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Noël est-il bon pour l'économie ? Pourquoi la réponse à cette question détermine toute votre philosophie économique
©Reuters

Le Nettoyeur

Noël, c'est une poussée très forte de la consommation. Mais pour un non-keynésien, ce genre d'activité détruit de la richesse : comptablement, on a peut-être créé des emplois et de la croissance, mais pour produire des choses dont les gens ne veulent pas.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Mon beau sapin, roi des forêts...

Noël, c'est une fête religieuse, c'est aussi une période de célébration pour tous, mais c'est aussi... un gros événement économique. C'est à Noël que beaucoup de commerçants font la plupart de leur chiffre, à Noël nous achetons des cadeaux, mais aussi de quoi faire des repas, des décorations, nous partons en vacances... Bref, il y a toute une économie de Noël.

Ca pose la question : est-ce que Noël, comme événement économique, est bon pour l'économie, ou pas ?

Ce n'est pas juste une question rigolote à se poser pendant les fêtes, pour oublier un peu les drames de l'austérité et de la crise. C'est une question intéressante parce que c'est peut-être la question qui révèle le mieux la philosophie économique de celui qui y répond. Explications...

Pour schématiser brutalement, il y a deux visions de Noël : la vision keynésienne et la vision non-keynésienne.

Pour un keynésien, Noël est évidemment une bonne chose. Noël, c'est une poussée très forte de la consommation. Les gens dépensent leur argent. Ces dépenses créent de l'activité économique : tous ces jouets, il faut les fabriquer, les acheminer, les marketer, les distribuer... Tout ça crée de l'activité économique, et donc de la croissance et des emplois. Après tout, à un instant T, l'économie n'est que la somme des décisions individuelles de dépenses. Que du bon !

Ce genre d'idée, en général, fait s'arracher les cheveux aux non-keynésiens. Ils font remarquer plusieurs choses. Premièrement, même si on est optimiste, force est quand même d'admettre que la plupart des cadeaux qu'on reçoit à Noël sont des choses qu'on n'aurait pas acheté, voire qu'on ne veut pas. Il suffit de regarder les pics d'activités des eBay, PriceMinister et Leboncoin après Noël pour s'en convaincre. Pour un non-keynésien, ce genre de chose détruit de la richesse : comptablement, on a peut-être créé des emplois et de la croissance, mais pour créer des choses dont les gens ne veulent pas. Dans un monde à ressources limitées, on a utilisé de ces ressources pour faire de l'inutile au lieu de l'utile.

Frédéric Bastiat expliquait ça avec sa parabole de la fenêtre cassée, répondant à l'idée qu'une catastrophe naturelle peut être bonne pour l'économie parce qu'elle crée les emplois pour tout réparer. Si vous avez une fenêtre cassée chez vous et que vous la remplacez, certes, ça fera de l'activité pour le verrier qui la remplacera, mais l'argent que vous dépenserez pour la faire remplacer sera de l'argent que vous ne pourrez pas dépenser ailleurs - de l'argent qui aurait créé tout autant d'activité, mais pour vous procurer un bien ou un service qui vous satisferait plus que de réparer une fenêtre. Au niveau du foyer, on voit bien qu'une fenêtre cassée nous appauvrit, elle ne nous enrichit pas ; au niveau de la société, c'est pareil. Au final, comptablement, la fenêtre cassée “crée” de l'activité, mais la société est néanmoins appauvrie car les ressources utilisées pour réparer la fenêtre auraient pu être employées à quelque chose de plus productif.

Noël ressemble beaucoup à cette image de la fenêtre cassée : chaque cadeau qu'on offre qui n'est pas désiré par son récipiendaire est une “fenêtre cassée” ; les ressources déployées pour l'acheter (le fabriquer, le vendre, etc.) auraient mieux été déployées ailleurs, et donc nous sommes appauvris. De plus, rajoutera le non-keynésien, rien n'indique que Noël “crée” de la dépense qui n'existerait pas sinon : tout au long de l'année, les gens épargnent pour faire leurs dépenses de Noël. Les dépenses de Noël ne sont donc pas des nouvelles dépenses, mais simplement des dépenses futures ou passées qui ont été “reportées” à la saison de Noël. Chaque emploi créé à cause de Noël n'est en réalité qu'un emploi qui n'est pas été créé pendant le reste de l'année. Encore une fois, on voit que “comptablement” il y a un enrichissement, mais dans la réalité non.

Ces deux visions, diamétralement opposées, sont au cœur de la philosophie économique, car elles posent la question : qu'est-ce que l'activité économique ? Qu'est-ce qui fait fonctionner l'économie, à quoi sert-elle ?

