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"Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font" : après la mort de Jacques Hamel, la difficile question de la compréhension et du pardon
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Bonnes feuilles

Le père Jacques Hamel, humble curé de campagne est assassiné en juillet 2016 dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray. Dieu seul sait pourquoi. Occultée en son temps par la légitime émotion ressentie et l'intérêt bien compréhensible des médias relatant le drame, la question se pose de savoir qui il était, et de découvrir l'homme qu'était le prêtre et le prêtre qu'était l'homme. Extrait de "Père Jacques Hamel" d'Armand Isnard, aux éditions Artège (2/2).

Armand Isnard

Armand Isnard

Armand Isnard est auteur et réalisateur de films pour la télévision. À travers ses documentaires, il dresse le portrait intime de ces figures trop peu connues qui marquent notre temps.

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Dans un récent bulletin paroissial, le père Hamel invite à poursuivre et intensifier le dialogue interreligieux: « Puissions-nous en ces moments entendre l’invitation de Dieu à prendre soin de ce monde, à en faire, là où nous vivons, un monde plus chaleureux, plus humain et plus fraternel. Un temps de prière aussi. Attentifs à ce qui se passera dans notre monde à ce moment-là. Prions pour ceux qui en ont le plus besoin, pour la paix, pour un meilleur vivre-ensemble. » Il y a comme un appel à poursuivre le chemin de fraternité qu’il appelle de ses vœux dans la prière et dans la vie quotidienne. À l’annonce de sa mort tragique, il aurait pu y avoir une vague de colère : rien de tout cela, aussi bien pour les proches que pour les habitants de Saint-Étienne-du-Rouvray ou pour les catholiques. « La souffrance que nous vivions nous accaparait pleinement le corps, l’esprit, notre âme, se souvient Roselyne. J’avoue que je n’ai pas connu cette sensation de colère qui monte, de haine, et mes enfants non plus. »

Pas de place pour autre chose que la douleur… Il n’y a guère d’explication à cette réaction qui est aussi partagée par la communauté chrétienne, par les habitants de la commune. Catholiques, pratiquants, chrétiens, voisins, proches: la réaction humaine était imprévisible. « De toute façon ces jeunes gens sont morts, que peut-on y faire ?, poursuit la sœur du père Hamel. La première question que nous a posée l’archevêque lorsqu’il est venu nous rencontrer pour nous connaître et préparer les futures obsèques, c’était: “Êtes-vous en colère ? Avez-vous de la haine ?” Eh bien non! »

Mais au-delà, comment pardonner? Il y a, notamment pour sa famille, un incroyable chemin à parcourir: c’est la vie d’un être aimé qui a été enlevée de manière agressive et violente. « Il y a tout un chemin d’évangélisation à faire, afin que l’Évangile nous habite et non pas parfois des sentiments humains, précise encore le père Vigouroux. La colère est humaine ; comment l’Évangile peut-il convertir une colère en pardon, en amour, en main tendue ? » C’est la grâce de Dieu qui peut agir en chacun pour convertir les sentiments humains que nous éprouvons tous pour les dépasser. Pardonner, les paroissiens de Saint-Étienne-du-Rouvray sont partagés, tant le choc a été rude : « Personnellement, je pense qu’il est facile de pardonner à ces deux jeunes gens qui ont porté la main sur le père Jacques Hamel parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, commente le père Moanda Phuati. Ce sont des jeunes qui ont été manipulés. Ceux à qui j’ai encore du mal à pardonner, ce sont les personnes qui étaient derrière ces jeunes, ceux qui les ont embrigadés et poussés au meurtre. Ceux-là savaient ce qu’ils faisaient. »

Mgr Lebrun, avant même d’être revenu à Rouen, et encore en direct des JMJ en Pologne, rappelle la prière de Jésus: « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Ses premiers mots sont d’inviter chacune et chacun à prier pour les trois victimes de ce jour-là, réunissant dans la prière le père Hamel et les deux jeunes terroristes qui sont morts. Et comment pourrait-on rester insensible à la mort de deux jeunes, surtout à la suite d’un aveuglement si dramatique ? « La question du pardon, pour nous chrétiens, elle est tellement essentielle, centrale, naturelle !, insiste le père Pierre Belhache. Je ne dis pas que le pardon est facile, qu’il serait automatique, ce qui n’aurait pas de sens. Mais l’enjeu du pardon fait foncièrement partie de notre vie de croyant. Il manquerait quelque chose à celui qui voudrait l’éviter, surtout dans un événement comme celui-ci. Si nous ne sommes chrétiens que pour pardonner des broutilles de la vie ordinaire, nous n’avons pas compris grand-chose encore de notre foi chrétienne qui nous entraîne à la suite du Christ mort sur la croix. »

Les amis du père Hamel restent souvent choqués: « Les jeunes qui ont fait ça sont impardonnables, et pire sont ceux qui les ont téléguidés, s’insurgent Nicole et Marc Tocco. Ceux-là, ils sont dans l’ombre, et on aura du mal à les atteindre. Il faut pardonner, mais c’est plus facile à dire qu’à faire ! »

