"La surprise du chef" : la dure loi du bal médiatique pour les aspirants candidats à l’Elysée<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
De nombreux journalistes en pleine interview auprès d'une personnalité politique.
De nombreux journalistes en pleine interview auprès d'une personnalité politique.
©PASCAL PAVANI / AFP

Bonnes feuilles

Joseph Macé-Scaron publie « La surprise du chef » aux éditions de l’Observatoire. Imaginez une élection présidentielle, avec ces noms rebattus, et qui seront battus. Imaginez maintenant un candidat surprise, qui ne parle que de restaurer l'autorité dans un pays rabaissé. En mettant sa plume au service de cet homme, le personnage principal de ce récit, Benjamin Strada, relate la plus surprenante des campagnes électorales. Extrait 2/2.

Joseph-Macé Scaron

Joseph Macé-Scaron

Joseph Macé-Scaron est consultant et écrivain. Ancien directeur de la rédaction du Figaro magazine et de Marianne, il est, notamment, l'auteur de La surprise du chef (2021) et Eloge du libéralisme (2020), aux éditions de L'Observatoire. 

Voir la bio »

J’étais tellement agacé par cet appel que j’allais certainement passer une nuit blanche, et cette seule perspective m’agaçait encore plus. Peut-être pouvais-je trouver le sommeil en regardant l’agenda officiel du général, que j’avais reçu avant le dîner ?

Il était déjà plus rempli que celui d’un ministre sous ce quinquennat. Figurait en tête la liste des personnalités auxquelles le futur candidat n’avait pas daigné répondre la veille et qu’il convenait de joindre, ne fût-ce que brièvement. Elles étaient groupées sous le vocable d’« agents de liaison ». Sans doute parce que l’on jugeait ici que leur seule utilité était de transmettre les informations pouvant faire diversion. J’y découvris le nom de Ségolène Royal avec la notation « Elle souhaite faire un livre où vous dialogueriez » et un mystérieux « BRP » suivi d’« Il a appelé trois fois ». Après quoi venait la chronologie de la journée.

7 h 30. Invité de France Info (par Zoom).

8 h 15. Radio Classique. Invité de Jean Pommereau.

J’adorais la voix de basse de ce colosse qui n’aurait pas déparé dans la scène cultissime de la cuisine dans Les Tontons flingueurs.

8 h 30. Petit déjeuner au restaurant du Cercle militaire avec Gérard Longuet.

C’était à deux pas. Je savais que le général avait rencontré dernièrement tous les anciens ministres de la Défense y compris Hervé Morin, le Marty McFly de la côte normande, mais qu’il appréciait particulièrement le sénateur de la Meuse qui avait tranché : « C’est un vrai militaire de droite. » Un bel adoubement.

9 h 15. Deuxième petit déjeuner, à la questure de l’Assemblée nationale avec le député de Nice, Éric Ciotti, et une poignée de députés Républicains. Irréductibles sarkozystes.

10 h 00. Ouverture des premiers groupes de travail chargés de coordonner le projet.

Un signe qui ne trompait pas sur la percée du général dans des milieux qui auraient pu ou dû observer à son encontre un devoir de réserve était la surreprésentation de hauts fonctionnaires de Bercy et du Quai d’Orsay. Je me gardais de me moquer des experts parce que j’avais bien conscience que l’expertologie est la science de notre temps.

10 h 45. Présentation des équipes digitales.

Je ne reconnaissais aucun des noms qui figuraient ici, mais je relevai des pseudos de snipers de droite que j’avais repérés sur Twitter (Msieur Michu, Brice Van de Kamp, Madame SansGene, Cincinnatus fortius…).

 11 h 30. Entretien avec Valeurs Actuelles.

C’était souligné en rouge. Dernièrement, l’hebdomadaire avait consacré sa une au général. Les deux journalistes étaient deux chouans complotant à sauver Cadoudal.

12 h 30. Échange avec Michel Onfray.

Le philosophe avait voté naguère Olivier Besancenot puis Jean-Luc Mélenchon. Et demain vers quel rivage se dirigerait-il ? Le libertaire Proudhon avait bien cru trouver un bon usage de Louis-Napoléon Bonaparte.

13 h 30. Déjeuner chez Lipp avec Valérie Pécresse

L’endroit où il fallait être vu. À condition d’avoir une table juste à l’entrée, ce qui était acquis. Le meilleur endroit assurément pour évoquer ce que la Région Île-de-France faisait en faveur des jeunes dans les quartiers difficiles.

15 h 00. Visite au pavillon Hautencourt.

Neuilly  : c’est ici que les choses sérieuses commençaient. Lorsque j’étais journaliste au Gaulois, j’avais effectué cette visite afin de recueillir pieusement la vision du monde de Mylène Hautencourt (baiser son escarpin aurait été une expression plus judicieuse). En me recevant, elle m’avait négligemment tendu sa main parcheminée de momie alourdie de pierres précieuses grosses comme des œufs de caille. Je la soupçonnais de porter, été comme hiver, le même manteau rouge avec col de fourrure en loup gris et manches en astrakan.

