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Olivier Amiel publie "Les petites souris" aux éditions Les Presses Littéraires.
Olivier Amiel publie "Les petites souris" aux éditions Les Presses Littéraires.
©Fred TANNEAU / AFP

Bonnes feuilles

Olivier Amiel publie "Les petites souris" aux éditions Les Presses Littéraires. La pilule pour effacer les mauvais souvenirs existe. Êtes-vous prêt à l’avaler ? Dans ce roman qui suit le parcours réel de trois scientifiques ayant permis de progresser sur cette innovation médicale, un écrivain est victime d’une campagne de dénigrement par le mouvement "woke" au nom de la "cancel culture". Extrait 2/2.

Olivier Amiel

Olivier Amiel

Olivier Amiel est avocat, docteur en droit de la faculté d’Aix-en-Provence. Sa thèse « Le financement public du cinéma dans l’Union européenne » est publiée à la LGDJIl a enseigné en France et à l’université internationale Senghor d’Alexandrie. Il est l’auteur de l’essai « Voir le pire. L’altérité dans l’œuvre de Bret Easton Ellis» et du roman « Les petites souris», publiés aux éditions Les Presses Littéraires en 2021.

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Si Joe Z. Tsien n’a pas encore eu de Prix Nobel de médecine et si Eric Kandel a dû attendre l’an 2000 pour avoir le sien, le japonais Susumu Tonegawa l’a obtenu dès 1987 à seulement 48 ans pour ses recherches sur le mécanisme génétique du système immunitaire adaptatif. Une découverte réalisée grâce à… des petites souris. C’est en comparant l’ADN des cellules synthétisées dans la moelle osseuse, les globules blancs des lymphocytes B, sur des embryons de souris et sur des spécimens adultes, qu’il a découvert que les cellules B s’amplifient en créant une diversité d’anticorps.

Susumu Tonegawa a commencé ses études à l’Université de Kyoto puis a traversé l’océan Pacifique pour intégrer celle de San Diego où il a obtenu son Doctorat. C’est au Massachusetts Institute of Technology qu’il devient Professeur et qu’après son Prix Nobel il s’intéresse à la mémoire et fait basculer l’objet de ses recherches vers les neurosciences. Il est connu pour utiliser la technique de l’optogénétique qui consiste à stimuler des neurones en les exposant à des sources lumineuses. Les petites souris sont placées dans deux boîtes différentes. Dans la première on active les neurones pour leur faire mémoriser cet environnement qu’elles ne connaissent pas. Dans la seconde boîte qu’elles ne connaissent pas non plus, un faisceau lumineux intracérébral réactive les souvenirs de la première boîte et elles reçoivent en plus une petite décharge électrique. En les remettant dans la première boîte les souris expriment une réaction émotionnelle d’angoisse alors que ce premier environnement n’est pas lié au traumatisme. Pour que l’expérience réussisse et que les neurones soient réceptifs à la lumière il faut au préalable une modification génétique notamment par la manipulation de l’enzyme CaMKII. C’est ainsi que le chercheur a pu créer à partir de deux évènements distincts un faux souvenir dans le cerveau des souris.

Concernant les grandes souris que nous sommes, il a fallu dans un premier temps savoir où devait aller la lumière. Il est admis depuis longtemps l’importance de la région du cortex préfrontal dans la cognition et la régulation des émotions. C’est pour cela que cette zone du lobe frontal du cerveau connaît des modifications significatives en cas de comportements dépressifs ou anxieux. La génération d’émotions est suractivée dans une partie plus précise du cerveau : le cortex cingulaire antérieur subgénual. C’est grâce à des recherches britanniques sur des ouistitis dont le cerveau ressemble davantage au nôtre, qu’on a ainsi pu préciser où il faut intervenir pour mieux viser nos émotions humaines les plus traumatisantes. Après diverses manipulations génétiques et l’utilisation de l’optogénétique il est ainsi possible désormais d’agir sur certains troubles neurologiques humains angoissants et pas forcément basés sur la réalité tels que la schizophrénie. Comme l’indique Susumu Tonegawa, l’être humain est « un animal imaginatif » chez qui des évènements traumatisants peuvent être basés sur de véritables expériences personnelles mais également sur des souvenirs fictifs. Le cerveau humain est ainsi un terrain de jeu complexe dans lequel des traces mnésiques résident mais également où elles peuvent être créées artificiellement.

