"Etre prêt : Repères spirituels" : la foi comme amitié<!-- --> | Atlantico.fr
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L’abbé Pierre-Hervé Grosjean publie « Etre prêt: Repères spirituels » aux éditions Artège.
L’abbé Pierre-Hervé Grosjean publie « Etre prêt: Repères spirituels » aux éditions Artège.
©MUSTAFA OZER / AFP

Bonnes feuilles

L’abbé Pierre-Hervé Grosjean publie « Etre prêt : Repères spirituels » aux éditions Artège. L'abbé Grosjean nous propose dix repères pour éclairer et accompagner cette aventure rude et magnifique qu'est notre vocation d'homme, de femme, de chrétien ; dix méditations qui, tour à tour, nous donneront lumière, force, consolation et confiance. Extrait 1/2.

Pierre-Hervé Grosjean

Pierre-Hervé Grosjean

Pierre-Hervé Grosjean est prêtre du diocèse de Versailles, curé de la paroisse de Saint-Cyr-l'École. Il est aussi Secrétaire Général de la Commission Éthique & Politique de son diocèse. Il a fondé́ les universités d'été́ Acteurs d'Avenir. Il est l'auteur d'Aimer en vérité, paru chez Artège. Il est aussi un blogueur influent qu'il vous est possible de suivre ici. Son dernier ouvrage Catholiques engageons-nous ! est publié en avril 2016 (Artège).

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Il est bien douloureux de voir tant de chrétiens s’ennuyer plus ou moins profondément dans leur vie chrétienne ou ne voir aucun intérêt à pratiquer leur foi. Il est tout aussi douloureux d’avoir parfois cette impression d’ennui dans notre propre vie de foi. J’ai beaucoup de peine en voyant peu à peu s’éloigner ou décrocher des jeunes qui ont pourtant, pour certains, tant reçu. Je ne juge personne, mais je me demande souvent : « Que n’avons-nous pas réussi à transmettre? » J’ai l’impression que beaucoup sont restés en surface de cette foi chrétienne. Devenus adultes, ils gardent un souvenir, un lien culturel. Ils ont acquis un regard finalement assez utilitariste sur la foi – c’est un risque qui nous guette tous, même si nous continuons de pratiquer –, puisqu’ils y voient surtout une morale, c’est-à-dire des valeurs qui peuvent inspirer leur action : « On a besoin de repères », disent-ils.

Beaucoup de Français d’ailleurs se reconnaissent volontiers dans ces « valeurs chrétiennes » et veulent les transmettre à leurs enfants. Ils les inscrivent au catéchisme ou les font baptiser dans ce but. Mais bien peu sont hélas demandeurs d’aller au-delà. Ceux qui ont tout reçu plus jeunes pensent parfois suffisant de simplement garder de cet héritage chrétien ces « valeurs », en laissant de côté tout le reste – rites, doctrine, sacrements – qui leur semble plus compliqué et finalement moins utile. La tentation de se faire sa religion « à la carte » est grande. On prend ce qui nous rejoint, « ce qui nous parle ». Là aussi, comme dans bien d’autres domaines, la sincérité remplace la vérité. Tel enseignement de l’Église ou tel rite ne nous parle pas? On le laisse de côté. Mais de qui viennent ces enseignements? Qui a voulu les sacrements? Quelle est la source de ces valeurs? Quelle est donc la spécificité de la foi chrétienne? Après tout, on peut très bien avoir des « valeurs » sans être chrétien. On peut être un gars bien et une fille droite sans être chrétien. Heureusement! Il y a une belle droiture humaine chez beaucoup de non-croyants ou chez des croyants d’autres religions. Il existe bien d’autres morales qui peuvent inspirer une vie honnête. Alors pourquoi être chrétien?

