Y a-t-il un dégoût d'être Français ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
87% des Français estime que la France est de moins en moins performante économiquement.
87% des Français estime que la France est de moins en moins performante économiquement.
©Reuters

Politico Scanner

Selon une récente étude Viavoice, plus d'un tiers des Français (38%) se dit prêt à quitter le pays. D'où vient un tel malaise de la population ? Ce mécontentement est-il irréversible ?

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

Voir la bio »

Atlantico : Selon un récent sondage, plus d'un tiers des Français se dit prêt à quitter le pays. Existe-t-il un réel dégoût de la France à l'heure actuelle ? Si oui d'où vient-il ? Et comment a-t-il évolué dans le temps ?

Bruno Cautrès : Il convient d'être prudent sur l'interprétation de ce chiffre. D'une part il faudrait pouvoir le comparer à d'autres enquêtes au plan européen; d'autre part les enquêtes disponibles sur la question de la fierté d'être français indiquent en général un très large sentiment de fierté. Dans une vaste enquête européenne, la European Values Studies, réalisée en 2008, 90% des français interrogés se déclaraient fiers d'être français, parmi lesquels 39% se disaient même très fiers.  Le "dégoût" de la France évoqué dans l'enquête plus récente plus récente est à la fois minoritaire (un gros tiers) et sans doute très composite dans sa signification. Et bien sûr on ne peut détacher son interprétation du contexte actuel de pessimisme social qui touche de plein-fouet la France de 2013.

La tendance collective au pessimisme des Français était jusqu'à présent contrebalancée par leur optimisme à titre individuel. Il semble que cela soit de moins en moins vrai. Comment l'expliquer ?

Il n'est pas impossible que l'impact à moyen terme d'une crise économique sans précédent dans les décennies récentes soit de remettre en cause l'équation française que l'on pouvait résumer par le paradoxe "malheur public/bonheur privé".  Le sentiment de pouvoir s'épanouir dans sa vie privée et de réaliser son bonheur dans son jardin familial demeure néanmoins fort en France. au delà c'est une tendance plus générale dans les sociétés européennes. L'individualisation des valeurs, le sentiment qu'aujourd'hui on peut combiner la vie privée avec la forte demande d'autonomie des individus (le "chacun son choix"), le déclin des rapports verticaux dans la société et le développement des rapports horizontaux (entre conjoints, entre les parents et les enfants) sont des explications fortes à cette tendance, peu susceptibles d'être fortement remis en cause par la crise. Mais à court terme et compte tenu des niveaux de pessimisme sur l'avenir professionnel ou social, on peut sans doute observer des fluctuations.

Quelle responsabilité portent les hommes politiques dans ce malaise ?

Les hommes et femmes politiques sont l'objet d'un paradoxe : d'une part ils sont mal perçus, une écrasante majorité de Français dressant le portrait d'une classe politique corrompue et menteuse; d'autre part les attentes sur les hommes et femmes politiques sont non moins fortes. Plutôt que d'une responsabilité des hommes et femmes politiques, il faut parler d'une responsabilité collective : tout autant celle du système institutionnel, le relatif échec de notre modèle de renouvellement des élites politiques malgré les quelques progrès récents faits sur la question de la parité, que celle de nous tous. Peu des Français s'engagent dans la vie publique : le nombre d'adhérents aux partis, aux syndicats est assez faible.  Néanmoins, les évolutions vers plus de transparence des hommes et femmes politiques sont, sur le moyen et long terme, des évolutions importantes.Seront-elles suffisantes ? Certainement pas. C'est la capacité des hommes et femmes politiques  à régler quelques uns des problèmes économiques et sociaux qui comptera. Par ailleurs, l'ouverture des élites politiques aux dimensions européennes et internationales devrait sans doute être encore renforcée; non pas pour former des élites sans territoire mais des élites qui prennent mieux conscience des atouts et des difficultés de la France dans un monde global.

Comment expliquer que les Français ont plus confiance en l'avenir de l'Allemagne et des Etats-Unis qu'en l'avenir de leur propre pays ?

On ne peut exclure des effets de stéréotypes nationaux : l'image de ces deux grands pays, réputés dynamiques et réalistes, compte dans la manière dont les Français se les représentent. mais cela traduit en creux le manque de confiance dans l'avenir du pays et le sentiment que nous n'arrivons pas à nous en sortir. Cette tendance est d'autant plus impressionnante que la France n'est pas un pays statique. Plein de secteurs ont bougé depuis quelques années, la France est beaucoup plus en mutation que ne le laisse penser l'image d'un pays qui regarde dans le rétroviseur. Mais ces mutations font bien ressortir des craintes : ne va t'on pas perdre quelque chose au profit d'un monde que l'on ne connait pas bien ?  C'est frappant lorsque l'on analyse des attitudes des Français vis à vis de l'Europe ou de la mondialisation. Nous redoutons davantage les conséquence négatives sur notre protection sociale et sur le chômage que sur la perte de l'identité nationale ou l'immigration illégale.

Comment inverser la tendance ?

Un immense travail de pédagogie de nos gouvernants sur nos atouts dans ce monde global qui change tout en s'éloignant des postures qui laissent penser que la France est à la fois unique dans ses atouts et uniques dans ses difficultés. "Scandinaviser" un peu la vie politique française, que nos élites baissent le niveau rhétorique de leur approche de la politique : la tendance à faire de beaux discours, à faire des effets de tribune, est une magnifique tradition intellectuelle française, mais n'a t'elle pas atteint un peu ses limites ? Michel Rocard revendiquait lorsqu'il était premier ministre un "devoir de grisaille" : ne pas vouloir faire rêver ou "ré-enchanter" la politique me semble aller dans la bonne direction si l'on veut diminuer la distance entre les promesses et les réalités.  Diversifier enfin les canaux de formation des élites politiques. Tout ceci est plus facile à dire qu''à faire.....

Méthodologie :Étude Viavoice pour W&Cie. Interviews effectuées en ligne du 2 au 27 février 2013.
Échantillon de 1 002 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus .
Représentativité par la méthode des quotas appliquée aux critères suivants : sexe, âge, profession, région et catégorie d’agglomération .

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !