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“Le pacifisme, ça suffit” : pourquoi la stratégie de répression judiciaire et policière risque de produire une génération de militants politiques aguerris
©ALAIN JOCARD / AFP

Contre-productif

Dans un contexte de montée en puissance de la violence, Maxime Nicolle, aussi connu sous le pseudonyme "Fly Rider", interpelle l'opinion publique sur les réseaux sociaux à travers une vidéo publiée suite à l'acte 9 dans laquelle il remet en cause le pacifisme.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico: N'est-on pas aujourd’hui confronté à une logique de galvanisation et d’aguerrissement de certains leaders des Gilets jaunes, qui ferait suite à la réponse policière et judiciaire apportée au mouvement, et à ces personnes en particulier? La réponse apportée par l’exécutif est-elle en ce sens réellement adaptée ? 

Voir la vidéo : https://twitter.com/vincentglad/status/1084917864392548356

Guillaume Jeanson: Pour qui s’essaie à fuir la caricature, appréhender le mouvement des gilets jaunes est devenu chose complexe. Ce mouvement est en effet polymorphe. Ses multiples voix sont parfois dissonantes. Les postures et comportements adoptés en son sein sont parfois extrêmement variés. Elles vont du plus pacifique au plus belliqueux. Vous questionnez légitimement les réponses policières et judiciaires. La justice, comme les forces de sécurité intérieure, tâchent, il me semble, de faire face à un mouvement dont le gigantisme influe nécessairement sur le cours normal de leurs pratiques. On parle beaucoup ces jours-ci de violences policières et de décisions de justice iniques. Le journal Libération a publié un article intitulé : « gilets jaunes : le décompte des blessés graves » et mon confrère Régis de Castelnau a pourfendu avec talent le « zèle des parquets déchaînés dans la répression de masse », « des interprétations de la loi répressive souvent audacieuses pour ne pas dire plus », déplorant qu’il ne s’agisse non plus là de justice mais « d’abattage ».

Tout usage illégitime et illégal de la force par les policiers est évidemment inacceptable et doit être fermement condamné. L’intensité de certaines blessures occasionnées lors d’usages légaux de la force mérite également que soit questionné le recours à certaines armes et tactiques. Mais veillons à ne pas salir non plus à tort, pour ces quelques cas déplorables et d’ailleurs signalés à l’IGPN, l’ensemble d’une institution déjà fortement soumise à rude épreuve. Du côté de la justice, la corde est particulièrement sensible. Et, là aussi, l’incompréhension du justiciable peut se muer en révolte. Elle peut nourrir le risque d’encourager, comme vous le suggérez, « une certaine galvanisation » et un certain « aguerrissement ». Si les simples personnes venues manifester pacifiquement pour faire entendre leur désespoir quant à l’effondrement de leurs conditions sociales mériteraient toute la mansuétude des juridictions ; si ceux qui ont commis des infractions de faible gravité mériteraient des réponses pénales « responsabilisantes » (c’est à dire non symboliques) et résolument tournées vers la réparation des dommages causés ; et si les professionnels de la casse et de la violence devraient, quant à eux, se heurter à une grande fermeté ; on observe hélas parfois dans la pratique une grande confusion qui est terriblement dommageable. Tant pour les justiciables que pour le crédit de l’institution toute entière. Est-ce que tout répond pour autant à un sinistre dessein fomenté par le pouvoir ? Là aussi, la réponse est complexe et c’est pourquoi je dirais : en partie seulement. En effet, face à ces grandes disparités de situations, on peut certes déplorer à l’instar de Régis de Castelnau, qu’il ne se trouve « aucun procureur dont la parole est libre à l’audience pour refuser les ordres de Belloubet ». On peut, tout autant, déplorer avec lui « les interventions permanentes de la place Vendôme voire de Matignon y compris des instructions individuelles pourtant interdites par la loi ». Ces dysfonctionnements sont scandaleux et doivent être dénoncés. Heureusement, certains s’y emploient brillamment. Il y a quelques jours Philippe Bilger critiquait lui aussi sur son blog le fait que les Gilets Jaunes « ont payé la rançon de leur animosité présidentielle. (…) Malgré les apparences on les craignait moins mais, comme ils paraissaient menacer l'Etat, on leur a fait subir un régime plus dur. » Comment dès lors pourrait-on juger « adaptée » cette réponse des autorités ?

Mais on ne peut pas non plus exclure totalement une autre réalité : dans de telles circonstances exceptionnelles, il est hélas aussi à peu près impossible, d’échapper au règne de l’« à peu près ». Ce qui, comme j’ai déjà eu le loisir de l’écrire, n’est jamais gage de bonne justice : procès-verbaux bâclés, des dossiers parfois très vides, et une grande disparité de traitement d’une chambre à l’autre. Avec à la clef, autant de drames d’audiences : erreurs judiciaires et victimisations secondaires. Autant d’autres dysfonctionnements, involontaires cette fois, mais qui ne manqueront jamais, bien sûr, d’être interprétés, de manière univoque, à l’aune d’une soumission rapidement prêtée du judiciaire à l’exécutif.

