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"Acceptez les propositions de Trump ou taisez-vous" : MBS met la pression sur les Palestiniens... au risque de décrédibiliser l’Arabie saoudite dans le monde arabe ?
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Tranché

Selon une source du correspondant diplomatique de Channel 10, le prince héritier Mohammed ben Salman aurait déclaré : "​Il est temps que les Palestiniens s'emparent des propositions et acceptent de venir à la table des négociations ou alors ils doivent se taire et arrêter de se plaindre" .

Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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Atlantico : ​Selon Channel 10 news, le prince héritier Mohammed ben Salman aurait déclaré "​Il est temps que les Palestiniens s'emparent des propositions et acceptent de venir à la table des négociations ou alors ils doivent se taire et arrêter de se plaindre" en référence aux tentatives de négociation actuelle provenant de l'administration Trump. Quel est le niveau d'influence de l'Arabie saoudite concernant la question palestinienne ?

Roland Lombardi : Cette déclaration ne m’étonne guère dans le contexte d’aujourd’hui. Il faut bien comprendre que dans les négociations secrètes qui se déroulent actuellement entre Américains, Israéliens mais aussi, quoi qu’on en dise, Palestiniens, les Saoudiens mais également les Egyptiens jouent un rôle discret mais non moins très important. Pour les Egyptiens, qui représentent le pays le plus peuplé et le plus puissant militairement du monde arabe, il s’agit de redonner à l’Egypte de Sissi, son leadership passé dans la région. Ainsi, les diplomates du Caire sont très actifs et ont une influence certaine auprès du Hamas[1] et de l’Autorité palestinienne. Quant à l’Arabie saoudite, elle est le pays des « deux mosquées sacrées » et a donc une certaine aura. De plus, même si les Saoud (qui n’ont pour beaucoup de musulmans aucune légitimité à régner justement sur la terre sainte de l’islam) ont toujours eu mauvaise presse dans le monde arabo-musulman (hormis chez les salafistes qu’ils finançaient), Riyad, malgré ses problèmes financiers actuels, reste tout de même un des principaux bailleurs de fonds des Palestiniens de Ramallah. A l’heure où par exemple les financements américains tendent à se réduire, ce n’est pas négligeable… Mahmoud Abbas est à présent très isolé à l’international. L’Europe est impuissante, la France est hors jeu et même Vladimir Poutine, et ce en dépit des déclarations du maître du Kremlin d’il y a un peu plus d’un an, a décidé depuis, de se mettre en retrait. En effet, celui-ci se présentait alors comme le possible médiateur entre Israéliens et Palestiniens (et surtout accepté par les deux parties) mais avec l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, la donne n’est plus tout à fait la même. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait comprendre à un Mahmoud Abbas déçu, lors de sa dernière visite à Moscou en février dernier. De fait, Poutine préfère « passer son tour » et laisser les Américains reprendre la main sur ce dossier si sulfureux. Au final, Mahmoud Abbas est bien seul et même si ce n’est pas de gaieté de cœur pour lui, il est obligé de revenir auprès des Egyptiens et des Saoudiens, ses seuls et derniers véritables « soutiens » de poids…

En agissant de la sorte, Mohammed ben Salman peut-il réellement parvenir à amener les Palestiniens à la table des négociations ? N'existe-t-il pas un risque de pousser les Palestiniens dans les bras des plus radicaux ?

Comme je l’ai évoqué à demi-mot plus haut, malgré les apparences et les discours virulents, du côté palestinien, les contacts avec les Israéliens (relations commerciales et coopération sécuritaire en Cisjordanie notamment), mais même avec les Américains, ne sont pas totalement rompus.