Réduire la foi à une morale, à un ensemble de valeurs, c’est aussi courir le risque de finir par subir cette morale bien vite desséchée car déconnectée de sa source. La morale chrétienne est vécue alors comme un carcan, une somme d’obligations dont le sens n’est pas évident. Un Code de la route qu’il faudrait respecter par peur de… De quoi justement? Du jugement? De l’enfer? Les mêmes, bien souvent, n’y croient plus. Il reste seulement parfois la vague intuition d’une sorte de justice divine qui ferait s’abattre quelques « tuiles » sur ceux qui sortent des clous. « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter ça ?! », se demande-t-on à la première contrariété! Comme si Dieu mettait son plaisir à punir chacun de nos manquements. Il suffit ensuite qu’on s’aperçoive que ce n’est pas le cas pour ne plus être retenu par grand-chose!

Comme le prouve l’expérience, une morale dont on ne comprend ni le sens ni le but est vite laissée de côté. Une foi qui se réduit à cela finit par lasser. Ce n’est plus une aventure à vivre, elle n’embrase plus les cœurs, elle n’enthousiasme personne! Elle finit par ressembler à une sorte de vernis social, que tout jeune épris d’authenticité finira par envoyer balader. Des rites qui ont perdu leur sens, qui ne sont plus animés par une foi aimante, vivante, finissent eux aussi par lasser. La paresse, le manque de temps, les alternatives plus faciles ou les difficultés de la vie prennent ensuite le dessus, jusqu’à réduire – dans le meilleur des cas – la pratique à quelques rendez-vous ponctuels. Je regrette – et c’est sans doute une des épreuves du ministère de tout prêtre – de ne pas réussir à faire découvrir à chacun combien la foi est vraiment bien plus qu’une morale!

La foi chrétienne n’est pas d’abord constituée de choses à penser, à faire ou à ne pas faire. La foi chrétienne, c’est une personne : Jésus Christ. Nous sommes chrétiens si nous croyons non pas en des choses mais en lui. « Pour vous, qui suis-je? » demande-t-il à ses disciples (Mt 16,15). Qui est-il justement pour nous? Prenez, en lisant ces lignes, quelques secondes d’arrêt : que répondez-vous aujourd’hui à cette question?

Voilà la foi. C’est un don – sans la grâce, on ne peut faire ce choix – et un choix libre, une décision : la réponse à cette question personnelle.

J’ai choisi de croire ce que l’Évangile me dit de Jésus, ce que Jésus dit de lui-même : il est Dieu venu jusqu’à nous, pour nous sauver. Mort et ressuscité pour que ni la mort, ni le mal et ni le péché n’aient le dernier mot dans nos vies. J’ai décidé de croire à cette rencontre inouïe entre Dieu et l’homme. La foi se joue dans cette rencontre, dans cette relation personnelle qu’elle rend possible entre Dieu et l’homme.

Être chrétien, ce n’est donc pas d’abord respecter une morale! Être chrétien, c’est avoir choisi de suivre Jésus Christ, de devenir disciple du Christ, ami du Christ. Être chrétien, c’est croire en la victoire du Christ et vouloir participer à cette victoire. Être chrétien, c’est vouloir aimer Jésus Christ et, dans un second temps, parce que nous l’aimons, c’est aimer ce qu’il nous demande. La foi chrétienne, c’est l’adhésion à Jésus reconnu comme « mon Seigneur et mon Dieu ». Cette adhésion va me permettre de découvrir le projet de Dieu pour moi et entraîner mon désir d’adhérer à ce projet. Vivre la morale chrétienne ne précède pas mais découle de cette amitié pour le Christ. Cette amitié donne le sens profond et vivifie la morale : nous avons découvert en l’écoutant que Jésus voulait notre bonheur véritable et éternel. Nous recevons de lui le chemin de ce bonheur. Les repères et commandements sont alors reçus comme un don au service de ce bonheur, et nous essayons de les vivre par amour de celui qui nous les donne, appuyés sur sa grâce. Lui seul peut nous rendre capables de vivre selon l’Évangile. La morale est vivifiée par l’amour, elle est au service de notre bonheur authentique, de notre vocation. Cela change tout! La morale chrétienne est une morale du bonheur. Toute exigence de cette morale chrétienne trouve sa source dans l’amour de Jésus pour nous, et nous est proposée au service de notre joie.

