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 Les Bisounours, c’était avant : la violence armée dans les films pour enfants dépasse désormais celle qu’on voit dans les films pour adultes
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Haut les mains, personne ne bouge!

Une étude publiée aux Etats-Unis par le journal Pediatrics montre que le total des scènes de violence présentes dans les films pour un jeune public a explosé ces trente dernières années. Désormais, cette violence armée dans les films pour jeunes dépasse la violence dans les films pour adultes. Les parents doivent prendre leur précautions avant d'aller au cinéma avec leurs enfants.

Serge Tisseron

Serge Tisseron

Serge Tisseron est psychiatre, docteur en psychologie, membre de l’Académie des technologies et du Conseil national du numérique. Son dernier ouvrage paru : « L’Emprise insidieuse des machines parlantes : plus jamais seul » (Ed. Les Liens qui Libèrent).

Il a réalisé sa thèse de médecine sous la forme d’une bande dessinée (1975), puis découvert le secret de la famille de Hergé uniquement à partir de la lecture des albums de Tintin (1983).

Il est l’auteur d’une trentaine d’essais personnels. Il a imaginé en 2007 les repères "3-6-9-12, pour apprivoiser les écrans", et le "Jeu des Trois Figures" pour développer l’empathie et lutter contre la violence dès l’école maternelle.

Il a créé en 2012 le site memoiredescatastrophes.org, la mémoire de chacun au service de la résilience de tous". Il est coauteur de l’avis de l’Académie des sciences "L’enfant et les écrans". Il est aussi photographe et dessinateur.

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Atlantico : Les films destinés à un jeune public aux Etats-Unis contiennent de plus en plus de violence. La situation est-elle comparable en France ? Est-ce que les films destinés à un jeune public contiennent de plus en plus de scènes de violence par armes à feu ? 

Serge TisseronLa France n’a heureusement pas la même culture des armes à feu que les États-Unis. Beaucoup de films d’animation produits en France ces dernières années montrent d’ailleurs un souci extrême de la réception par le jeune public des situations pouvant avoir un potentiel traumatique. Mais beaucoup de films américains bénéficient en France d’une publicité considérable souvent axée sur l’extrême violence de leurs contenus, et ils sont vus par beaucoup d’adolescents. Se demander pourquoi tant d’adolescents cherchent cette violence est d’ailleurs un problème bien aussi important que celui de connaître les conséquences sur eux de ce qu’ils voient. Mais la question semble peu préoccuper les chercheurs, notamment américains. Trop complexe peut être…  Par ailleurs, pour les jeunes enfants, en France, n’oublions pas les films qui passent à la télévision en prime time, dont certains comportent leurs scènes les plus violentes dans le premier quart d’heure, celui qui a justement le plus de chance d’être vu par les petits encore installés à cette heure-là devant l’écran familial. Ils iront se coucher sans avoir vu la fin du film, celle dans laquelle le méchant sera peut-être finalement puni. Ils n’auront hélas vu que son impunité ! Et n’oublions pas non plus le problème que représente, pour les enfants emmenés au cinéma voir un film « de leur âge », le fait d’être confronté aux bande-annonces des films pour adultes, y compris de ceux qui sont interdits aux moins de 14 ans. L’académie américaine de pédiatrie appelle les parents à la vigilance puisque leur législation fait appel à la responsabilité parentale. L’Académie de médecine devrait appeler en France à l’interdiction de ces bandes-annonces en salle lors de la projection de films réservés aux jeunes enfants : ce serait une façon de prendre acte des décisions de la Commission de classification du cinéma, et des problèmes de santé psychique liés aux écrans.

Une étude menée aux Etats-Unis montre que les scènes de violences par arme à feu dans les films pour jeune public a dépassé le total de scènes de violences par arme à feu dans les films pour adultes au cours de ces trente dernières années. Quels sont les risques auxquels s'exposent les jeunes concernés par ces films ? Sont-ils capable d'absorber ces images violentes ?

