"Si Versailles m’était conté…" : des affaires et des chansons<!-- --> | Atlantico.fr
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La chanteuse Edith Piaf, en août 1953, lors du tournage du film "Si Versailles m'était conté" de Sacha Guitry.
La chanteuse Edith Piaf, en août 1953, lors du tournage du film "Si Versailles m'était conté" de Sacha Guitry.
©AFP

Bonnes feuilles

Mathieu Geagea publie « De Versailles à Paris, l'Histoire selon Sacha Guitry » aux éditions du Cerf. C’est avec son inimitable verve que Sacha Guitry réalise en 1953 et 1955 deux films parmi les plus marquants de sa longue carrière, Si Versailles m’était conté et Si Paris nous était conté. Ce diptyque rassemble ainsi deux centres, deux axes et deux versants du récit national. Matthieu Geagea nous conte l'histoire de France comme elle ne nous avait jamais été racontée. Extrait 1/2.

Mathieu Geagea

Mathieu Geagea

Historien, ancien directeur général du Mémorial Charles de Gaulle, présentement directeur de cabinet au Conseil départemental du Loir-et-Cher, Mathieu Geagea collabore à divers magazines culturels.

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Les deux époques de Si Versailles m’était conté recèlent deux points communs. En premier lieu, c’est la mise en exergue de deux affaires célèbres dans l’histoire de la royauté. Il faut bien avoir à l’esprit qu’à travers son film, Sacha Guitry n’a pas recherché exclusivement à évoquer la construction, l’agrandissement, l’embellissement, la profanation ou la restauration du palais de Versailles. Il souhaite également aborder les événements qui ont pu s’y dérouler, même si, dans ces moments-là du film, le château de Versailles ne devient plus qu’une toile de fond. Ce sont ces raisons qui ont dû amener Sacha Guitry à vouloir longuement présenter au public, dans la 1re époque de son film, les arcanes de l’Affaire des Poisons, cette série de scandales marquée par des empoisonnements et qui secoua la cour de Versailles sous le règne du roi Louis XIV. Plusieurs personnalités éminentes de l’aristocratie furent impliquées ou soupçonnées de l’être, à l’image de la marquise de Montespan, la favorite en titre du Roi-Soleil. Vingt minutes du film sont imparties à l’Affaire des Poisons, soit 26 % du temps consacré au règne de Louis XIV, peut-être pour mettre l’accent sur la vulnérabilité du régime mis en place par le roi.

Sacha Guitry va accorder un temps équivalent au traitement de l’Affaire du Collier de la reine, qui eut lieu un siècle plus tard, et dont il sera question pendant dix-huit minutes, ce qui occupe tout de même pratiquement 41 % du volet du film consacré au règne de Louis XVI. Guitry ne manque d’ailleurs pas d’indiquer dans sa narration : « Et dès lors, ce collier va devenir le personnage central de cette aventure incroyable et racontée ici dans ses détails exacts. » Le cardinal de Rohan, interprété par le comédien Jean-Pierre Aumont, va devenir la victime de cette célèbre escroquerie. À partir de lettres tronquées, l’ecclésiastique accepta de devenir l’entremetteur de la reine Marie-Antoinette, qui pourtant le détestait au possible, pour l’achat d’un fabuleux collier d’une valeur de 1 600 000 livres. La reine devant le rembourser par échéances. Cet épisode marqua la ruine et la perte du cardinal de Rohan, tandis que Marie-Antoinette, pour‑ tant parfaitement innocente, vit sa réputation fortement ébranlée.

Sacha Guitry semble prendre un véritable plaisir à faire le récit de ces deux scandaleuses affaires, enchevêtrant ainsi la grande Histoire, qu’il affectionne tant, à la petite, dont il semble apprécier les ressorts théâtraux. On peut ainsi le constater dans la présentation qu’il fait de l’Affaire du Collier. Le narrateur déclare : « Pourtant une infamie se tramait. Inconcevable comédie dont voici les personnages principaux. » C’est évidemment une approche théâtrale qui est offerte. Il est question de comédie, où Guitry, en une poignée de secondes, présente les uns après les autres, les quelques protagonistes de cette affaire.

Il est à noter que cette affaire, précisément, avait connu, sept ans avant la réalisation du film, en 1946, une adaptation cinématographique sous le titre L’affaire du Collier de la reine dans un film réalisé par Marcel l’Herbier. De même, l’Affaire des Poisons fera, deux ans après la sortie de Si Versailles m’était conté, l’objet d’un film éponyme réalisé par Henri Decoin en 1955.

L’autre point commun qui existe entre les deux époques du film repose sur ces moments où la chanson succède aux dialogues. Lorsque le cinéma muet a laissé la place au cinéma parlant à la fin des années 20 et au début des années 30, il était presque systématique d’entendre des chansons dans un film. C’était une façon de célébrer l’avènement du parlant, même si les chansons avaient rare‑ ment leur utilité dans le scénario. Dans les années 50, les films nantis de chansons se font plus rares, même si cela reste encore courant. Trois chansons vont donc émailler le récit de Si Versailles m’était conté. Les deux premières ont une durée équivalente, à savoir deux minutes quinze chacune. À l’instar de l’Affaire des poisons et de l’Affaire du collier de la reine, ces deux chansons se situent dans la première époque et dans la seconde, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XVI qui constituent véritable‑ ment les deux piliers du film. D’autre part, la première chanson marque l’apogée du rayonnement et du faste de la royauté à Versailles, tandis que la seconde, pendant l’épisode de la Révolution, marque la chute prochaine de la royauté et la fin de l’époque versaillaise. Toutes les deux se déroulent en extérieur puisque la première est chantée nuitamment côté jardin et la seconde en plein jour côté cour. La première, chantée en italien, et la seconde en français, sont respectivement interprétées par deux des plus grands chanteurs des années 50 : Tino Rossi et Edith Piaf.

Tino Rossi apparaît à la vingt-deuxième minute du film dans le rôle d’un gondolier vénitien à l’occasion d’une fête restée fameuse sous le règne de Louis XIV qu’on appela « La petite Venise ». Alors qu’il était en train d’écrire le scénario de son film, Sacha Guitry prit contact avec Tino Rossi pour lui dire : « Monsieur Rossi, depuis vingt ans, votre voix fait chavirer la France. Je vais recréer pour vous la plus belle des fêtes vénitiennes que Versailles ait connue, à rendre envieux Louis XIV en personne. » Et le maître d’ajouter : « Monsieur Rossi, voulez-vous paraître dans mon film pour chanter et nous enchanter ? » Alors que Tino Rossi commençait à vouloir s’éloigner du cinéma où il avait déjà derrière lui une belle carrière, il ne put refuser pareille proposition. Pendant deux minutes quinze, Tino Rossi va donc pousser calmement une gondole de couleur rouge au beau milieu du parterre d’eau, tout en chantant Fenestra bassa, une chanson italienne du XVIIe siècle qu’il n’enregistra jamais en disque. À bord de la gondole, se trouvent Louis XIV et une de ses conquêtes féminines, tandis que retentit bientôt un grandiose feu d’artifice qui illumine toute la façade ouest du château. C’est probablement une des scènes les plus étincelantes et les plus magiques du film, transcendée par la mélodieuse voix de Tino Rossi.

Changement total de décor et d’époque dans la deuxième partie du film. Dans un rôle tout aussi anonyme qu’un gondolier vénitien, Edith Piaf tient celui d’une fille du peuple, qui, en 1789, va vaillamment chanter le chant symbolique de la Révolution française « Ah ! ça ira ! » Il s’agit là d’une adaptation de ce chant révolutionnaire dans la mesure où il a été réécrit pour le film. Ce ne sont donc pas les paroles originelles. En haut d’une échelle, accrochée aux hauteurs des grilles qui séparent la Place d’Armes de la Cour d’Honneur du château, cette fille du peuple semble défier la royauté. Contrairement à Tino Rossi qui était seul sur sa gondole, Edith Piaf, elle, est entourée de plusieurs dizaines de révolutionnaires qui reprennent en chœur le refrain de la chanson. Tino Rossi était apparu à la vingt-deuxième minute du film, Edith Piaf, elle, disparaît vingt-deux minutes avant la fin du film.

La troisième chanson du film se fait entendre quelques minutes seulement après la fin de la prestation d’Edith Piaf, toujours dans le contexte de la Révolution française. C’est de nouveau une chanteuse. Plus jeune qu’Edith Piaf, encore peu connue comparativement à la carrière qu’elle aura ultérieurement, Annie Cordy est âgée de seulement vingt-cinq ans lorsqu’elle se voit proposer le rôle d’une certaine madame Langlois, qui fait partie des révolutionnaires qui occupent le château après la chute de la royauté. Cinquante secondes durant, elle chantera la chanson du citoyen poète, en y joignant même quelques pas de danse.

En dehors de ces trois chansons, la musique du film a été composée par Jean Françaix, grand compositeur, à l’époque âgé de quarante-et-un ans. Ce dernier avait à son actif de nombreuses œuvres orchestrales, vocales, ainsi que des ballets et des opéras. Sacha Guitry avait déjà fait appel à Jean Françaix seize ans plus tôt, en 1937, afin qu’il signe la musique de son film Les perles de la couronne. Jean Françaix n’était alors âgé que de vingt-cinq ans. Cinq ans plus tard, un autre cinéaste se tournera vers lui, mais il faudra attendre 1953 pour que Jean Françaix et Sacha Guitry se retrouvent. Pour le compositeur, ce sera sa troisième aventure cinématographique, alors que Guitry, de son côté, avait travaillé avec différents musiciens pour ses films précédents. Tout porte à croire que la musique réalisée par Jean Françaix pour Si Versailles m’était conté fut particulièrement appréciée du réalisateur puisque ce dernier lui renouvellera sa confiance dans ses trois prochains films, dont Si Paris nous était conté.

Extrait du livre de Mathieu Geagea, « De Versailles à Paris, l'Histoire selon Sacha Guitry », publié aux éditions du Cerf. 

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