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L’incompétence, une compétence comme les autres ?
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Bonnes feuilles

Ce petit livre revisite un sujet que nous croyons tous trop bien connaître : l'incompétence. Et pour cause : celle-ci est sans doute la première de nos compétences. Il est question ici de cette incompétence appelée "systémique" par Michel Claessens, celle que génère notre toute nouvelle société technoscientifique et qui fait qu'un nombre croissant de nos décisions sont prises en toute "méconnaissance de cause". Extrait de "Petit éloge de l'incompétence" (2/2).

Michel Claessens

Michel Claessens

Michel Claessens est directeur de la communication du projet ITER à Cadarache.

Docteur en sciences, il a été journaliste scientifique. Son dernier ouvrage s'intitule Allo la science ? (Editions Hermann, 2011).

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Selon le fameux « principe de Peter », chacun de nous atteint, tôt ou tard, son niveau d’incompétence. Nos propres expériences personnelles le confirment : les incompétents sont en nombre ! Reconnaissons également que notre société technoscientifique multiplie les situations d’incompétence. Ne sommes-nous pas tous, vous comme moi, pris régulièrement en « flagrant délit d’incompétence » ?  Combien de fois ne nous demande-t-on pas de donner un avis voire prendre une décision en « méconnaissance de cause » ? Comment s’adapter au fait que toutes les activités humaines sont désormais encadrées, au propre et au figuré, par des outils informatiques que nous ne maîtrisons et ne comprenons que partiellement ?

En ce qui me concerne, j’accepte sans difficulté de revêtir le costume de « docteur ès incompétence ». Je suis sans doute aidé par mon propre parcours professionnel, que les plus indulgents qualifieront de diversifié. Après une formation initiale en chimie physique, mes emplois successifs m’ont entraîné dans l’informatique, le milieu médical, le journalisme, la communication, le management, etc. Autant de domaines pour lesquels je n’étais pas préparé, et de loin. Au bout du compte, je dois reconnaître que ces expériences multiples ont été intéressantes, forcément enrichissantes et, au bout du compte — un peu d’immodestie n’est pas ici déplacée —, assez réussies.

Bien sûr, dans notre société obnubilée par le culte de l’expertise, ces papillonnages ne font pas sérieux. Au mieux une petite note en bas de page dans un CV... La compétence est vue pour l’essentiel comme étant « disciplinéaire », associée à un domaine précis du savoir ou du savoir-faire et exercée de façon monodirectionnelle (top down comme disent les Anglo-Saxons).

Cependant, le profil des grands innovateurs montre que leur force est de savoir s’affranchir des disciplines et effectuer à un moment donné un « saut d’incompétence ». Steve Jobs fut par exemple un puissant innovateur. Etait-il plus intelligent que le commun des mortels ? « Non, en tout cas pas notablement, note son biographe Walter Isaacson. Mais il était un génie. Son imagination était instinctive, imprévisible et, par moments, fulgurante.[1] » « Il était, ajoute-t-il, un maître pour mêler idées, arts et technologie et ainsi inventer le futur ».

Par définition, innover signifie se placer dans une situation où vous pouvez devenir incompétents. Compétence et incompétence sont en fin de compte les deux faces de la même pièce. Car si les innovateurs ont effectué à un moment donné ce saut d’incompétence, c’est parce qu’ils s’estimaient compétents pour le faire !

Il nous faut, à mon avis, savoir apprécier cette incompétence naturelle, que chacun possède en soi mais qui peut devenir une valeur personnelle et ouvrir la porte à de surprenantes découvertes, tout comme la méconnaissance et l’inconnaissance deviennent, lorsqu’elles sont assumées, des moteurs efficaces pour apprendre et se développer. L’incompétence, une compétence comme les autres ?



[1] Isaacson W., 2011. Steve Jobs, Jean-Claude Lattès, Paris.

Extrait de "Petit éloge de l'incompétence", Michel Claessens, (Editions Quae), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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