À l’époque, elle avait des velléités politiques et était prête à dépenser le PIB du Togo afin de devenir sénatrice radicale des Yvelines.

— Pourquoi le Parti radical ? m’étais-je permis de lui demander afin de nourrir mon article de complaisance.

Elle m’avait répondu :

— Mais parce qu’il n’y a personne dans ce mouvement, jeune homme ! Sous prétexte que l’on veut entrer en politique, sommes-nous vraiment forcés de séduire les braillards à digestion difficile ?

Elle avait tapoté ses cheveux blond cendré avant d’enchaîner sur le ton de la fausse confidence :

— Et puis, j’adore la coquette maison qui leur sert de siège place de Valois, pensez qu’ils n’ont pas bougé de ce bâtiment depuis 1933 !

Il était clair que, pour elle, le futur n’était que le miroir dans lequel le passé se regardait.

Mais Mylène Hautencourt était aussi née Meulhmann, c’est-à-dire au sein d’une des plus grandes fortunes de France. Son père était un industriel qui avait créé un empire dans le domaine de la cosmétique et qui avait aidé la presse des ligues d’extrême droite dans les années  1930, et donc François Mitterrand au début des années 1950, pensant faire du « beau François » un échotier à leur service. Déjà conséquente, sa fortune s’était considérablement développée grâce à l’entregent et l’entrejambe de son mari, Lucien Hautencourt, ministre gaulliste éphémère et falot, mais homosexuel constant et haut en couleur entouré de jeunes et sémillants attachés parlementaires. Je ne m’interrogeai pas longtemps sur les raisons de la visite du général. Pour se lancer dans l’arène électorale, le général Boulanger avait été obligé de courtiser la duchesse d’Uzès et ses milliards.

17 h 00. Rendez-vous à A.M. Conseil. 10, avenue George-V, 75008 avec A.M. et B.T.Cie.

J’imaginais qu’il s’agissait d’Alain Minc, cette abeille de verre, qui pensait que la gauche n’existait plus et que la droite n’existait pas, et d’un des disciples de Bernard Tapie. Je pensais à la tête que ferait le premier cercle autour du général s’il apprenait cette rencontre. Je me souvenais que la première fois où j’avais interviewé l’ancien ministre et patron de l’OM, il était venu vers moi et m’avait demandé sans fioritures  : « T’aimes quoi, toi, le fric ou les nanas ? » Il était loin le temps où les tauliers de la République s’encombraient de circonvolutions pour vous faire miroiter l’avantage qu’il y avait à suivre la feuille de route qu’ils vous donnaient.

18 h 15. Siège d’Havas Conseil. 40, avenue Pierre-Lefaucheux, Boulogne, avec Stéphane Fouks.

J’avais souvent été admiratif de la manière dont le jovial communicant jonglait avec la politique. Sa seule véritable passion lui faisait commettre des erreurs qu’il transformait chaque fois en pierre philosophale. Je savais que le général avait lu et annoté son pamphlet contre une gestion macronienne de la pandémie fondée sur un trépied  : infantilisation des citoyens, tyrannie de la bureaucratie et absence totale de cohérence des mesures prises.

19 h 15. Premier dîner au Sénat.

Intergroupe sénatorial des chasseurs. La raison pour laquelle les parlementaires de la Haute Assemblée se mettaient tôt à table est qu’ils en sortaient tard. Le général allait devoir entendre durant deux heures leurs doléances anti-animalistes qu’il supportait déjà lors du déjeuner dominical. Sans oublier les propos sexistes bien épais, bien gras. S’il était vrai que certains sénateurs faisaient sous eux, ils étaient bien plus nombreux à penser sous eux.

22 h 30. Second dîner au restaurant italien Guido de Luca avec le comité de la campagne.

Dans cette noble assemblée figurait le frère, Charles de  Montjois, Bruno Dargens, surnommé « l’Étroit Mousquetaire » tant son sectarisme augmentait au fur et à mesure que la candidature du général se profilait, l’onctueux abbé Grospierres, le toujours fougueux et disponible André-Marie Truchi en Séraphin Flambeau du souverainisme, et le roi du trampoline, SergeMarc Joubert, qui aurait certainement figuré un traître dans la série 24 heures chrono.

A lire aussi : un entretien de Joseph Macé-Scaron sur Atlantico : 2022, la présidentielle de tous les possibles

A lire aussi : "La surprise du chef" : la politique à la carte

Extrait du livre de Joseph Macé-Scaron, « La surprise du chef, Présidentielle 2022 : tout est possible... », publié aux éditions de l’Observatoire

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !