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Pourquoi le pétrole s'apprête à faire renaître l'Amérique
©Reuters

Trans-Amérique Express

Miracle ou mirage ? Les Etats-Unis vivent un formidable boom pétrolier susceptible de révolutionner leur économie et de bouleverser les équilibres stratégiques mondiaux.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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C’est la révolution dont personne ne parle. Elle se déroule pourtant sous nos yeux. Depuis dix ans déjà. Elle va se poursuivre et marquer la première moitié du 21e siècle. C’est le boom pétrolier et gazier que connaissent les Etats-Unis. Plutôt que de révolution, certains préfèrent parler de « renaissance ». On pourrait aussi évoquer une « fièvre du pétrole » tant les Américains sont engoués par ce qu’ils vivent. Au point que certains mettent en garde contre un mirage, sachant que dans l’histoire les « booms » ont souvent été suivis de « busts », c’est-à-dire d’effondrement.

Quoiqu’il en soit cette renaissance aura des conséquences durables sur l’économie américaine et sur les équilibres mondiaux, bâtis depuis un plus d’un demi- siècle sur un pétrole et un gaz du Proche-Orient, produits et acheminés sous protection américaine.

D’abord quelques chiffres qui en disent long. Pour la première fois depuis 1995 les Etats-Unis produisent plus de pétrole qu’ils n’en importent.
Il n’y a pas si longtemps la consommation de pétrole américaine, soit 18 millions de barils par jour, provenait pour 40% de la production nationale, un chiffre qui ne cessait de baisser, et pour 60% d’importations, un chiffre qui ne cessait d’augmenter. Ce rapport est en train de s’inverser. Depuis 2006 les importations de pétrole américaines ont pratiquement diminué de moitié, passant de 13 millions de barils en 2006 à 6,7 millions de barils en 2012.

Quant à la production elle était tombée à 5 millions de barils/jours en 2008. Elle est désormais de 6,8 millions de barils jours. Elle devrait passer le cap des sept millions de barils avant la fin de l’année et le cap des 8 millions avant fin 2014. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) prévoit que des 2017 les Etats-Unis redeviendront le premier producteur de pétrole au monde, devant l’Arabie Saoudite et la Russie. Selon l’agence le cap des 10 millions de barils/jours sera passé dès 2015 et ce pour vingt ans au moins. Le boom pétrolier en cours pourrait donc durer jusqu’en 2035.

Même chose dans le secteur gazier. Mais plus vite encore. Toujours selon l’AIE Les Etats-Unis passeront devant la Russie en 2015. Ils basculeront de plus en plus vers cette source d’énergie aux dépens notamment du charbon, dans leur production d’électricité. Ce qui aura à la fois une incidence écologique, avec une réduction des émissions de CO2, et une incidence économique, le prix du gaz sur le marché américain ayant chuté de 60% en dix ans.

D’où vient cette soudaine abondance d’hydrocarbure ? D’une double révolution technologique : la fameuse « fracturation hydraulique », « fracking » en anglais, associée à la possibilité de percer des puits à l’horizontal. Avec un même résultat : rendre récupérables des quantités importantes de pétroles considérées jusque-là inaccessibles.

Voilà pourquoi les Américains parlent de « renaissance » et pas de « révolution ». Dans la bouche des « oilmen », le « pétrole jaillit à nouveau là où il a jailli avant ». Et les quantités recouvrées dépassent pour l’instant tous les pronostics. En 2010 les réserves de pétroles américaines « prouvées » étaient de 25 milliards de barils. Augmentées de réserves dites « non conventionnelles », elles passent à 83 milliards de barils. Et trois à quatre fois plus si on ajoute les réserves off-shore.

Ce boom remonte à 2003. Car c’est à cette époque que de petits producteurs indépendants ont commencé d’exploiter ces nouvelles techniques. Pour être rejoints à partir de 2008 par les « majors », les grosses compagnies. De sortent que les Etats-Unis voient aujourd’hui les bénéfices de cinq à dix ans d’investissement. En 2003 on dénombrait moins de deux mille puits horizontaux en activité aux Etats-Unis. En 2013, soit dix ans plus tard, il y en a plus de quarante-cinq mille, vingt fois plus. D’où une accélération sensible des hausses de production.

Pour la seule année 2012 la production de pétrole a augmenté de 1,12 millions de barils/jours. L’équivalent de toute la production indonésienne, ou colombienne. Depuis 2006 la production de pétrole et d’équivalent pétrole à partir du gas naturel ou des « bio-fuels » a augmenté de 3 millions de barils/jours. C’est-à-dire l’équivalent de toute la production de brut de l’Iraq. Cette tendance devrait se poursuivre. Avec une croissance annuelle de la production de un million de barils. Economistes et hommes politiques envisagent désormais ouvertement cet horizon tant souhaité et insaisissable depuis 50 ans, l’indépendance énergétique ! Un rapport du Citigroup, au titre révélateur, « 2020 Indépendance Day », paru en février prévoit que d’ici seulement cinq ans les Etats-Unis pourraient ne plus importer de pétrole que de leur voisin canadien. Ce qui signifie ne plus dépendre du Moyen Orient ou de l’Amérique latine. Les conséquences géostratégiques d’un tel bouleversement seraient monumentales.

Depuis les années 1930 et l’alliance entre Franklin Roosevelt et le roi Abdel Aziz Ibn Seoud, les Etats-Unis ont lié leur approvisionnement pétrolier au Royaume Saoudien et aux pays du Proche Orient, l’Iraq, le Koweit ou les Emirats Arabes Unis. Alliance assortie côté américain d’un engagement à assurer la stabilité de la région, sa sécurité et la libre circulation sur ses voies maritimes. La fin de cette dépendance rendrait l’imposant dispositif militaire américain déployé dans la région superflu. Avec d’énormes économies à la clé, à une heure où Washington cherche désespérément à faire justement des économies.

La fin de cette dépendance ne signifierait pas l’effondrement économique de la région. Dans les années à venir la perte du client américain devrait être plus que compensée par les importations accrues de la Chine, de l’Inde ou du Brésil. Ainsi que par une hausse soutenue de la demande du simple fait de la croissance démographique mondiale. Par contre il s’agira peut-être pour ces nouveaux pays de prendre le relais des Américains pour assurer la sécurité régionale.

Pour l’heure le boom pétrolier américain engendre un renouveau industriel aux Etats-Unis. Le Nord Dakota, qui recouvre d’importantes réserves de gaz de schiste va construire deux raffineries. Le Texas et la Louisiane des terminaux gaziers. Les bénéfices dépassent le secteur pétrolier. L’accès à une énergie bon marché incite de grands groupes à réinstaller leurs usines sur le sol américain. Quelques trois millions d’emplois manufacturiers pourraient revenir aux Etats-Unis d’ici 2020. Quelques cinq mille milliards de dollars d’investissements liés aux réserves pétrolières non conventionnelles sont projetés sur les vingt prochaines années.

Ces annonces ont créé aux Etats-Unis une excitation et une attente pas vues depuis des décennies. Le pays est gagné par la « fièvre du pétrole ». D’où quelques voix de Cassandre pour mettre en garde contre « l’illusion pétrolière » et ses conséquences environnementales. Pour l’heure elles sont noyées dans l’enthousiasme général. « Les règles du jeu ont changé » résumait un économiste sur NBC. Les Américains ont un atout majeur en main, ils vont l’exploiter.

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