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"Pas pour le moment" : mais au fait, quel serait vraiment le potentiel d’une alliance LR-FN ?
©BERTRAND LANGLOIS / AFP

Inenvisageable, vraiment ?

Juste après la victoire de Laurent Wauquiez à la présidence des Républicains, lors d'un débat l'opposant à Florian Philippot, Virginie Calmels a expliqué qu'une alliance entre son parti et le FN n'était pas d'actualité… "pour le moment". La probable vice-présidente LR a ensuite "rétropédalé", insistant sur le fait que cette dite alliance "n'aura jamais lieu". Pourtant, les répercussions d'un tel rapprochement posent question.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Lors d'un débat l'ayant opposée à Florian Philippot, celui évoquant la question d'une alliance avec Marine Le Pen, Virginie Calmels a répondu "Pour le moment, nous la refusons nous", induisant ainsi une alliance probable à l'avenir, une hypothèse que l'intéressée a minimisé par la suite. En imaginant un tel scénario, comment pourrait-on imaginer l'impact d'une alliance au niveau électoral ? Selon les éléments disponibles, une alliance entraînerait-elle un affaiblissement de l'ensemble, ou son renforcement ?

Christophe Boutin : Je crois que la question n’est pas celle de l’alliance en général, radicalement impossible – il est évident par exemple qu’il n’y aura à terme pas de fusion entre Les Républicains et le Front National – mais celle des alliances électorales de circonstance. Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, rien n’est impossible demain.

Souvenons-nous de la gauche française des années cinquante et de l’opposition mortelle entre la SFIO de Guy Mollet et le PC soviétophile de Jacques Duclos. Une opposition qui, tenant compte des poids électoraux respectifs des deux partis, leur interdisait d’espérer accéder au pouvoir. Ils ont pourtant su, une fois déterminé un ennemi commun, faire un tri dans leurs doctrines et finalement se rapprocher jusqu’à élaborer un programme commun de gouvernement. Cette alliance électorale s’est révélée payante – plus objectivement pour un PS qui a alors largement siphonné les électeurs communistes.

Une telle alliance n’est pas plus inenvisageable entre LR et FN qu’entre SFIO et PC, dès lors qu’ils admettent avoir, derrière des divergences, un socle idéologique en commun exploitable lors d’échéances électorales. Ce ne sera sans doute pas le cas pour les élections européennes de 2019, mais les choses peuvent être différentes lors des élections locales, notamment municipales, qui permettent une recomposition des listes entre les deux tours et donc de concrétiser des alliances qui peuvent permettre de l’emporter.

C’est donc ce type d’alliance du second tour qu’il faut envisager lorsque l’on évoque les alliances entre LR et FN. Quant à la question de savoir si elles entraîneraient un affaiblissement ou un renforcement, on peut penser que si elles sont faites autour d’un simple programme commun de gouvernement des collectivités concernées, idéologiquement le plus neutre possible, elles pourraient permettre d’imposer une politique de terrain de droite.

Reste bien sûr la question de la définition de l’ennemi commun, élément indispensable pour ensuite élaborer une plateforme commune en réponse. Dans les années soixante, il s’agissait  d’un gaullisme apparemment inexpugnable. Aujourd’hui, il s’agit, pour reprendre les termes d’un Laurent Joffrin, d’un macronisme porteur du « spectre redoutable d’une démocratie sans alternance ».

Selon un sondage Yougov du 7 décembre dernier, pour les sympathisants LR soutenant l'idée d'un rapprochement avec le Front national (24% y voient une "bonne chose), un tel rapprochement serait possible, non pas entre Laurent Wauquiez et Marine Le Pen, mais entre Laurent Wauquiez et Marion Maréchal Le Pen (pour 56% des LR favorables à l'alliance). Faut-il voir une telle éventualité comme une logique de la poursuite de la recomposition politique française ?

 Là encore de quoi parle-t-on ? Il faut se méfier des termes utilisés par les sondeurs et de la manière dont les sondés les perçoivent. Rapprochement n’est pas fusion. Le RPR et l’UDF ont par exemple longtemps tenu de manière coordonnée la politique à droite, se réunissant dans des alliances de second tour contre un ennemi commun, sans renier leurs fondamentaux, et il n’est pas dit que les « Rassemblements » que l’on a ensuite connu, dans des structures uniques, aient servi ces familles de pensée.

Derrière cette volonté de « rapprochement », les électeurs veulent d’abord que le dialogue entre ces formations soit possible et qu’on en termine avec une politique d’anathème systématique, de « cordon sanitaire », dont l’échec n’est plus à démontrer. Ils veulent ensuite que l’on soit capable, de part et d’autre, de voir non seulement ce qui divise, mais aussi les éléments communs sur lesquels des plateformes concrètes puissent être élaborées pour telle ou telle échéance.

Quant à la question des personnes, il ne faut sans doute pas négliger cette profonde lassitude des Français devant des politiques présents depuis des années, ce besoin de changement de têtes qui a puissamment servi l’initiative de LREM en 2017. En ce sens Marion Maréchal Le Pen a pour elle d’indéniables avantages sur sa tante…

Mais il ne faudrait pas écarter aussi le fait que, dans l’opposition que l’on pourrait - très schématiquement - faire entre une « ligne Marine », qui a placé avant tout le côté social, et une « ligne Marion », fixée elle sur la défense identitaire, les électeurs de LR sont naturellement plus proche de la seconde qui n’est pas sans rappeler certains éléments gaulliens. Un élément accentué encore par l’approche de l’Euro dans le programme du FN lors des présidentielles, paniquant un électorat LR volontiers âgé.

Quelles sont encore les obstacles à une telle union, notamment en termes des "valeurs" défendues par les deux électorats ? Quels sont les obstacles qui ont déjà pu être franchis par les dirigeants des deux partis ?

 Les valeurs ne sont que rarement des obstacles en politique si l’on veut bien considérer, sans excessif machiavélisme, qu’elle est un art du réalisme. De plus la « reductio ad hitlerum » du FN a fait son temps et plus personne ne croit que les hordes brunes vont déferler demain.

Or nombre de questions que se posent les deux électorats du FN et de LR sont les mêmes, comme en matière de sécurité ou de contrôle de l’immigration, et nombre de réponses sont fort proches, avec juste un déplacement de curseur.

C’est peut-être cette angoisse commune face à ce que devient une nation qui se délite qui va pousser les dirigeants des deux partis à distinguer entre ce qui est accessoire et ce qui est essentiel. Devant l’urgence de la situation il faut savoir quoi conserver. Et c’est sans doute autour de ce terme de conservatisme, notion indispensable pour qui, individu ou nation, veut perdurer dans son être, que le débat aura lieu.

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