Certes, depuis décembre dernier et la décision de Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, le ton est monté entre les Palestiniens et le locataire de la Maison Blanche (qualifié en mars de « Fils de chien » par le Président de l’Autorité palestinienne, insulte suprême chez les Arabes), mais Abbas sera obligé, à terme, de revenir à la table des négociations, et ce même sans la pression de MBS. Même s’il a déclaré en janvier que l’offre de paix du Président américain est « la claque du siècle », il ne peut raisonnablement se couper définitivement des Etats-Unis, qui seuls ont actuellement le pouvoir d’imposer à toutes les parties une solution au conflit israélo-palestinien. Précédemment, j’ai dit que Abbas était isolé sur le plan international. Il l’est aussi sur le plan interne. Il est par ailleurs coincé entre ses extrémistes comme ceux du Hamas mais également par la jeune garde du Fatah qui pousse peu à peu le vieux dirigeant (83 ans) vers la sortie. Cette jeune garde qui paradoxalement, a combattu les Israéliens les pierres et les armes à la main, mais qui a, depuis, appris à connaître et à discuter avec l’ennemi… Pour le moment, Abbas joue les offensés. Il est dans son rôle et fait en quelque sorte monter les enchères en refusant personnellement tout dialogue (officiel). Entre parenthèse, ne vous inquiétez pas, d’autres responsables palestiniens discutent en secret pour lui avec notamment Jared Kushner (gendre et conseiller spécial du président et très proche du prince héritier saoudien), David Friedman (ambassadeur américain en Israël) et surtout, Jason Greenblatt (représentant spécial pour les négociations internationales, chargé notamment de gérer les relations entre Israël et l'Autorité palestinienne).

Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que si le Président américain a fait plusieurs gestes en faveur des Israéliens, c’est, ne soyons pas dupes (et ces derniers ne le sont pas), qu’il attend de grandes concessions de leur part[2]. Rien n’est jamais gratuit en relations internationales, surtout pour les Américains ! Trump veut absolument son « affaire du siècle ». Imaginez quelle gloire personnelle il en tirerait. C’est peut-être même la principale raison pour Trump. Et donc, connaissant son ego démesuré, nous pouvons être certain de la sincérité de sa volonté de réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué jusqu’ici !

Pour l’instant, Benyamin Netanyahou résiste aux pressions américaines. Déjà confronté à des problèmes judiciaires graves (plus d’une dizaine d’enquêtes dans des affaires de corruption), il est pris en otage électoralement et tiraillé par son aile droite et les partis ultras qui composent sa majorité gouvernementale. C’est dommage que pour des raisons bassement électorales et peut-être personnelles, Netanyahou s’interdit, pour l’instant, à devenir le nouveau Begin, Rabin ou Sharon…

Quoi qu’il en soit, les responsables sécuritaires israéliens (notamment du Shabak, le Service de sécurité intérieure israélien), même s’ils ne le crient pas sur les toits, seraient favorables à un traité de paix solide et sérieux, ne serait-ce que pour faire d’abord redescendre la pression sécuritaire quotidienne…

Malgré tout, je reste persuadé que nous allons assister à terme à une surprise. Sauf incident grave, aussi étonnant que cela puisse paraître, un accord sur deux Etats, fortement inspiré de l’initiative de paix saoudienne de 2002, réajusté, réactualisé et modernisé, basé sur des échanges de territoires voire même un statut particulier de Jérusalem, risque prochainement de voir le jour… lorsque nous nous y attendrons le moins. Irréaliste ? Je ne crois pas. Soyons optimistes. Même si c’est un autre monde, regardez ce qui se passe en Corée aujourd’hui. Qui l’eut cru il y a à peine quelques mois ? Personne.

Quels sont les moyens dont disposent l'Arabie saoudite pour intervenir efficacement dans le processus actuel ? Quels sont les bénéfices que pourrait en tirer Riyad, notamment dans ses relations avec Israël ?

Principalement, l’argent. Toujours l’argent ! Les Saoudiens se disent déjà prêts à participer à tous les dédommagements et financements éventuels. Quant aux bénéfices, outre la fin de cette hypocrisie historique et diplomatique qui a toujours caractérisé les rapports entre Israël et ses voisins et surtout, une normalisation officielle des relations avec l’Etat hébreu avec des perspectives commerciales non négligeables, Riyad comme Le Caire, mais surtout MBS et Sissi, pourraient d’abord et davantage soigner leur image de « dictateur fréquentable » et surtout… efficace auprès des Occidentaux. Ensuite, c’est simplement une question de prestige et de leadership. En effet, les deux hommes qui s’entendent très bien, pourraient ainsi redonner à leur pays, l’Arabie saoudite et l’Egypte, leur rôle de locomotive et de phare du monde sunnite. Enfin, l’avantage majeur pourrait être également géopolitique.

De fait, comme je l’ai déjà dit, si un grand accord de paix était signé, cela résoudrait en grande partie le problème de la cause palestinienne, ce qui couperait, dans une certaine mesure, l’herbe sous les pieds de tous leurs extrémistes (Frères musulmans et jihadistes) mais aussi de l’Iran des mollahs (et donc du Hezbollah), dont la lutte contre l’Etat « sioniste », fut et est toujours, sa principale « carte de visite » dans le monde sunnite.

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