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« Les sanglots longs », ou l’art et la manière de passer l’automne en compagnie des meilleurs esprits de ce temps
©AFP

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Alain Finkielkraut s’impose avec son essai autobiographique « A la première personne » ; Pascal Bruckner triomphe grâce à « Une brève éternité » ; l’écrivain et dramaturge autrichien Peter Handke - Prix Nobel de littérature 2019- envahit les vitrines de France, et c’est tant mieux.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

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« L’économie, c’est important, Tocqueville l’a dit : la passion du bien- être est la passion dominante voire exclusive des démocraties. Reste qu’aujourd’hui, la politique ne doit plus seulement être au service de l’économie, elle doit servir la civilisation », déclara Alain Finkielkraut dans l’Obs peu après la parution de son essai autobiographique « A la première personne » (Gallimard). On retrouve son idée-force - la notion d’une nécessaire et urgente « défense de la civilisation »- dans l’un des meilleurs passages de l’ouvrage, intitulé « A la recherche du temps présent ». L’auteur rend au mot « conservateur » ses lettres de noblesse. Soudain, l’on comprend pourquoi la pensée de gauche, telle que nous l’avions comprise jadis et naguère s’est effilochée au point de se ringardiser, faute de penseurs, donc de pensée. Ce pourquoi, sans bien savoir ce qu’ils cherchaient au juste, mais parfaitement conscients de ce qu’ils ne voulaient plus (ce degré zéro des idées), ceux-là mêmes qui étaient « de gauche » se mirent à déserter. Les dégoûtait la bien-pensance qui succédait au bouillonnement intellectuel de jadis, comme les choquaient la platitude et le même qui sévissaient dans certains esprits « progressistes » . Tout le monde comprit alors que les intellectuels de gauche d’hier seraient demain des intellectuels… de droite ; l’époque l’exigeait et Sartre n’avait -il pas dit qu’un l’écrivain digne de ce nom se « devait d’ écrire pour son temps » ?-

A gauche, l’on se rassurait : les sondages étaient mauvais, mais la droite était morte, alors qu’elle n’avait jamais été aussi vivante, sauf qu’elle se taisait/terrait, ne voulant ni les clivages clivants ni les visages trop familiers. La gauche était ringardisée, la droite n’osait se dire telle, problème sans doute résolu par celui -ou celle -qui saurait agréger tous ces taciturnes, ces silencieux . Ceux qui, tel Alain Finkielkraut, de l’Académie française ( belles pages sr la langue et ses dévoiements)étaient « conservateurs » pour faire durer l’invisible. «  Notre société , qui compte de plus en plus d’ennemis déclarés chez ceux qui la rejoignent, combat sous le nom d’élitisme et d’ethnocentrisme la prédilection pour ses trésors. Voyant dans le passé non une ressource mais une contrainte, elle rompt – de la fidélité à la nostalgie- tous les liens qui l’y rattachent encore, elle se vide, elle se déleste de soi au moment précis où elle est attaquée pour ce qu’elle représente ».

 Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut sont frères d’écriture et amis de toujours. Ils ont souvent fait briller les sommaires des magazines dont j’ai eu la charge, et leurs articles étaient à l’égal de leurs livres. Audacieux, impertinents, terriblement nouveaux, chaque fois. Ce que j’aime chez Pascal Bruckner, c’est qu’il n’a jamais changé. Il aime glisser un zeste de fiel dans le miel, et sait humer l’air du temps. « Le Nouveau Désordre Amoureux » ( Seuil/Poche), écrit avec Alain Finkielkraut, et qui marqua un tournant, que dis-je qui fut une sorte de révolution, Pascal Bruckner en reproduit la marque à chaque parution. Par l’esprit, l’humour, l’élégance et cette pensée non conforme, qui cherche, et trouve toujours ce que les autres n’ont pas eu le temps, ni la finesse d’entrevoir, Bruckner comprend toujours tout très vite. Dans « Une brève Eternité, philosophie de la longévité, » l’auteur nous fait cadeau de ces trente ans gagnés pour ce qui est de nos espérance de vie, et nous dit comment les vivre avec panache et modestie.

Car Bruckner n’est pas un coach pour magazine féminin. C’est un écrivain. Il n’a pas de recettes. Je me souviens de « Un an et un jour » ( Grasset 2018), ce roman loufoque que j’avais lu d’une traite, une voyageuse prisonnière d’un hôtel mais surtout du temps. Dans son essai « Une brève éternité » Pascal Bruckner nous fait réfléchir. Comment renoncer au renoncement, par exemple. Cette brève histoire d’éternité est aussi neuve et forte que le fut en son temps l’aventure littéraire et sociétale du «  Nouveau Désordre amoureux. » S’il y a une tristesse paradoxale des ruines, c ‘est qu’elles incarnent, à l’échelle minérale, la pétrification qui nous guette sur le plan moral, le triomphe du temps mort sur le temps vivant. » « Encore un instant, Monsieur le bourreau », ajoute l’auteur. Bruckner rappelle que tous les espoirs sont permis, car :« Nous sommes les sans-logis de la durée » Une philosophie de l’âge dans la joie de se sentir vivant. « Votre visage est si doux - comme si vous aviez sans cesse conscience de ce qu'il nous faut mourir ». Au hasard, et parmi d’autres, tout aussi somptueuses, une phrase extraite de « La Femme Gauchère » du Prix Nobel de Littérature 2019, Peter HandkeHandkehttps://fr.wikipedia.org/wiki/Peter_Handke.

«Va-t'en, je veux vivre seule», disait l’héroïne à son mari. Ce beau récit d’une émancipation féminine, entre solitude (s) et naissance à soi –même, loin des rôles préétablis, changea bien des vies. Je me souviens du choc assez considérable que provoqua chez moi la lecture de « La Femme Gauchère ».Cette écriture blanche, elliptique. Ce regard précis, sec, tellement intelligent, sur les choses et les êtres. La connivence de l’auteur avec le ressenti d’une femme. Un roman féministe écrit par un homme. Alors que certains observateurs- plus ou moins qualifiés- s’indignent de ce Nobel attribué à un écrivain « proserbe », j’ai voulu savoir ce qu’en pensait l’écrivain des écrivains français, Patrick Besson.(https://www.atlantico.fr/decryptage/3412106/qui-a-peur-de-patrick-besson--annick-geille.) Ames sensibles s’abstenir.

A la première personne / Alain Finkielkraut de l’Académie française / 14 euros / 125 pages / Gallimard

Une brève éternité, philosophie de la longévité » / Pascal Bruckner / Grasset / 19 euros

La femme gauchère /Peter Handke / Gallimard / Folio / 4, 90 euros

Le milieu de terrain / Patrick Besson / Grasset / Le livre de poche / 220 pages / 18 euros

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