Mais pour vivre tout cela, pour accueillir pleinement et justement ces repères et accorder notre vie à ces exigences de l’Évangile, pour parcourir ce chemin vers le Ciel, nous avons besoin de croire, d’aimer, d’accueillir celui qui nous les donne. Zachée, la Samaritaine, Marie Madeleine, Matthieu et tant d’autres ont changé de vie, mais tout a commencé par une rencontre. Une rencontre personnelle avec le Christ, qui les a amenés à poser un choix de vie : celui d’accueillir son amitié. Une amitié qui peut bouleverser une vie, qui peut changer notre vie. Pourquoi?

Jésus vient jusqu’à nous, pour nous donner sa vie, nous révélant ainsi, de la façon la plus forte qui soit, l’amour fou dont nous sommes aimés de Dieu. Jésus nous sauve et nous invite à entrer dans une relation d’amour et d’amitié avec lui. Là où l’on pouvait penser que ce Dieu tout-puissant était aussi un Dieu lointain, craint et adoré de loin, on découvre qu’il se fait le « tout proche », nous proposant son amitié! C’est une des paroles les plus fortes de l’Évangile, une parole prononcée par Jésus le soir du jeudi saint : « Je ne vous appelle plus serviteurs, […] je vous appelle mes amis… » (Jn 15,15)! « Mes amis »! Le Seigneur Jésus me propose de vivre une belle et grande amitié avec lui. Il m’offre son amitié. Il ne veut pas d’une relation de soumission. Il veut que je sois son ami, avec toute la force, la beauté et la grandeur que ce terme peut et doit avoir, quand on le prend au sérieux.

Méditer ces quelques mots m’a fait découvrir que la foi pouvait être comprise et vécue comme une amitié. Découvrir cela peut profondément changer notre façon de voir et de vivre la foi. Jésus emploie ce terme d’amitié pour définir la relation qui peut exister entre lui et chacun de nous, si nous le voulons. Seul Jésus pouvait nous offrir son amitié. Quel pauvre pécheur – et nous le sommes tous – aurait osé imaginer cela possible? Être l’ami du Sauveur? Être l’ami du Roi des rois, du Messie? De Jésus Christ, fils unique du Père, mort et ressuscité pour nous? Il est venu non seulement nous réconcilier avec Dieu, mais faire de nous ses amis. Mystère et beauté de cette main tendue vers les pauvres que nous sommes! Étonnante amitié entre un pauvre et son Roi! Entre un pécheur et celui qui est trois fois saint! Seul Dieu pouvait imaginer et permettre cela. L’amour fait faire des folies!

Toute amitié est une aventure à oser, à choisir et à vivre. Une aventure qui nous rend heureux, car elle nous offre l’occasion de nous donner.

Mais revenons au constat initial : pourquoi beaucoup s’ennuient? Pourquoi beaucoup décrochent et se lassent? Il semble que beaucoup risquent de vivre leur foi trop centrée sur eux-mêmes, leurs envies, leurs besoins et leur ressenti. Vivre sa foi en fonction de ce que cela nous apporte, c’est avoir l’assurance de décrocher un jour. On ne peut pas aimer dans cette logique. Une amitié utilitaire, ça ne tient pas longtemps! « Je ne vais pas à la messe, car je n’en ressens pas le besoin »; « Je prie parce que ça me fait du bien »; « Je ne ressens rien quand je prie ou quand je suis à l’adoration »; « Je n’ai pas envie de me confesser, ça ne m’apporte rien »; « L’Église me dit ça, mais je ne le ressens pas ainsi »; « Je préfère prier seulement lorsque j’en ai envie »… On connaît par cœur ces phrases, on a pu les entendre ou les dire nous-mêmes! Je les comprends. Je ne suis pas le dernier à ressentir un désir fluctuant de prier! Mais toutes ces phrases sont centrées autour de « je ». Elles révèlent une foi centrée sur soi-même. Le « je », avec ses envies et ses manques d’envie, ses ressentis et ses besoins, devient le critère et le centre de tout. Si notre fidélité dépend de nos envies, alors elle va être très fluctuante! Ce n’est pas la logique de l’amitié ni de l’amour.

