"Initiative européenne" : quel contenu politique, quelle efficacité économique pour l'union politique proposée par François Hollande ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande met en avant la jeunesse et l'énergie comme maillon central de cette nouvelle initiative européenne.
François Hollande met en avant la jeunesse et l'énergie comme maillon central de cette nouvelle initiative européenne.
©Reuters

Espoir ou chimère ?

Au cours de sa conférence de presse, François Hollande a dit vouloir sortir l'Europe de sa situation de "continent malade" par la biais d'une union politique. Il a cependant été plus discret sur le contenu de celle-ci et les moyens d'y arriver.

Atlantico : Au cours de sa conférence de presse, François Hollande a regretté que l'Europe soit "regardée comme un continent malade". Il déclare ainsi vouloir la sortir de cette situation, notamment à travers la création d'un gouvernement économique européen. Quel relais cette annonce est-elle susceptible de trouver en Europe ?

Gérard Bossuat : La proposition du président de la République est importante car elle officialise une demande propre à de nombreux Européens de créer un gouvernement économique européen, destiné, on peut le penser, à réguler les marchés ce qui est en train d’être fait par les mécanismes de soutien aux banques, et par l’Union bancaire et à mettre sous la responsabilité des gouvernements agissant en corps les politiques économiques et financières des Etats de l’Union.  Sous réserve de regarder dans les détails son initiative, il a dégagé 4 points portant sur le gouvernement économique de l'Union européenne, la jeunesse, l'énergie et une nouvelle étape d'intégration européenne. Sa volonté de proposer aux pays membres de l’Union et plus spécialement à la zone euro, une initiative de croissance est une nouvelle frontière, très différente des politiques d’austérité ou de rigueur actuelles.

Le ton du président est nouveau et témoigne d’un intérêt en faveur d’une Union politique dont le contenu reste encore à préciser mais qui augure d’un grand progrès pour l’avenir de l’Union, d’autant plus que l’entente franco-allemande est célébrée. Hollande offre aux peuples européens une perspective nouvelle pour la construction européenne. C’est un contenu riche de possibles qui est ouvert par cette conférence de presse. Rappelons-nous que des gouvernements européens avaient réclamé la création d’un poste de ministre fédéral des finances après la création de l’Euro en 1992. D’autre part, on peut regretter cette image fausse de l’Europe, donnée semble-t-il hors d’Europe, « un continent malade », allusion à la situation peu enviable de  l’Empire Turc au début du XXe siècle, qualifié « d’homme malade de l’Europe ». L’Union européenne n’est pas plus malade que les États-Unis dont la situation économique et budgétaire est médiocre.

Comment peut-on prévoir les réactions des autres pays européens ? Les relais existent-ils ? On verra dans les jours qui viennent si d’autres Etats membres, l’Allemagne et l’Italie par exemple ont été mis dans la confidence. L’essentiel était de redonner une perspective à l’Union européenne après des années de débats sur l’austérité et les comptes des Etats ou des banques alors que l’Europe doit inventer des formules adaptées aux situations de crises en inventant une autre politique européenne. Cette perspective nouvelle  ne peut que réjouir d’autres Etats dont l’Italie, le Benelux, peut-être les pays nouveaux venus, pour autant que l’initiative s’adresse aussi aux  pays non membres de la zone euro. Elle peut redonner confiance. Ce but a été recherché par Hollande qui honore sa réputation d’Européen déterminé.

Dominik Grilmayer : D'abord, cette volonté de relancer l'Europe peut être considérée comme un bon signe. Par contre, tout dépendra de la suite que le président va donner à cette initiative - s'il y aura donc des propositions françaises concrètes pour la création d'un gouvernement économique. Car l'idée n'est pas nouvelle. La coordination des politiques économiques et budgétaires est actuellement assurée par les ministres des finances au sein de l'Eurogroupe. La Commission et le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement jouent également un rôle dans le cadre du semestre européen. François Hollande sera obligé de s'exprimer sur les modes de fonctionnement d'un tel gouvernement. Pour le moment, nous savons qu'il devrait se réunir tous les mois autour d'un président.

François Hollande dispose-t-il aujourd'hui de la crédibilité et de l’influence nécessaires à la réalisation de ce projet ?