La science a ainsi effacé la frontière entre réalité et imagination pour soigner et pour réparer suite aux divers traumatismes de la vie. Simplifié par la suite auprès du grand public comme une « pilule contre les mauvais souvenirs » il est plus juste de parler d’un « couteau suisse » multithérapeutique combinant la stimulation lumineuse, la manipulation génétique et la prise d’un médicament comportant une molécule active sur la mémoire, qui permettent ensemble donc de lire, d’effacer et de créer des souvenirs.

Lire a permis de communiquer enfin avec des personnes qui sont dans un autre monde. Bien que toujours vivantes, elles sont déjà mortes en partie, à cause de maladies liées à la dégénérescence du cerveau. On peut difficilement aujourd’hui se rappeler la zombiefication de la société induite par la maladie d’Alzheimer avant ces avancées dans la lecture des pensées d’autrui couplées à la découverte des révolutionnaires molécules éliminant les plaques amyloïdes qui s’accumulent dans le cerveau des personnes atteintes.

Effacer des souvenirs a permis dans un premier temps d’agir sur les traumatismes de la guerre, d’accidents, de catastrophes naturelles, de pandémies… avant que l’éventail des « attaques de hiboux » auxquelles pouvait être sujet l’être humain ne soit médicalement et surtout socialement élargi à nos déceptions affectives, nos échecs professionnels, nos lâchetés quotidiennes.

Enfin créer des souvenirs a permis de réaliser un des rêves les plus fous de la science-fiction du siècle dernier en les implantant comme dans la nouvelle « We can remember it for you wholesale » de Philip K. Dick et ainsi pourquoi pas comme son personnage : avoir le souvenir d’être allé en mission sur la planète Mars pour sauver l’humanité. Plus prosaïquement pour nous : avoir le souvenir d’avoir bien vécu comme un être humain pour sauver notre goût à la vie.

Ces avancées ont été considérées au départ comme une aberration éthique par les mêmes esprits grincheux qui ont tenté vainement de refuser de laisser une « trace numérique » sur les sites Internet et les réseaux sociaux au motif d’une prudence excessive comme on dit aux enfants de « ne pas parler aux inconnus ». La raison l’a emporté, nos vies ont largement gagné en fluidité et en confort grâce à l’économie numérique. La crainte concernant la « trace mnésique » est tout aussi infondée compte tenu des avantages médicaux et sociaux dont nous pouvons tous profiter aujourd’hui. Nous sommes dans le rêve heureux d’une caverne de Platon cotonneuse dans laquelle nous pouvons profiter d’une vie faite de simulacres bienveillants et inoffensifs, épurés de toute réalité traumatisante. Un des derniers débats de société à ce sujet a porté sur la justice, la question de droit qui se posait était la suivante : un faux souvenir est-il un faux témoignage ?

– Mme A…, âgée de vingt-trois ans, a dénoncé des faits d’agressions sexuelles, commis par M. B…, l’ex compagnon de sa mère, depuis ses onze ans, ce dernier ayant pris l’habitude de lui imposer des pénétrations sous prétexte de prétendues punitions destinées à la corriger (…) Les juges retiennent qu’au cours de la même déposition, Mme A… a rappelé avoir subi volontairement un effacement partiel de souvenirs par prise de métyrapone associée à une manipulation par optogénétique (…) Le témoignage de Mme A…, seul élément à charge contre M. B… n’est donc pas assez probant. La possibilité de mettre sous enveloppe numérique son souvenir de l’agression n’a pas été utilisée par Mme A… (…) Les juges en déduisent que l’élément matériel et l’élément intentionnel du viol sont insuffisamment caractérisés de sorte que la décision est justifiée et que l’arrêt attaqué est confirmé –. Chambre criminelle de la Cour de Cassation.

Comme dans le cadre de tous nos rapports avec autrui, on s’est vite rendu compte qu’au contraire de ce que craignaient certains oiseaux de mauvais augure il s’agit d’une belle avancée humaine. Par la lecture, l’effacement et la création artificielle de souvenirs, on ne peut en fait plus mentir qu’à une seule personne : soi-même.

A lire aussi : "Je suis une victime de la Cancel culture"

Extrait du livre d'Olivier Amiel, "Les petites souris", publié aux éditions Les Presses Littéraires

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