On voit ici deux visions : une vision que j'appellerais “stakhanoviste” (celle de la plupart des keynésiens) et une vision que j'appellerais “créatrice” (celle de la plupart des non-keynésiens).

Pour le “stakhanoviste” le but de l'activité économique c'est l'activité elle-même. Au fond, peu importe ce que les gens produisent, tant qu'ils produisent assez pour qu'il y ait des emplois. L'objectif de la consommation, c'est de faire “tourner la machine”. Si la machine ne tourne pas assez, il faut “remettre de l'essence”, faire dépenser les gens, et tant pis si on a des effets “fenêtres cassées” au passage, tant que tout le monde travaille. Noël est une bonne chose.

Pour le “créateur” le but de l'activité économique c'est de créer des choses utiles. Les gens collaborent entre eux pour créer des biens et des services qui améliorent la vie des gens. Le marché n'est en réalité qu'un gigantesque système de transmission d'information et de coopération qui permet à la société, collectivement, de satisfaire ses besoins, dans un dialogue entre producteurs et consommateurs. La pire chose à faire est de gripper ce mécanisme - de créer des “fenêtres cassées” - parce qu'à chaque fenêtre cassée on détruit des ressources réelles et limitées qui auraient pu être utilisées pour satisfaire des vrais besoins. Noël est mauvais.

Pendant la Grande dépression, Keynes avait recommandé (sous forme de boutade) que les Etats recrutent tous les chômeurs pour leur faire creuser des trous dans le sol et puis les boucher. On arriverait ainsi au plein emploi. Pour un non-keynésien, autant s'immoler par le feu : il lui semble évident que si on emploie tous ces gens à boucher des trous on les empêche d'avoir des emplois plus productifs et créateurs, et donc on appauvrit la société.

Alors, qui a raison ? Est-ce que Noël est bon ou mauvais ?

Si je pouvais vous le dire avec certitude, je serais en train de rédiger mon discours d'acceptation du Prix Nobel d'économie...

Mais voici mon intuition : sur le court terme, les keynésiens ont raison. Effectivement, d'une année sur l'autre, l'économie n'est que la somme de la dépense de tout le monde, et si on crée plus de dépenses, on crée plus d'activité et de prospérité. C'est mathématique. Mais sur le long terme, les keynésiens ont tort : ce qui fait qu'aujourd'hui nous nous déplaçons en voiture et pas à cheval ce n'est pas que les gens se sont mis à consommer plus au début du XXe siècle ; c'est qu'on a inventé la voiture. C'est ce mécanisme créatif qui fait la valeur de l'économie de marché. Ce qui fait la valeur de l'économie de marché ce n'est pas qu'elle peut (peut-être...) vous permettre d'avoir deux chevaux au lieu d'un ; c'est qu'elle va remplacer votre cheval par une voiture.

Keynes, plus que ses disciples, le comprenait d'ailleurs parfaitement. Il savait parfaitement que, sur le long terme, employer des gens à boucher des trous est une mauvaise idée. Mais, “sur le long terme nous sommes tous morts”. Ca ne veut pas dire qu'il ne faut pas se préoccuper du long terme. Ca veut simplement dire que le mécanisme créatif qu'il connaissait parfaitement ne fonctionne pas non plus si on a du chômage de masse, et que résorber le chômage de masse vaut bien une fenêtre cassée ou deux. Et en cela, il avait certainement bien raison.

Alors, Noël ? Bon ou pas bon ?

Peut être que la meilleure réponse n'est pas tant économique que culturelle. On l'a vu, l'économie fonctionne par ce mécanisme mystérieux de coordination entre des millions de gens. Or, ce système ne fonctionne pas seulement pour des raisons économiques. Pour qu'une économie de marché fonctionne, il faut un minimum de substrat culturel ; il faut pouvoir coopérer avec les gens sans avoir peur en permanence qu'ils vous arnaquent ; il faut avoir une assurance raisonnable que les contrats seront honorés (s'il fallait un procès pour faire appliquer chaque contrat, on retournerait illico à l'âge de pierre).

Peut-être qu'une grande célébration collective, où nous retournons auprès de nos familles, où nous apprenons à nous apprécier les uns les autres, à nous faire des cadeaux, et peut-être même à penser aux moins fortunés, renforce chez nous cette capacité de coopérer qui sous-tend l'économie de marché.

Si c'est le cas, Noël est encore meilleur pour l'économie que ne le soupçonnent les keynésiens...

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