Ce qui est beau dans l’amitié, c’est justement qu’elle nous invite à nous décentrer de nous-mêmes pour nous ouvrir à l’autre, aux besoins et désirs de l’autre, aux joies et aux peines de l’autre. Nous faisons tous cette expérience-là. Repensez aux derniers moments de bonheur intense que vous avez connus. Il est probable que ce sont des moments qui vous ont vus généreux, vous donner ou servir ceux que vous aimez. L’amitié nous fait oublier notre nombril et nous tourne vers l’autre. Quand votre meilleur ami vous appelle à deux heures du matin pour vous dire : « J’ai besoin de toi! », vous ne vous regardez pas en vous prenant le pouls, en vous demandant si vous ressentez ou pas le besoin ou l’envie d’y aller… Vous foncez! Votre ami vous attend. Il vous semble évident qu’il vous faut être là, à ses côtés.

Vous êtes heureux de le faire, heureux que votre présence puisse l’encourager, le consoler, le fortifier ou le rassurer. Heureux de le voir heureux de vous voir arriver! Heureux de sa joie. L’amitié rend généreux. Pour soi-même, on peut souvent être paresseux. Pour les autres, on a en nous des trésors de générosité. On se dépasse, on transcende nos manques d’envie ou notre flemme. On se donne. L’amitié véritable nous fait entrer dans la logique du don, de la gratuité et donc de la joie vraie.

Appliquons cela à la foi et tout change! Vivre la foi comme une amitié, c’est d’abord prendre le temps de contempler comment Jésus lui-même a vécu cette amitié. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13), nous dit-il le soir du jeudi saint, avant de vivre cela le lendemain. Il est allé jusqu’au bout de l’amour. Comme toute vraie amitié, son amitié ne s’impose pas, elle se propose et s’expose : « Regarde jusqu’où je t’aime », nous dit-il à chacun sur la croix. Il offre son amitié à celui qui la veut, cette amitié qui a le prix de sa vie et de son sang. « À la vie, à la mort! », dit-on parfois pour sceller une amitié. Ces mots n’ont jamais été aussi vrais que pour le Christ. Son amitié pour nous l’a conduit jusqu’à l’offrande de sa vie. Comment pourrions-nous désormais douter de cette amitié? Comment ne pas nous laisser toucher? L’amour appelle l’amour. L’amitié de nos proches nous touche, les preuves d’amitié parfois très fortes qu’ils peuvent nous donner à l’occasion d’une épreuve, d’un événement heureux ou malheureux de notre vie nous bouleversent. Nous avons envie de leur rendre autant d’amour. Comment alors rester indifférents à ce que le Christ a fait pour nous? Regardez-le sur la croix : il tend les mains et crie : « J’ai soif! » Les soldats ont pensé que son corps avait soif, mais c’est son cœur qui nous suppliait : « J’ai soif que tu comprennes à quel point je t’aime. J’ai soif que tu comprennes pourquoi je fais cela pour toi! J’ai soif de ta réponse, de ton amitié. » Il n’est jamais trop tard pour se laisser toucher par cette amitié, comme en témoigne le bon larron. Au dernier moment, il se laisse saisir et ose y croire : « Souviens-toi de moi… » C’est ce qu’on dit à un ami! Et la réponse ne se fait pas attendre : « Aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis » (Lc 23,43). C’est celle d’un ami véritable et fidèle.

Extrait du livre de l’abbé Pierre-Hervé Grosjean, « Etre prêt : Repères spirituels », publié aux éditions Artège.

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