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Une clé usb Google.
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Comment ça marche

Pour se conformer à une décision de la justice européenne, Google a lancé jeudi 29 mai un formulaire en ligne accessible aux Européens leur permettant de demander la suppression de résultats de recherche. Le moteur de recherche a enregistré 12 000 demandes dès le premier jour de mise en ligne de son formulaire de droit à l'oubli.

Gilles Babinet

Gilles Babinet

Gilles Babinet est entrepreneur, co-président du Conseil national du numérique et conseiller à l’Institut Montaigne sur les questions numériques. Son dernier ouvrage est « Refonder les politiques publiques avec le numérique » . 



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Atlantico : Le jeudi 29 mai 2014, Google lançait son formulaire de droit à l'oubli, de façon à ce que tout un chacun puisse supprimer les liens qu'il estime "inappropriés". Comment fonctionne-t-il, concrètement ?

Gilles Babinet : Il s’agit d’un formulaire que l’on remplit sur le site de google en indiquant la page que l’on souhaite voir retirer et pourquoi. Les demandes doivent être argumentées et le demandeur doit faire la preuve de son identité. Le formulaire est accessible (ici).

Les fonctionnalités proposées par le formulaire de droit à l'oubli n'étaient-elles pas déjà accessibles à la plupart des individus ? Dans quelle mesure est-il possible de disparaître du web, et avec quels moyens ?

Non, il n’y avait en soit pas de moyen de se faire réellement déréférencer de google. Google a largement combattu cette possibilité et seuls quelques cas exceptionnels comme le procès Max Mosley -un des patrons du monde de la formule 1 qui avait été photographié dans une partie fine déguisé en SS- ouvrirent cette possibilité. Et encore, dans ce cas, Google a fait appel. On attend toujours de savoir quel sera le jugement définitif. Dans un autre contexte, en Californie, la loi a défini que les adolescents peuvent dans le cadre d’un processus organisé, bénéficier du droit à l’oubli, ce qui me semble plus légitime que dans le cas de M. Mosley.

En réalité, jusqu’à présent, il n'était pas vraiment possible de disparaitre. Ceux qui pouvaient se le permettre se payaient les services très onéreux de sociétés qui allaient "couler" les liens compromettant en faisant en sorte que ceux ci ne s’affichent non plus en première page de google mais dans des pages secondaires, au sein desquelles il est beaucoup plus improbable que des gens iraient chercher.  Il n’était pas en revanche possible de supprimer purement et simplement une page web, sauf à s’entendre directement avec le propriétaire de celle-ci, ou comme indiqué précédemment dans en cas de gain de cause dans des procès en diffamation.

La nouvelle réglementation européenne me semble franchement inquiétante à ce titre. Elle fragilise également la liberté de la presse. Si les journaux sont déréférencés par des mauvais coucheurs qui estiment avoir été diffamés et qui s’en plaignent à google, qui se portera garant que google s’attachera à ne pas être sensible à des pressions, économiques ou politiques ? En réalité, le droit à l’oubli permet clairement à certains de ré-écrire l’histoire. Il existe certainement des cas qui peuvent nécessiter des retraits de façon autoritaire, mais laisser à un acteur privé -Google- le soin de décider de cela, c’est la porte ouverte à tous types d’abus.

Au-delà du fait qu'il n'est pas possible de disparaître purement et simplement de la toile, les données officiellement disparues sont-elles récupérables ? Qui les conserve, et dans quel but ?

Une page déréférencée par google ne disparait bien sûr pas. Elle devient juste invisible depuis le moteur de recherche google. Mais elle reste accessible via les réseaux sociaux par exemple ou en tapant directement son adresse "URL". Elle se trouve également dans tout un tas de serveurs "proxy" qui ont pour objet d’accélérer le fonctionnement de l’Internet. Enfin, si le sujet est polémique, il est certain que de nombreux blogs, dont certains anonymes, vont immédiatement dupliquer l’article en question, empêchant ainsi sa disparition pure et simple. Il n’en reste pas moins vrai que faire disparaitre de google un article écrit dans un grand quotidien diminue considérablement le nombre de lecteurs qui vont y accéder. Google pourrait également déréférencer un article par mots clés, ce qui serait certainement très efficace ; mais encore une fois, Google ne pourrait rien contre les réseaux sociaux.

Finalement, cette possibilité de censure qu'offrent à la fois les entreprises spécialisées et dorénavant le formulaire de droit à l'oubli ne représente-t-elle pas un certain danger pour la démocratie ?

Clairement, la démocratie, c’est avant tout la possibilité de s’exprimer librement et sans entraves. Si l’on fait une comparaison au monde de l’édition, il est tout à fait exceptionnel qu’un livre soit interdit de publication. Au cours des vingt dernières années, un ami me faisait observer que seul le livre du Dr Gubler, "Le Grand Secret",  qui traitait de la maladie de Mitterrand a été purement et simplement censuré avec retrait des libraires. Nous sommes en train d’assister à la création d'un droit qui restreint fondamentalement la liberté d’expression, au-delà de ce qui existe dans le monde physique, et donc le fonctionnement de la démocratie.

Quels sont les dangers de ce droit à l'oubli ? Peut-il permettre à des criminels comme les pédophiles qui agissent sur le web de se faire oublier ?

Le problème c'est que Google a 97% de parts de marché en France, et ce n'est pas à Google de décider ce qu'on voit ou ce qu'on ne voit pas sur Internet. Et je ferais plus confiance à la justice qu'à Google pour décider de ça. Je n'exclus pas la possibilité d'avoir des droits de retrait, mais objectivement ça va ressembler à une réécriture de l'Histoire. Tous les gens qui se sentent diffamer vont vouloir intervenir légitimement ou illégitimement, ce n'est absolument pas à Google de décider de ça. C'est un abandon de souveraineté important.

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