Quels sont les risques de voir cette logique s'amplifier au cours des semaines à venir ? 

Les risques encourus sont multiples. De sa plume inimitable, mon confrère Gilles-William Goldnanel avertissait récemment : « Mais attention, à l'intention de ce qu'on appelle encore, par antiphrase ou dérision, «pouvoir», à ne pas recommencer, en même temps, le tout et le n'importe quoi. Après avoir fait le faux gentil avec la vraie racaille, contrefaire le faux dur contre la contestation légale. Le peuple de France n'est pas la foule futile. Le premier même grognon peut être bon garçon, la seconde finit toujours, pour être trop facile, par être mauvaise fille. »

Si cette logique s’amplifie, il faudra probablement compter avec davantage de débordements. Davantage de débordements qui risqueront d’être contenus de moins en moins « proprement » par des forces de sécurité intérieure proches de l’épuisement. Il faudra donc compter très probablement avec davantage de victimes collatérales et davantage de situations révoltantes qui, à leur tour, alimenteront, suivant un terrible engrenage, le pourrissement de la situation.

Et puis, si n’est pas questionnée la juste proportion de certains ordres parfois donnés, une condamnation de la France par certaines instances internationales pourrait parfaitement se profiler. Ajoutant au désordre, le discrédit. On se souvient à cet égard du tollé provoqué il y a quelques années par un usage massif de gaz lacrymogène sur certains « manifestants en poussette » de la Manif pour tous. L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait alors, pour mémoire, épinglé un « recours excessif à la force ». Est-ce le cas ici ? A en juger par l’étendue des dégâts, le nombre de blessés et le caractère très hétérogène des gilets jaunes, on ne saurait complètement l’exclure. On ne saurait encore moins le faire si devaient fleurir en nombre sur les réseaux sociaux, des preuves irréfutables d’agissements violents de policiers à l’encontre de manifestants aux allures pacifiques.

Quelle serait la réponse la plus appropriée de la part de l'Etat, ouvrant la voie à une désescalade ? 

La réponse doit avant tout être politique. La pacification ne peut être gagnée qu’au prix du rétablissement d’un dialogue sincère. Il appartient au politique d’en créer les conditions en persuadant les manifestants qu’il y a réellement plus à gagner en défendant leurs idées dans un cadre spécifiquement dédié à cet effet qu’en saccageant l’arc de triomphe. Que leurs idées seront écoutées, débattues et non systématiquement écartées. Le « grand débat national » qui s’annonce est à cet égard attendu avec circonspection et son périmètre pose déjà question. Si l’accueil réservé aux mesures de ce qui auront fait l’effort de se mobiliser est comparable à celui, navrant, réservé à la très récente consultation du CESE, il ne faudra pas s’étonner à ce que nombre de déçus redescendent dans la rue. Avec une différence inquiétante de taille : cette fois-ci, il sera bien plus difficile de les convaincre, une nouvelle fois, de s’asseoir à la table des négociations.

Il faut aussi urgemment sortir des postures d’ignorance et de mépris. Les menaces proférées ces dernières semaines par des personnalités politiques telles que Benjamin Grivaux, Marlène Schiappa et Christophe Castaner me semblent dramatiquement à rebours de ce qui pourrait favoriser un quelconque apaisement de la situation. Au point que d’aucuns s’interrogent même quant au fait de savoir si ne serait pas poursuivie là, en réalité, une stratégie au machiavélisme mitterrandien : souffler sur les braises du mouvement, pour en inciter les figures saillantes à déposer des listes et fractionner ainsi d’autant l’opposition, afin d’assurer le triomphe dans les urnes d’un pouvoir pourtant passablement affaibli.

Mais un autre obstacle à la désescalade réside évidemment dans l’attitude des Gilets Jaunes. Elle tient à la pénurie de leurs revendications suffisamment précises et structurées : à mesure que le mouvement se durcit sans qu’émerge de réel leader, leurs demandes se font plus diffuses, presque impossibles à contenter – sauf à ce qu’Emmanuel Macron démissionne, ou entreprenne une dissolution hasardeuse de l’Assemblée. Il appartient donc aux Gilets jaunes de prendre vite conscience de leur responsabilité. De s’organiser en désignant vraiment des représentants, de s’ouvrir au dialogue, et de se désolidariser des éléments les plus violents qui délégitiment leur action. La balle est donc dans les deux camps.

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