Gérard Bossuat : Evidemment ! il est le président de la deuxième puissance européenne. Sa crédibilité est forcément renforcée s’il prend des initiatives conformes à l’intérêt général européen et c’est le cas ici. Il honore la France en reprenant le leadership politique. Schuman aurait-il été plus crédible le 9 mai 1950 que ne l’est Hollande le 16 mai 2013 ? Il l’était beaucoup moins dans une République des féodalités. Pourtant Schuman a réussi, en s’appuyant sur Adenauer. Hollande a réaffirmé l’importance du couple franco-allemand. Il sera difficile à Angela Merkel d’ignorer ce projet. On doit néanmoins rappeler qu’existent des procédures pour réussir un tel projet mais que le succès vient de la volonté politique de réussir. Chaque nouvelle avancée européenne est venue non d’un cheminement bureaucratique, mais de la volonté de Schuman et Monnet en 1950, de celle de Spaak, Guy Mollet et d’Adenauer en 1957, de Pompidou et Brandt en 1969 au sommet de la Haye, de Giscard d’Estaing et de Schmidt en 1979 pour le système monétaire européen, de Mitterrand contre Thatcher en 1984 pour une relance européenne ou encore de Delors pour le marché unique et de Delors, Mitterrand et Kohl pour le traité de Maastricht.. Hollande doit nécessairement comme d’habitude en Europe communautaire, trouver des alliés mais la parole de la France est écoutée quand elle traduit les aspirations des peuples. Il semble que ce soit le cas ici.

Dominik Grilmayer : Le Président se trouve sans doute dans une situation difficile, étant donné que la France est entrée en récession. En même temps, la deuxième économie de l'Europe a son mot à dire dans l'évolution de l'UE, et c'est ce que ses partenaires attendent aussi. Si Francois Hollande parle, lors de sa conférence de presse, de la France comme "un trait d'union entre l'Europe du Nord et du Sud", et s'il évoque l'indispensable couple franco-allemand, cela démontre qu'il assume la responsabilité de faire évoluer l'Union européenne en partenariat avec les autres pays-membres. Cela est autant nécessaire que légitime.

Que pourrait apporter ce gouvernement commun ?

Gérard Bossuat : François Hollande a détaillé les objectifs de ce gouvernement économique commun en limitant son action à certains domaines de la vie économique : lutte contre le chômage des jeunes, investissements communs, communauté européenne des énergies nouvelles qui fait écho au projet d’Euratom de 1957. Il apporterait une plus grande confiance dans l’Union européenne ; celle-ci ne serait plus le gestionnaire de la désindustrialisation ni de l’application des normes. Elle prendrait un nouveau visage, celui d’une organisation capable d’inventer une nouvelle économie et de manifester la solidarité de l’Union, ce pourquoi l’Europe communautaire a été faite. Si des pays membres venaient à refuser toute avancée, il serait temps alors d’en tirer les conséquences. La Communauté européenne a commencé à six et a inventé le système communautaire européen.

Dominik Grilmayer : S'il fonctionne : une coordination plus efficace des politiques économiques et budgétaires, avec des résultats concrets comme une harmonisation de la fiscalité, et éventuellement des impôts européens ou un budget européen dans le long terme. Par contre, si le caractère d'un tel gouvernement reste essentiellement intergouvernemental, on devrait s'attendre à des négociations difficiles entre les représentants des Etats-membres, ce qui ne privilégie pas des solutions rapides.

Dans quelle mesure cela peut-il correspondre à la vision de l'Europe d'Angela Merkel, et donc de l'Allemagne ? Un partenariat renforcé est-il envisageable entre France et Allemagne ? A quelles conditions ?

Gérard Bossuat : Un partenariat renforcé est envisageable avec l’Allemagne. En présence d’une offre française forte, l’Allemagne ne peut pas refuser au risque de laisser planer un doute sur sa sincérité européenne.et réveiller de vielles images d’une Allemagne dangereuse. On ne peut réduire le projet d’Europe de la chancelière à l’austérité.

Dominik Grilmayer : En 2011, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont déjà convenu de la création d'un gouvernement économique. Les chefs d'Etats et de gouvernement des 17 membres de la zone euro étaient censé se réunir deux fois par an sous la présidence de Hermann van Rompuy. Mais les propositions de Merkozy n'étaient pas très concrètes. Tandis qu'on pourrait considérer l'initiative de François Hollande comme un moyen pour faire sortir Angela Merkel de sa réserve, qui - elle - a évité ces derniers mois de concrétiser sa vision de l'Europe. Il serait sans doute difficile de trouver un compromis sur les missions du gouvernement économique et sur la répartition des compétences. Est-ce que celui-ci est censé veiller seulement au respect du pacte de stabilité, ou est-ce qu'il doit également contribuer à réduire le déséquilibre des balances commerciales en Europe ? Est-ce qu'il faut transférer des droits de souveraineté aux institutions européennes ou non ? Quel rôle pour la Commission et le Parlement Européen ? Toutefois, on peut espérer que ce débat essentiel soit relancé suite aux propos de Hollande.

