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"Si les Corses veulent leur indépendance, qu'ils la prennent" : la France est-elle mûre pour appliquer la sentence de Raymond Barre ?
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Ça se corse

Alors que les nationalistes corses viennent de remporter les élections régionales, la question de l'indépendance de l'île de Beauté revient sur le devant de la scène politique.

Vincent  Laborderie

Vincent Laborderie

Vincent Laborderie est chercheur à l'Université Catholique de Louvain, ses recherches sont particulièrement concentrées sur les conditions de reconnaissance d'un État, les processus menant à l'indépendance et l'évolution du fédéralisme belge. 

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Atlantico : Raymond Barre a dit un jour "Si les Corses veulent leur indépendance, qu'ils la prennent". Pensez-vous que les Français sont aujourd’hui plus ouverts à l’idée d’une séparation avec la Corse ? D’après les sondages, ils étaient 30% à souhaiter l’indépendance de la Corse en 2012…

Vincent Laborderie : Les Français sont effectivement plus ouverts à une indépendance de la Corse que par le passé. Il peut y avoir un effet de lassitude face à un problème récurrent que l'on ne comprend pas et que l'on se sent incapable de résoudre. Mais le point fondamental, c'est que les Corses, eux, ne veulent pas l'indépendance. 

A quel stade en est la Corse aujourd’hui dans son processus d’Etat indépendant ? Une perte de la Corse est-elle vraiment impossible à imaginer pour la France, comme l’affirme Manuel Valls ?

Pour qu'un Etat devienne indépendant dans de bonnes conditions aujourd'hui il y a deux conditions cumulatives : un accord avec l'Etat central et un référendum montrant qu'une majorité de la population (de la Corse en l’occurrence) veut l'indépendance. Sur ces deux points, on peut dire que nous sommes loin du compte. Il ne faut pas oublier qu'une minorité de Corses ont voté pour des listes nationalistes. Parmi ceux-ci, le principal courant est incarné par le parti de Gilles Siméoni qui ne prône pas l'indépendance de la Corse mais une autonomie plus large. 

Concernant la position de l'Etat français, il est actuellement inconcevable que la Corse devienne indépendante. Mais les choses peuvent évoluer. Il peut d'abord y avoir un rejet de la Corse, vue comme une source de problèmes, par la population et la classe politique française. Il faut comprendre que les mises en scène à l'assemblée de Corse (discours d'investiture en langue corse, cérémonie autour du livre mythique de 1758) ont aussi pour but d'envoyer comme message aux Français : "Nous ne sommes pas comme vous". Les politiques "continentaux" ont réagi exactement comme les indépendantistes le souhaitaient : par des réactions outrées et en oubliant que ces derniers ne représentent qu'une petite minorité des Corses. La mécanique du "eux" et du "nous" fonctionne alors à merveille, ce qui légitime le gouvernement nationaliste aux yeux de la population. Enfin, dans une vision néo-libérale des choses, un gouvernement Français pourrait estimer que la Corse coûte cher et que s'en débarrasser serait une bonne affaire d'un point de vue économique.

Peut-on comparer la situation corse avec celle en Catalogne ? L’arrivée au pouvoir des indépendantistes en 2010 a semble-t-il accru le sentiment séparatiste des Catalans. Le triomphe de Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni aux régionales peut-il conduire la Corse vers le "modèle catalan" ?

Tout à fait, et la Catalogne est sans doute leur modèle, en particulier pour Jean-Guy Talamoni. Il faut se souvenir que les demandes du gouvernement catalan n'étaient à l'origine pas indépendantistes. Mais l'intransigeance de Madrid les a conduit à une fuite en avant, soutenu par presque la majorité de la population. Les demandes autonomistes ou de compétences supplémentaires pour la Corse arriveront à un moment ou à un autre. La réponse du gouvernement Français à cette demande sera probablement négative et l'on pourrait alors entrer dans une logique similaire à la Catalogne, où les radicaux ont débordé les modérés. Mais il y a une différence fondamentale entre les deux régions : c'est que la Catalogne est une région riche, contributrice nette au budget espagnol et qui est donc viable économique en cas d'indépendance. C'est loin d'être le cas de la Corse.

En campant sur leurs positions respectives, Jean-Guy Talamoni et Manuel Valls s’adressent aussi à leur propre auditoire politique. Les deux hommes sont-ils vraiment opposés sur ce sujet, ou leurs intérêts sont-ils convergents ?

En effet. Mais Manuel Valls ne pouvait pas vraiment réagir d'une manière différente, en tout cas dans un premier temps. La faute en revient plutôt à l'ensemble de la classe politique française qui, obnubilée par le Front National, n'a pas vu venir ce qui s'est passé en Corse. Sur le fond, Jean-Guy Talamoni et Manuel Valls sont totalement opposées. Mais cette opposition sert l'indépendantiste : il se met au centre du jeu en étant l'opposant principal au Gouvernement français. Pour Manuel Valls, la posture de l'intransigeance est facile et évidente. Mais elle n'est pas forcément payante à terme.

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