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#L’EmissionPolitique : Le paradoxe Blanquer, emblème et en même temps discrète négation du macronisme
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Tête de pont

Pragmatique, pédgao, confiant... Le ministre de l'Education a convaincu 71% des téléspectateurs de l'Emission politique.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Jean-Michel Blanquer était ce 15 février le premier ministre de l’actuel gouvernement invité à L’émission politique. Qu’est-ce qui fait sa différence par rapport à ses prédécesseurs à ce ministère de l’Éducation nationale ?

Jean-Michel Blanquer est de manière certaine le ministre de l’Éducation nationale le plus au fait du fonctionnement de son ministère depuis Xavier Darcos. Nombre des ministres précédents ont été totalement paralysés face au fonctionnement de leur administration – et Blanquer est bien placé pour le savoir, ayant travaillé avec Luc Chatel, emblématique de la démission des politiques à ce poste.

Rien de cela avec lui, mais il est vrai que le « Mammouth » (un terme dont il a dit lors de L’émission politique combien il le détestait) peut difficilement manipuler un ancien recteur, ancien directeur de l’enseignement secondaire rue de Grenelle, qui, non content d’administrer, a étudié le fonctionnement de ce ministère et a fait des propositions de réforme dans des ouvrages reconnus comme particulièrement lucides.

Cette impression de compétence a été largement partagée par les spectateurs de l’émission du 15 février, puisque 71% d’entre eux l’ont jugé convaincant, le meilleur score jamais obtenu dans cette émission, 20 points au-dessus du meilleur score de l’année.

Et sur les méthodes ? Voilà un ministre qui multiplie les réformes et qui arrive visiblement à les faire accepter.

En dehors de sa réelle force de conviction, il y a effectivement une « méthode » Blanquer. Une méthode selon laquelle les réformes doivent se faire en laissant aux intéressés une liberté de choix au moins autant qu’en les imposant d’en haut. Comme il l’a dit hier soir, dans l’Éducation nationale qu’il conçoit, il faut l’État « et en même temps » l’autonomie, et il mise bien sur les deux pour faire évoluer les choses.

Pour revenir par exemple sur certaines aberrations permises par une Najat Vallaud-Belkacem, plus préoccupée par sa communication que par l’analyse des propositions faites par une petite clique au ministère, Blanquer s’est contenté d’ouvrir aux établissements la possibilité de faire librement leurs choix. C’est ainsi qu’il a permis de rétablir, pour ceux qui le voulaient, la « semaine des 4 jours », ce que déplora face à lui un Jack Lang très dogmatique.

Pas plus d’idéologie quand il s’agit de revenir sur les fondamentaux à enseigner, et que Blanquer propose de regarder ce qui est indispensable, ce qui fonctionne concrètement, et non de continuer à appliquer des théories qui ont fait la preuve de leur total échec. Il n’a pas hésité à dire lors de L’émission que la France ne progressait pas assez pas en matière d’éducation par rapport à d’autres pays, et qu’il fallait s’inspirer si besoin ce que les autres faisaient, comme il a aussi déploré le manque de prise en compte des sciences cognitives, y compris lors de la formation des maîtres.

« Pas de recette magique » donc, comme il l’a répété, et pour savoir quoi faire il compte bien continuer d’utiliser au maximum, comme il l’a fait par exemple au rectorat de Créteil, les possibilités offertes par l’expérimentation.

Autrement dit, contre la doxa idéologique, Blanquer fait le pari du bon sens, aussi bien chez les enseignants que chez les parents d’élèves, les collectivités territoriales, et les élèves eux-mêmes, pour permettre de rebâtir un système éducatif cohérent.

Jean-Michel Blanquer, séduisant « en même temps » droite et gauche, ce qui lui sera reproché par Nathalie Saint-Criq, est un ministre important de la stratégie d’Emmanuel Macron. Qu’est ce qui oppose ou rapproche les deux hommes ?

Blanquer est proche de Macron en ce sens qu’il ne s’interdit rien a priori quand il a à traiter un sujet. Tout est posé sur la table, et l’on choisit de manière pragmatique ce qui marche le mieux.

Ils se retrouvent aussi dans une approche libérale, mais il ne s’agit pas forcément du même libéralisme. Jean-Michel Blanquer est libéral et ce qu’il croit à la valeur de ce qu’il a appelé « l’esprit des Lumières », qui permet aux individus de devenir ce qu’ils sont – en irriguant l’éducation notamment. Mais il reste sans doute plus « grand commis de l’État » qu’un Emmanuel Macron dont le libéralisme flirte toujours avec une mondialisation supra-étatique.

Il y a certainement un point commun entre les deux sur le plan de l’éducation : le choix d’une méritocratie républicaine qui devrait être restaurée et profiter à tous. Car c’est par elle seule, et non par des quotas ou autres éléments inégalitaires, que peut l’école pourrait permettre de ressouder le tissu national en donnant à chacun sa chance. Mais cette méritocratie est bien une égalité des chances, et non une égalité des résultats, et l’on sait que l’égalitarisme niveleur reste fort à la mode dans certains esprits…

La réponse que Blanquer a donnée à des lycéens inquiets de la mise en place d’un grand oral au baccalauréat reste très convaincante. Loin d’aggraver les inégalités comme ils le craignaient, ce grand oral permettrait selon le ministre de les réduire, l’école compensant les inégalités culturelles et/ou sociales. Pour réussir cette nouvelle épreuve, on se préparera en effet durant des années à prendre la parole en public, développant des compétences indispensables par la suite, au lieu de voir ces facilités réservées à certains, et l’on évitera ainsi – mais par une vraie sélection – la pernicieuse sélection cachée actuelle. « Il faut une vraie égalité et non se payer de mots – conclut Blanquer. La situation actuelle est totalement inégalitaire ».

Quelles seraient les faiblesses de Jean-Michel Blanquer ?

L’une des faiblesses de Blanquer est peut-être une trop grande confiance en l’homme qui l’incite à penser un peu vite que tout le monde sera, comme lui, de bonne volonté quand il s’agira de résoudre pratiquement les problèmes. Prenons-en quelques exemples.

Il est revenu d’abord sur la question de l’interdiction du portable à l’école. Cela va se faire, là encore, de manière différenciée, et l’on proposera, nous a-t-il dit, « plusieurs solutions techniques selon les établissements ». Mais il est évident que toutes ces solutions supposeront, face aux récalcitrants, des sanctions et donc une autorité, qui n’existe plus guère.

Lorsque Fatiha Agag-Boudjahlat évoquera ensuite les entorses à la laïcité qui résultent de la pression procédurière de certaines communautés et associations, Jean-Michel Blanquer ne donnera aucune vraie solution : il y a « une dimension de principe et une dimension juridique », il demandera son avis au « Conseil des sages sur la laïcité », il fera agir les « cellules de la laïcité »… mais il reconnaît en fin de compte ne rien pouvoir faire contre les certificats médicaux bidons qui, pour cause « d’allergie au chlore », permettent à certaines jeunes filles d’être dispensées des cours de natation mixtes. Quant à la contestation de certains enseignements, notamment scientifiques, il faudrait trouver « une solution collective de l’établissement », une formule que l’on peut là encore trouver bien vague.

Et à qui fera-t-il croire enfin, comme il l’a dit, que l’on puisse attirer les classes moyennes dans un établissement « ghetto » en y offrant à nouveau des cours de latin et de grec ? 

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