Toujours dans cette logique d'entrer dans une "nouvelle étape d'intégration", François Hollande a proposé de créer une communauté européenne de l'énergie ainsi qu'une mobilisation financière pour l'insertion des jeunes. Quels résultats faut-il en attendre ? Est-ce de cela dont a besoin l'Europe ? Quelles sont aujourd'hui les réelles priorités ?

Gérard Bossuat : On ne peut prédire déjà les résultats d’une initiative qui a été prise il y a quelques heures à peine. Qu’est-ce que le président a en tête ? Je n’en sais rien ; mais le domaine des énergies nouvelles est vaste et prometteur ; une prise en charge de leur développement par l’Union européenne, en renforçant les mesures d’incitation prises par les Etats nationaux ne peut qu’être un signe positif pour les entrepreneurs et pour le développement industriel dans ce domaine en Europe et en France. Ce projet me semble aller dans le même sens que les politiques européennes en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique dont l’Union a été le fer de lance à Copenhague il y a quelques années. La mobilisation pour le travail et la formation des jeunes cesserait d’être une affaire nationale pour devenir une grande cause européenne. Comment réaliser ce projet ? L’argent est  mobilisable, son organisation plus délicate étant donné la diversité des systèmes de formation et de lutte contre le chômage. Tout dépendra du soutien que cette offre française trouvera auprès des partenaires de la France. L’Europe a besoin d’âme et d’identité pour gagner le cœur des citoyens, car l’unité est l’avenir de nos nations ; l’offre française, la première du quinquennat,  est une bonne nouvelle dont les décideurs politiques devraient se réjouir.

Dominik Grilmayer : L'emploi des jeunes et la transition énergétique sont des défis énormes qui concernent l'Europe dans son intégrité. Bien que le rôle des Etat-nations reste primordial, il me semble légitime de chercher également des solutions à l'échelle européenne - là où c'est utile. Quant au chômage des jeunes, des solutions à court terme pourraient par exemple consister dans une facilitation de la mobilité intra-européenne, en établissant un marché de travail européen. En matière d'énergie, la France et l'Allemagne se sont déjà mis d'accord sur une collaboration plus étroite. Nos dirigeants sont conscients que la transition énergétique n'est pas seulement une nécessité, mais aussi une chance pour assurer la prospérité de nos sociétés. Voici un projet du couple franco-allemand qui peut servir de référence et inspirer nos partenaires.

Par quel mécanisme cette offensive européenne pourrait-elle passer pour recevoir l'approbation populaire et éviter d'accentuer encore la sensation d'obscurantisme qui entoure les institutions européennes ?

Gérard Bossuat : Quand on lutte pour un projet clairement identifié : nouvelle économie, investissements dans les  transports, énergies nouvelles, emplois des jeunes, il n’y a pas d’obscurantisme autour des institutions européennes, qui n’est d’ailleurs qu’absence de politique réellement compréhensible par les citoyens. L’offre française appelle les Européens à un sursaut en faveur de, l’innovation économique, industrielle et sociale. On voit mal un tel projet passer les portes des Parlements français et européen sans un débat dans les instances institutionnelles de l’Union européenne. On voit mal les médias ignorer ce projet. Il y aura donc préalablement et rapidement  une information approfondie des citoyens et des débats, certainement contradictoires, car il élargirait les partages de souveraineté entre les Etats et l’Union ce qui mettra mal à l’aide les souverainistes et les eurosceptiques. Nul doute qu’une telle évolution demandera un traité dont la ratification peut prendre une forme parlementaire ou référendaire. Le gain serait, espérons-le, une meilleure préparation de l’Union européenne aux défis de l’économie mondialisée et avec l’Union politique une étape vers une Union européenne plus efficace.

Dominik Grilmayer : Quand il s'agit du déficit démocratique en Europe, qui est souvent déploré, il y a certes le moyen du référendum pour faire accepter des décisions d'une grande portée. Par contre, si les institutions européennes se voient attribuées des compétences supplémentaires, il faudrait surtout réfléchir à un renforcement du Parlement Européen, afin de lui permettre une contrôle efficace de l'exécutif.

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