Comprendre alors? C’est encore une autre étape. Savoir ce qui s’était réellement passé, trouver des explications… « Nous sommes allés en chercher, des explications, se défend Roselyne. Pourquoi? Pourquoi cela ? Pourquoi mon frère ? Pourquoi à Saint-Étienne-du-Rouvray ? Nous avions besoin de réponses. » La colère surgit vis-à-vis de ceux qui ont instruit des jeunes, à peine sortis de l’adolescence, qui leur ont « tourné le cerveau », qui en ont fait des criminels, des kamikazes, qui ont sacrifié leur vie au nom d’un Dieu qui tue. « Qui peut penser des choses comme ça ? Ces réponses, je suis allée les chercher au plus près de ce drame, c’est-à-dire chez la maman de ce jeune homme qui a supprimé la vie de Jacques, raconte sa sœur. Un vrai lien s’est noué, car notre souffrance est commune, plantée en nous depuis que mon frère et son fils se sont trouvés face à face. »

Six mois après ce 26 juillet fatidique, Roselyne Hamel se sent prête : c’est le moment, la rencontre devient possible. « Je cherchais un pansement à ma douleur et j’ai pensé à cette maman et aux mamans qui vivent ce cauchemar de voir leurs enfants tourner les talons aux valeurs qu’elles leur ont données, et je me suis dit: ma position n’est pas enviable, mais je plains cette maman et ces mamans qui subissent cette atrocité, cette souffrance. J’ai cherché par tous les moyens à la rencontrer et peut-être à avoir des réponses à mes questions. Ce ne peut pas être un apaisement à ma douleur. Mais j’ai créé ce lien pour qu’elle ne soit pas seule face à cette grande douleur de mère, pour que nous puissions nous aider l’une l’autre, face à ce moment dramatique qui ne s’effacera jamais et qui nous lie à jamais. »

À Saint-Étienne-du-Rouvray, dans la différence d’âge et de culture, on entretient la chaleur et la priorité de la relation. Grâce à la religion, quelle qu’elle soit, l’homme trouve force et consolation rien qu’en levant les yeux au ciel! « Ayant été curé de Saint-Étienne-du-Rouvray, je garde une grande affection pour cette paroisse, pour les habitants de cette ville. Ce qui me paraît essentiel aujourd’hui, c’est que ceux et celles qui ne connaissent pas bien la ville ou la paroisse, ne se focalisent pas uniquement sur cet événement, explique le père Belhache. S’ils veulent s’intéresser à Saint-Étienne-du-Rouvray, qu’ils s’intéressent à la mission qui est exercée par des gens simples qui se donnent depuis des années pour faire tourner une paroisse. C’est un lieu très simple, un milieu populaire où il n’y a pas forcément beaucoup de moyens. Il faut de l’énergie pour faire exister quelque chose dans cette ville, pour être présent à ce que vivent les habitants. Il y a énormément de choses qui se font mais qui demandent énormément d’efforts, aux quelques personnes qui sont investies. »

Le drame du 26 juillet a certainement focalisé les attentions et canalisé les énergies: plus qu’un symbole, Saint-Étienne-du-Rouvray est désormais un lieu fort de témoignage et de présence. Sans doute faut-il prêter attention à tous les lieux comme Saint-Étienne-du-Rouvray, ne pas oublier les quartiers les plus reculés dont on ne parle pas trop. « Je crois que Jacques Hamel est vraiment l’instrument entre les mains de Dieu pour que le plus petit, le plus faible, soit mis en valeur et pour que les petites pousses, les petites grâces qui surgissent fassent du bruit, alors que d’habitude elles n’en font pas », souhaite le père Belhache.

Le comité interconfessionnel, créé à l’occasion des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015 et dont faisait partie le père Hamel, poursuit sa mission de dialogue et de formation: « Nous n’avons pas de programme préétabli, pour rester disponibles à l’événement. Rien que le fait même de se rencontrer, de se retrouver et de partager ce que nous vivons a déjà produit du fruit, témoigne encore Pierre Belhache. Nous avons aussi mis en place, deux fois par an, des conférences à quatre voix: deux voix chrétiennes de confessions différentes, une voix juive, une voix musulmane, sur un thème précis comme, par exemple, “Quel engagement politique pour le croyant?” Chacun expose en quelques minutes sa vision sur ce thème, après quoi, le débat avec la salle est lancé. »

Il y a tant de caresses de Dieu et la foi, la spiritualité, la découverte de soi, des autres et de Dieu passent par le regard, l’écoute, le toucher, la danse, les parfums et les saveurs. Par tous les sens, dans toutes les langues, on peut exprimer sa sensibilité. Le père Hamel l’affirme en d’autres termes: « Aimons notre communauté. Aimons-la comme étant la société que Dieu nous a choisie. Rien n’est sanctifiant comme la vie commune si nous nous laissons guider par l’esprit de foi. Le contact des différents caractères polit le nôtre et le détache de sa gangue. Un caillou isolé garde ses arêtes coupantes. Le galet de la rivière, à force de frottements, devient lisse et poli. Aimons donc notre communauté, aimons-en tous les membres. Entourons-les d’estime et de respect. »

Extrait de "Père Jacques Hamel" d'Armand Isnard, aux éditions Artège

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