie de Parkinson ou de tremblements essentiels ; et les stimulations de la « surface » du cerveau (le cortex) sont également utilisées dans certaines formes de dépression, par exemple. Jusque-là, le traitement chirurgical de la douleur passe par des stimulations –voire des lésions localisées- appliquées directement dans la moelle épinière, là où passent les fibres qui véhiculent les messages nerveux douloureux vers le cerveau. De plus, considérant que les circuits neuronaux qui sont impliqués dans la genèse des messages douloureux sont tout de même un peu plus complexes qu’évoqué ici de façon nécessairement schématique, des tentatives de blocage des zones de la douleur situées à l’intérieur du cerveau ont également été tentées, avec plus ou moins de succès (plutôt moins que plus…). Dès lors, l’idée de pouvoir intervenir sur un système neuronal plus accessible, situé dans le cortex sensoriel, se présente comme une vraie opportunité, à la condition cependant que de telles manœuvres n’aient pas pour conséquence de modifier trop la simple « perception consciente », ce qui n’est pas garanti. 

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