On sait aujourd’hui que la mise en scène de la violence fait courir statistiquement plusieurs risques : celui d’être moins sensible à la souffrance d’autrui en réduisant l’empathie émotionnelle ; celui de percevoir les comportements violents comme normaux et susceptibles d’être mis en place pour résoudre des situations de la vie quotidienne ; et, chez certaines personnalités pathologiques heureusement rares, un risque d’imitation. Ces dangers ne sont évidemment pas les mêmes selon que le spectacle regardé se déroule dans un monde sans lien avec celui du spectateur (comme dans un western, un univers fantastique ou au Moyen Âge) ou bien dans un monde semblable à celui dans lequel il vit chaque jour. Par ailleurs, cela ne nous éclaire pas sur les réactions des spectateurs : ceux qui se trouvent renforcés dans le désir d’utiliser la violence, ceux qui peuvent craindre un peu plus d’en être victimes, et ceux qui s’identifient au redresseur de tort. Au moment de la sortie du premier Terminator, des enfants de pays en guerre disaient désirer être « comme lui » pour pouvoir protéger leurs proches. Les études ne comptabilisent hélas que le premier groupe. C’est évidemment alarmant, mais il y a encore des recherches à mener pour mieux comprendre la complexité des phénomènes.

Face à ce constat sur la hausse des scènes de violence par armes à feu dans des films supposés être destinés à un jeune public, comment les parents peuvent réagir ? Quelle est l'attitude qu'ils doivent adopter pour leurs enfants ? Interdire ces films est-ils vraiment la solution la plus adaptée ?

La violence fait hélas partie du monde quotidien. Elle est omniprésente sur les écrans des bulletins d’information, dans les jeux vidéo les plus joués par les pré-ados et les ados, et dans les vidéos que les jeunes visionnent sur les réseaux sociaux. Mais elle n’a évidemment pas le même sens. Il faut donc essayer de contextualiser cette violence. Tout d’abord, il me semble qu’il faut faire une différence entre la mise en scène de la violence qui permet de se protéger, et celle qui montre une jouissance à tuer. Le problème aujourd’hui ne consiste hélas pas seulement dans l’existence de scènes de violence de plus en plus banalisées, mais dans l’émergence d’un nouveau type de héros, le criminel pervers qui trouve un plaisir extrême à torturer ou mettre à mort son prochain. Ensuite, n’oublions pas qu’il existe également des formes de violence qui n’impliquent pas les armes, mais qui sont elles aussi problématiques par le caractère apparemment « normal et quotidien » de leur exercice : je pense au fait de traiter quelqu’un en inférieur, qu’il s’agisse des femmes, des immigrés, ou des personnes qui ont une couleur de peau différente. Aux États-Unis, les réalisateurs de cinéma sont maintenant extrêmement vigilants sur ces problèmes. Ce n’est pas le cas de tous les films qu’on peut voir en France.

Dans tous les cas, la famille est évidemment un espace privilégié d’éducation. Il faut que les parents fassent respecter les indications de la Commission de classification du cinéma. Ils doivent aussi attirer l’attention de l’enfant sur le fait que de nombreux films, mais aussi les actualités télévisées, mettent l’accent sur le caractère le plus spectaculaire de la violence, à savoir l’agression, mais que la violence suscite aussi d’importants mouvements d’entraide et de solidarité. Le message à faire passer est que, quel que soit le caractère inhumain d’une situation, il est toujours possible d’y réagir de façon humaine. Pour cela, bien sûr, il faut prendre le temps de parler. C’est pourquoi le principal conseil des repères 3-6-9-12 que j’ai proposés pour gérer la question des écrans en famille et de prendre le repas du soir sans télévision, ni téléphone mobile, ni tablette, de façon à en faire un moment d’échanges. D’ailleurs, il a été montré que cela constitue le meilleur indicateur de la réussite scolaire et de l’intégration sociale future d’un enfant ! Les parents ne sont donc pas démunis !

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