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"Redevance" n'est pas un gros mot
©DAMIEN MEYER / AFP

Bonnes feuilles

Balayant les idées reçues, Simone Harari Baulieu s'interroge dans son livre "La chaîne et le réseau : Pourquoi Internet ne va pas tuer la télévision" publié aux éditions de l'Observatoire sur l'importance d'un audiovisuel fort et en particulier d un service public universel renouvelé, dans ses missions comme dans son financement, pour relever les défis contemporains. Elle rappelle l'importance des mass médias dans la vie quotidienne de chacun comme face aux grands enjeux collectifs. Extrait 1/2.

Simone Harari Baulieu

Simone Harari Baulieu

Simone Harari Baulieu est diplômée de Sciences Po Paris et ancienne élève de l’E.N.A (promotion Guernica). En 1984, elle crée Télé Images, un groupe de production et de distribution audiovisuelle. En 2005, elle créé une nouvelle société de production, Effervescence. Elle a présidé l’USPA (Union syndicale de la production audiovisuelle) entre 2003 et 2007.Parallèlement à ses activités de productrice, Simone Harari participe en 2008 à la Commission pour une Nouvelle Télévision Publique. Officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du mérite, elle est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La télé déchaînée (Flammarion) en 2009 et La Chaîne et le Réseau (Editions de l’Observatoire) en 2018.

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Même rebaptisée depuis 2009 CAP (contribution à l’audiovisuel public), la redevance ne passe toujours pas. Et ce n’est pas spécifique à la France. En Suisse, les citoyens se sont prononcés le 4 mars 2018 sur une initiative populaire intitulée « No Billag », du nom de l’organisme officiel chargé de collecter la redevance. Les jeunes à l’origine de cette initiative ne se cachaient pas de vouloir forcer la Société suisse de radiodiffusion et de télévision (SSR) à s’aligner sur le modèle économique d’une entreprise privée, expliquant ainsi leur projet : « Si l’initiative est acceptée, la SSR devra se financer de façon autonome, comme la large majorité des entreprises de notre pays... Il s’agit simplement de remplacer un financement obligatoire arbitraire par un financement volontaire comme il existe pour les médias papier ». Mais même les libéraux du PLR (Parti libéral-radical) se sont opposés à cette tentative de nier l’idée même d’un service public de l’audiovisuel.

 En théorie, la SSR (17 stations de radio, 6 chaînes de télévision, 3 marques nationales, 6 000 salariés et 1,6 milliard de francs suisses de budget), aurait dû fermer ses portes en fin d’année. Plus de peur que de mal : les Suisses ont massivement rejeté, à plus de 70 % et dans l’intégralité des cantons, la proposition. Pourtant, le débat de fond reste ouvert, comme en témoigne la réaction soulagée mais prudente du directeur général de la SSR Gilles Marchand : « On prend au sérieux ces critiques et naturellement on peut toujours économiser. » Au moment où la disparition de la redevance est clairement envisagée, il convient de se souvenir des faits.

 Premier fait : la France, pays (auto)proclamé de la culture et de la fiscalité, a paradoxalement une redevance très faible en comparaison de ses voisins européens : 139 euros annuels chez nous contre 160 euros en Irlande, 200 euros en Grande-Bretagne, 216 euros en Allemagne, 221 euros en Suède, 390 euros en Suisse (qui va le baisser de près de 20 % en passant à 319 euros)... En France, nos 139 euros par an, c’est 11,50 par mois, un peu plus que le prix d’un seul billet de cinéma, la moitié d’un abonnement classique à Canal+. 

Second fait : la redevance est un élément important de l’indépendance de l’audiovisuel public vis-à-vis du pouvoir politique. Dès lors que la télévision publique ne tire pas directement ses ressources du budget de l’État, mais de la redevance, elle évite un contrôle permanent du politique, voire des représailles si elle a « déplu » au pouvoir politique... Or la télévision publique n’est pas et ne doit pas être une télévision d’État. Soumettre chaque année les recettes de France Télévisions au seul bon vouloir du gouvernement et des parlementaires, c’est évidemment faire perdre toute visibilité à l’entreprise et rendre possible une sanction en raison des programmes diffusés les mois précédents. On peut imaginer que la budgétisation du financement de l’audiovisuel public déboucherait sinon sur une « censure » en bonne et due forme, au moins sur une « autocensure » des professionnels et dirigeants de la télévision publique eux-mêmes, à commencer par la conception des émissions politiques ! La redevanceest donc une exception à protéger. À conforter même, de deux façons. Voici lesquelles.

D’une part grâce à l’élargissement de son assiette : quoi de plus obsolète qu’une taxe basée sur la seule détention d’un « poste de télévision » ? L’expression même de « poste » de télévision fleure bon un passé révolu, l’opposé de l’ère mobile, fluide et même liquide dans laquelle nous sommes entrés. D’évidence, une taxe assise sur les téléspectateurs doit être neutre quant au support sur lequel ils regardent les programmes, tablette, ordinateur, écran de salon ou téléphone, qu’importe ! Toute personne ayant une résidence en France doit y être assujettie.

D’autre part grâce à la mensualisation, qui permettrait sa meilleure acceptation par le téléspectateur. Qui s’abonnerait à un service qui facturerait en une seule fois plus de 100 voire 200 euros ? Et pourtant les 10 euros mensuels de Netflix ou les 30 euros (en moyenne) de Canal+ séduisent leurs abonnés. Il va de soi que l’affichage d’un montant annuel est décourageant. Notre époque est celle des coûts mensuels, qu’il s’agisse du remboursement d’un crédit, d’une location immobilière, d’un abonnement téléphonique...

Extrait de "La chaîne et le réseau : Pourquoi Internet ne va pas tuer la télévision" de Simone Harari Baulieu, publié aux éditions de l'Observatoire

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