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"Le taux d'emploi le plus élevé depuis quarante ans" est-il un aussi bon indicateur économique qu’il y paraît ?
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amélioration

La France doit encore progresser : nous avons encore un taux de chômage bien plus élevé que la moyenne européenne et un taux d’emploi beaucoup plus faible aux deux extrémités de la vie active (les jeunes et les seniors).

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : Sur RMC, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances a déclaré : "Ce qu'on ne dit pas dans ce pays, c'est qu'on a le taux d'emploi le plus élevé depuis quarante ans !". Pourquoi la mise en avant de cet indicateur est-elle trompeuse ? Que dit réellement cet indicateur de l'emploi et de l'économie en France ?

Bertrand Martinot : Agnès Pannier-Runacher a raison quand elle affirme que le taux d’emploi en France (ratio nombre d’emplois / population en âge de travailler (15-65 ans) est le plus élevé depuis 40 ans. Les raisons sont essentiellement de trois ordres : la sortie de la population en âge de travailler des classes d’âge où le taux d’activité (donc d’emploi) féminin était faible, ce quientraîne une hausse du taux d’emploi des seniors (55-65 ans) ; l’effet des réformes des retraites, notamment celle de 2010, qui, là encore, pousse le taux d’emploi des seniors à la hausse ; enfin, l’ampleur des créations d’emploi au cours des trois dernières années. 
Cet indicateur a le mérite de révéler la quantité de travail dans une économie et de mesurer si des réserves de croissance potentielle existent du côté du facteur travail. 
Bien entendu, cet indicateur ne saurait résumer à lui seul la situation sur le marché du travail et il faut le combiner avec d’autres. 
Par exemple, il fautévidemment le combiner avec le taux de chômage qui, lui aussi, ne raconte qu’une partie de l’histoire. Par exemple, un pays peut avoir un taux de chômage très bas avec un taux d’emploi assez bas. C’est le cas des Etats-Unis, pays qui navigue autour du plein emploi, mais dont le taux d’emploi diminue de manière inquiétante du fait du retrait de l’activité (donc de l’emploi) de nombreux américains, par découragement ou parce qu’ils sont en voie de marginalisation ou… en prison. La meilleure combinaison est évidemment « faible taux de chômage / taux d’emploi élevé », situation qui prévaut par exemple en Allemagne. 
De même, il faut également considérer divers indicateurs relatifs aux pénuries de main d’œuvre et difficultés de recrutement. 
Bref, ce n’est qu’à partir d’une batterie d’indicateurs que l’on peut juger de la situation d’un marché du travail. 

Comment se porte réellement l'emploi en France ? Que révèlent les autres indicateurs du marché de l'emploi ?

Les créations nettes d’emploi ont redémarré en France à partir du second semestre 2015, soit plus de 5 ans après la fin de la dernière récession, c’est-à-dire très lentement. Le marché du travail porte encore les stigmates de ce redémarrage tardif : fort chômage de longue durée, exclusion d’une partie de la jeunesse du marché du travail… 
De ce point de vue, et malgré ses bons résultats récents, la France doit encore progresser sur les deux principaux front que sont le taux d’emploi et le taux de chômage : nous avons encore un taux de chômage bien plus élevé que la moyenne européenne et un taux d’emploi beaucoup plus faible aux deux extrémités de la vie active (les jeunes et les seniors). 
Pour autant, la situation s’améliore : créer presque 200 000 emplois en 2018 et, d’après l’INSEE, environ 250 000 emplois en 2019 avec une croissance stagnant autour de 1,5 % est plutôt une belle performance. 
Si l’on regarde les autres indicateurs, ils sont plutôt de couleur verte : diminution du « halo » autour du chômage (les personnes découragées qui voudraient travailler mais ne recherchent plus activement un emploi), reprise très forte des embauches en CDI, diminution du nombre de plans sociaux (malgré la médiatisation de quelques uns d’entre eux…). 
Le point noir est celui des pénuries de main d’œuvre, qui se sont encore amplifiées depuis l’année dernière. D’après l’enquête annuelle « besoin de main d’œuvre » de Pôle emploi, plus de 50 % des entreprises déclarent éprouver des difficultés de recrutement. D’après l’enquête de conjoncture de l’INSEE, les entreprises considèrent également que le manque de main d’œuvre compétente est à présent le premier obstacle à l’embauche, loin devant le coût du travail ou les contraintes réglementaires. 

Quels leviers compte encore activer l'exécutif pour tenter d'inverser la courbe du chômage ? Quels autres leviers devrait-il activer, selon vous ?

Les cinq principaux leviers pour obtenir une baisse durable du chômage sont bien connus : une modération des coûts du travail, un droit du travail plus souple et plus décentralisé, des salariés et des chômeurs mieux formés, une assurance chômage incitative à la reprise d’emploi et un service public de l’emploi performant. 
Le gouvernement actuel a beaucoup progressé sur les quatre premiers points si l’on y intègre l’annonce d’une réforme ambitieuse de l’assurance chômage. Il n’a pas notablement avancé sur le service public de l’emploi : celui-ci reste encore très éclaté (des acteurs et des strates administratives multiples) et globalement peu mis sous tension. 
Bien entendu, il faudrait lever aussi certains freins périphériques à la création d’emploi : un marché du logement globalement inefficace et qui est un obstacle à la mobilité des travailleurs, une formation initiale encore insuffisamment axée sur les besoins en compétence des entreprises, une sphère publique toujours aussi obèse et qui veut s’occuper de tout en lieu et place des acteurs privés… 
En résumé, les chantiers restent considérables. Mais pour ce qui relève des politiques du travail et de l’emploi stricto sensu, force est de constater que beaucoup a déjà été fait. 

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