Une fuite indique que les Américains ont détecté la construction d’un site militaire chinois chez leur (futur ex?) grand allié émirati… <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président chinois Xi Jinping et le prince héritier d'Abu Dhabi Sheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan au palais présidentiel dans la capitale des Émirats arabes unis, en juillet 2018.
Le président chinois Xi Jinping et le prince héritier d'Abu Dhabi Sheikh Mohamed bin Zayed Al Nahyan au palais présidentiel dans la capitale des Émirats arabes unis, en juillet 2018.
©KARIM SAHIB / AFP

Géopolitico-Scanner

Les agences d'espionnage américaines ont détecté la construction d'une installation militaire chinoise aux Emirats arabes unis. S'agit-il d'un nouveau signe de la perte d'influence américaine dans la région ?

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : Selon des documents de renseignement top secret obtenus par le Washington Post, les agences d'espionnage américaines ont détecté la construction d'une installation militaire chinoise aux Emirats Arabes Unis en décembre, un an après que l'allié riche en pétrole de Washington ait annoncé qu'il interrompait le projet en raison des inquiétudes des Etats-Unis. Que savons-nous exactement à ce sujet ?

Michael Lambert : Les installations militaires de la République Populaire de Chine (RPC) se multiplient à travers le monde, suivant une logique de protection des investissements chinois dans le cadre de l'initiative One Belt One Road (OBOR). Pour la RPC, il est question de protéger ses infrastructures et investissements en renforçant sa présence militaire en Asie centrale, en Afrique et au Moyen-Orient.

Dans ce contexte, l'éventuelle installation d'une base militaire chinoise dans les Émirats Arabes Unis (EAU) n'est pas improbable, car Beijing dispose par ailleurs déjà d'une base militaire à Djibouti (People's Liberation Army Support Base in Djibouti (中国人民解放军驻吉布提保障基地) avec environ 2000 personnes), ainsi que d'une base au Tadjikistan à proximité du Corridor de Wakhan en Afghanistan.

Il convient de rappeler que ces bases ne s'inscrivent pas dans une perspective offensive mais plutôt défensive, afin de protéger les intérêts des ressortissants chinois à l'étranger, les investissements, ou de lutter contre le terrorisme et le trafic de drogue, comme le montre le cas de la base au Tadjikistan. Parfois, ces bases sont aussi un moyen pour un pays partenaire de la RPC de payer une partie de ses dettes à Beijing, en autorisant la construction du site en question. Enfin, il faut rappeler que certaines bases ne sont pas destinées (du moins officiellement) à préparer un conflit armé, mais plutôt à former les forces policières et militaires locales à la lutte contre diverses menaces comme au Tadjikistan.

Quant à l'éventuelle base militaire aux EAU, sa présence serait cohérente pour sécuriser les circulations de biens et de personnes, mais aussi pour la diversification des approvisionnements en hydrocarbures. Il faut également rappeler que cette présence chinoise permettra de sécuriser une région en pleine mutation géopolitique. A ce titre, les EAU sont proches géographiquement de l'Iran, qui a entamé un rapprochement avec la Russie et poursuit son programme d'enrichissement d'uranium, de l'Irak, dont on sait que ce pays compte des partisans de l'ISIS, et ont donc des relations avec les groupes terroristes en Afghanistan qui partage une frontière directe avec la RPC. En outre, Beijing est sur le point de finaliser une partie de ses infrastructures portuaires au Pakistan, et doit par conséquent se doter des moyens de les protéger.
Le vrai problème de cette éventuelle base militaire est que les EAU sont alliés, du moins sur le papier, avec Washington. 

Cela pourrait-il conduire à une rupture des liens entre les États-Unis et les Émirats arabes unis ?

Pour les EAU, il s'agirait d'une alternative à la présence américaine. L'idée n'est pas de remplacer Washington, mais de pouvoir dialoguer avec les deux grandes puissances et de jouer sur l'ambiguïté pour obtenir les meilleures conditions lors des négociations.

Par ailleurs, il est important de rappeler que Beijing est désormais en mesure de fournir des équipements militaires d'aussi bonne qualité que ceux des Américains. Ainsi, les EAU pourraient voir dans ce premier rapprochement un moyen de varier leurs importations militaires.

Une rupture est peu probable, mais cela va contribuer à accroître les tensions avec les Etats-Unis. 

Les Etats-Unis peuvent-ils vraiment compter sur les Emirats Arabes Unis ?

L'amitié entre les deux pays est essentiellement basée sur des intérêts commerciaux et sécuritaires, dans la mesure où il existe peu de similitudes sur le plan religieux, culturel et linguistique. 

Washington ne peut donc compter sur les EAU que s'il y a un bénéfice économique ou militaire pour ces derniers. 

S'agit-il d'un nouveau signe de la perte d'influence américaine dans la région ? Que signifierait une alliance entre les Émirats arabes unis et la Chine ?

Ce n'est pas le signe d'une perte d'influence mais le fait qu'une puissance encore plus influente prend le dessus sur les Etats-Unis dans la région.

Pour les EAU, cela permettra d'augmenter les exportations d'hydrocarbures vers la RPC, mais aussi les importations de produits chinois. À ce jour, Beijing est en mesure de remplacer toutes les importations occidentales et dispose d'une avance considérable dans les domaines technologique, militaire, spatial, de la fabrication de produits informatiques aux voitures électriques, pour ne citer que quelques exemples. Il serait donc dans l'intérêt des EAU d'entamer une transition des produits occidentaux vers ceux de la RPC, un processus en cours en Russie (conséquence des embargos occidentaux) ainsi que dans plusieurs pays asiatiques.

Une alliance entre les EAU et la RPC marquerait un recul des droits de l'homme et de la Démocratie dans la région, car Beijing se soucie peu de ces éléments dans les négociations. Cependant, cette alliance apporterait aux EAU le soutien d'une puissance militaire qui gagne du terrain au Moyen-Orient et qui est considérée comme un partenaire plus acceptable que les États-Unis aux yeux des pays voisins tels que l'Iran et l'Afghanistan.

Quel est l'intérêt de Pékin dans une telle alliance ?

La sécurisation de l'approvisionnement en hydrocarbures semble être l'élément fondamental. A cela s'ajoute la nécessité de protéger les investissements de l'OBOR au Pakistan, de surveiller de plus près les activités des groupes islamistes en Irak, ces derniers entretenant des liens avec l'Afghanistan, et de surveiller le programme nucléaire iranien. Il s'agit par ailleurs de pouvoir disposer d'une présence militaire à l'ouest de l'Inde, où l'on sait que les relations entre New Delhi et Beijing sont toujours empreintes d'une certaine tension.

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