"Trois cents sortes de fromages" : la France, sous une apparente unité, reste ce pays si divers que De Gaulle trouvait déjà impossible à gouverner<!-- --> | Atlantico.fr
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De Gaulle rendait compte de la même réalité à travers sa boutade : « Comment voulez-vous gouverner un pays qui a trois cents sortes de fromages ? »
De Gaulle rendait compte de la même réalité à travers sa boutade : « Comment voulez-vous gouverner un pays qui a trois cents sortes de fromages ? »
©DR

Bonnes feuilles

Mêlant réflexion historique, analyse économique et projection dans le futur, l'auteur pose sans concession un diagnostic de l'état de la France et fait des propositions concrètes pour changer tout afin de rester nous-mêmes. Extrait de "La France EST la solution", de Frédéric Salat-Baroux, éditions Plon 1/2

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux

Frédéric Salat-Baroux, historien, haut-fonctionnaire, a été secrétaire général de la Présidence de la République de 2005 à la fin du mandat de Jacques Chirac. Il est notamment l'auteur de "De Gaulle-Pétain : le destin, la blessure, la leçon" (Robert Laffont, 2010).

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La France est un pays dont l’hétérogénéité est un frein à l’unité et au mouvement 

Comme l’a analysé Fernand Braudel, derrière l’apparence de l’unité issue de la construction monarchique et de la Révolution, l’identité de la France se caractérise d’abord par une variété sans équivalent. Comme l’a poétiquement écrit cet adepte de l’histoire scientifique : « Il est banal de dire que la France est diverse jusqu’à l’absurde ou, ce qui revient au même, que son espace varie comme peu de pays au monde, révèle un étonnant caractère vicinal, une mosaïque de paysages dont la variété ne se rencontre pas ailleurs. Même pour le randonneur à pied, le paysage change sans cesse. Chaque village, chaque vallée, a fortiori chaque pays – ces petites unités locales, pays de Bray, pays de Caux, etc., dont le nom dérive du pagus gaulois –, chaque ville, chaque région, chaque province ont leur originalité nette. Et pas seulement les particularités que signalent de façon éclatante les paysages et les multiples marques que l’homme y a ajoutées, mais aussi une culture vécue, une façon de vivre et de mourir, un ensemble de règles définissant les rapports humains fondamentaux entre parents et enfants, entre hommes et femmes, entre amis et voisins… N’y avait-il pas, hier encore intacts, les privilèges locaux (ils foisonnaient), les patois, les folklores, les maisons traditionnelles (de pierre, de lave, de briques, de torchis, de bois), les costumes ? Plus la métrologie, à nos yeux extravagante, d’une diversité telle que, selon Lavoisier (1787), l’étroite élection de Péronne contenait à elle seule 17 sortes d’arpents qui différaient tous par le nombre de perches et par la grandeur de la perche.»

De Gaulle rendait compte de la même réalité à travers sa boutade : « Comment voulez-vous gouverner un pays qui a trois cents sortes de fromages ? » Cette diversité n’est pas le propre de tous les pays de la vieille Europe. Elle nous est spécifique. Par sa géographie, par exemple, et les influences qu’elle a subies, la France a ce triple visage : méditerranéen, continental et océanique. Elle n’a jamais tranché entre ces pôles d’attraction, pas plus qu’elle n’en a fait la synthèse – au demeurant impossible. Une des raisons pour lesquelles la France n’a pas fait le choix du « grand large » au xviiie siècle, comme son voisin anglais, est qu’il lui fallait résoudre un dilemme : quelle mer choisir ? La Méditerranée ou l’Atlantique ? Elle a fini par choisir le continent !

Malgré leur caractère systématique, les travaux des démographes Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, dans L’Invention de la France ou plus récemment dans Le Mystère français, rendent bien compte de cette singularité. Les modèles familiaux se répartissent en Europe en trois grandes catégories : la famille nucléaire, se limitant aux deux parents et aux enfants non mariés, largement diffusée en Angleterre ; la famille souche, qui unit plusieurs générations (parents, enfants, petits-enfants) sous l’autorité d’un pater familias et qui est l’apanage du monde germanique ; et la famille patriarcale ou communautaire qui est le propre de l’Italie et qui se différencie de la famille souche germanique par le fait que le mariage n’est pas retardé ou contrôlé pour concentrer l’héritage sur un seul enfant mais qu’il est largement ouvert, conduisant à la constitution de clans familiaux. Ce qui différencie la France des autres pays d’Europe est qu’elle est la seule à abriter les trois modèles de familles. Ce qui chez nos voisins est national devient, en France, oppositions provinciales, disait Braudel.

Même la langue française, dont on peut penser qu’elle nous unit depuis toujours, est le produit récent de l’école publique de la IIIe République. L’abbé Grégoire avait opéré, à la Révolution, un recensement qui montrait un partage du territoire non pas entre la langue d’oc et la langue d’oïl, auxquelles il aurait fallu ajouter les langues de la périphérie tels le breton, le basque, l’allemand ou le flamand, mais entre trente patois et, pour chacun d’entre eux, des variantes presqu’à l’infini de vallée en vallée et même de village en village. La variété est telle qu’un membre du parlement de Bordeaux se demandait s’il ne lui faudrait pas traduire la Déclaration des droits de l’homme en une « langue mitoyenne » de tous les jargons de la campagne environnante. Au début du xxe siècle encore, de nombreux curés se refusaient à prêcher autrement qu’en breton.

C’est à cette immense diversité de territoires, de structures familiales et de langues que le pouvoir royal et surtout la République ont cherché à imposer une uniformité d’autant plus forte qu’elle a dû faire plier de tels particularismes. Derrière la loi commune, c’est l’hétérogénéité qui reste la marque de la France. On est très loin de l’homogénéité anglaise ou de l’unité de civilisation allemande. Comme l’a écrit Braudel, marquant son intérêt pour les travaux de Todd et Le Bras, en France « le passé agresse le présent, s’acharne contre lui. Je comprends qu’au spectacle de ces divisions anciennes et puissantes de la France, ils [Todd et Le Bras] puissent s’exclamer que la France ne devrait pas exister, qu’à partir d’un ensemble aussi hétéroclite de peuples et de civilisations, il a fallu “l’inventer”. En fait, elle a dû surmonter obstacles, divisions, entraîner avec elle une masse d’histoires stagnantes, contradictoires, pesantes, lourdes comme la terre ».

Notre variété n’est donc pas seulement source de beauté et de richesse. Elle est aussi l’explication de notre inclination au conservatisme et à la confrontation.

Contrairement à l’Angleterre, nous n’avançons pas de manière continue. Toute notre histoire est caractérisée par de longues périodes de statu quo qui conduisent aux blocages, aux difficultés et souvent à la crise, dont nous ne sortons que par un choc politique, soit révolutionnaire, soit de type 1958.

Dans sa forme extrême, cette réalité, qui n’appartient qu’à nous, se traduit par une véritable propension à la guerre civile, non pas à l’image d’un simple pays de querelleurs gaulois, mais à celle qui faisait dire à Julien Benda que l’histoire de France est « une affaire Dreyfus permanente ». Notre histoire est jalonnée d’instants terribles où une partie d’entre nous ont été jusqu’à faire le choix de l’étranger plutôt que des siens : des cavaliers gaulois prêtant main-forte à Jules César ; les Bourguignons aux côtés des Anglais, au temps de Jeanne d’Arc ; ceux qui avaient pris le parti de l’Espagne durant les guerres de Religion ; les grands prêts à tout contre Richelieu ; les émigrés contre la Révolution ; les ralliements de 1814‑1815 aux monarchies coalisées contre l’Empire ; 1870‑1871 et ceux qui souhaitaient la victoire de l’Allemagne plutôt que celle des communards. Et, bien sûr, le visage effrayant du « choix de la défaite » de juin 1940 et de la collaboration.

Extrait de "La France EST la solution" de Frédéric Salat-Baroux, publié aux éditions Plon, avril 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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