Les Trois Mousquetaires de la droite : "Ethos", "Logos" et "Pathos" (saurez-vous reconnaître Fillon, Juppé, Sarkozy ?)<!-- --> | Atlantico.fr
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François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé en 2010.
François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé en 2010.
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Totem et tabou

Le positionnement rhétorique des trois grands prétendants de l'UMP à la présidentielle de 2017 – François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy – marque leurs différences de caractère.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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La cause est entendue : puisque, selon la formule consacrée, « l’élection présidentielle est la rencontre entre un homme et un peuple », il faut qu’une majorité de ce peuple adhère à cet homme.

C’est tout l’enjeu de la rhétorique politique qui doit légitimer le « je » de l’orateur par le « nous » du groupe. Tout combat politique, à fortiori dans un scrutin comme l’élection présidentielle française, est donc un affrontement de personnalités, c’est-à-dire de caractère et de valeurs, ce que l’on nomme depuis Aristote, l’éthos (qui est autre chose que l’égo!)

Pour convaincre le peuple de la qualité de son éthos, le candidat pourra évoquer directement  son caractère et ses valeurs et/ou passer par les deux autres registres du discours pour rajouter couleurs et nuances à la palette de sa personnalité : celui des émotions et de l’affect (pathos) et celui de la raison (logos). Le choix de la stratégie rhétorique à mettre en place dépend donc de l’image initiale de l’orateur dans l’opinion.

Ce petit rappel permet de comprendre et d‘évaluer le positionnement rhétorique des trois grands impétrants de la droite aux prochaines présidentielles, Sarkozy, Fillon ou Juppé

Nicolas, Ethos, of course !

Des trois, Nicolas Sarkozy présente l’éthos le plus contrasté (« clivant » comme on dit) et donc le plus contesté : d’un côté énergique, compétent, charismatique ; de l’autre, égocentrique, transgressif, voire « hors-la-loi ». Il est donc logique que c’est sur ce terrain de l’éthos qu’il se positionne d’emblée. Lui reprocher « de parler de lui et non des Français » est donc un contre-sens : tout dépend comment il s’y prend. Car il doit relever deux défis cruciaux : d’abord le soupçon d’un « égo surdimensionné » qui « veut prendre sa revanche ». Après quelques maladresses télévisuelles, la réponse de Nicolas Sarkozy est désormais adéquate: choix de la formule questions/réponses qui met le chef au niveau du groupe ; message final collectif (« il faudra compter avec nous !»). Deuxième défi, pire encore : quid des « affaires » ?  La réponse est plus difficile : le positionnement victimaire (« l’acharnement judiciaire»), le recours systématique à la question rhétorique (« si j’avais quelque chose à me reprocher, aurais-je fait mon retour » ?) sont des ressources utiles pour parler aux convaincus (les militants) ; mais pour les Français, c’est autre chose : il faut recourir au logos, c’est-à-dire à la raison et aux faits avérés. Or Nicolas Sarkozy n’est pas maître de la réponse qui dépend des juges. C’est bien pourquoi son sort politique est sous la menace de cette épée de Damoclès. Et c’est sans doute aussi pourquoi il joue sur un scénario bref avec des échéances anticipées : a-t-il totalement tort ?

François, Logos comme toujours !

François Fillon a lui clairement opté pour le logos. C’est le sens même de sa devise : « je ne crois pas aux sauveurs, je crois aux idées ». D’où son travail de fond en matière de propositions concrètes. De quoi conforter l’image d’un homme compétent et expérimenté ; de quoi également, pour l’amateur de course automobile, être en « pole position » au moment décisif ; de quoi accessoirement tacler ceux qui parlent d’abord d’eux-mêmes (devinez qui ?). Dans cet esprit, un zest d’éthos sur « la politique honnête » ne peut pas nuire ! Un choix donc pertinent mais incomplet : car demeure des doutes dans l’opinion et particulièrement à l’UMP, sur l’éthos d’un homme traité de « collaborateur », éternel brillant second (de Seguin à Sarkozy). Il est donc urgent pour François Fillon de profiler un éthos plus visible et un vrai leadership: sans pour autant agresser celui dont il fut le premier ministre, car cela serait pris comme un signe d’inconséquence…

Alain ou le Pathos inattendu

C’est ce qu’a compris Alain Juppé, qui après avoir savonné la planche de Nicolas Sarkozy, refuse aujourd’hui le jeu (de massacre) des médias. « Pas de pierre dans le jardin de Sarkozy » est devenue sa devise, bienvenue à l’égard des militants UMP; et qui pour l’ensemble de l’opinion connote une qualité très appréciée : le fair play. D’où la très habile défense du « bilan Sarkozy » face à Jean-Marie le Guen dans « Des paroles et des actes ». Quand on est Federer, il faut dire du bien de Nadal, et réciproquement…Avec, en sus, une magistrale leçon d’argumentation donnée à l’un des meilleurs rhéteurs du PS, pris en flagrant délit de contradiction par le normalien Juppé…

Toutefois son éthos pose encore quelques (sérieux) problèmes : d’abord son image technocratique. Donc trop loin du peuple. Donc trop peu représentatif. C’est autour de cet enjeu qu’a entièrement tourné l’intervention de la jeune militante des « quartiers ». Dans un des meilleurs moments de l’émission, Alain Juppé a su déjouer le piège à force d’ironie, d’exemples bordelais concrets et d’hommages à des collaborateurs aux noms « venus d’ailleurs ».

Mais encore plus dangereux pour son éthos, l’accusation d’une ancienne première dame, très populaire et qui, en fine politique, a tapé là où ça fait mal : « Juppé est froid ! ». Or l’on n’aime guère les monstres froids dans les chaumières et l’on veut s’assurer chez le chef d’une qualité essentielle : l’empathie. N’’est ce pas ce qui a fait gagner Chirac en 1995 (« la fracture sociale ») ? N’est-ce pas cela même qui a propulsé Ségolène Royal au 2e tour en 2007 ? Autrement dit, Bernadette Chirac a mis sur la table une couleur majeure comme on dit au bridge : le pathos.

Et c’est sans doute là qu’Alain Juppé, en acceptant le registre, a gagné sa soirée et littéralement « renversé » l’opinion : d’abord en se disant « touché » par la critique de Madame Chirac : quelle meilleure preuve de sa sensibilité ? Ensuite par son émotion en fin d’émission devant les beaux scores de sa prestation. Juppé n’est donc pas froid : CQFD !

Dans la lutte des éthos de ces trois experts en rhétorique, le combat ne fait que commencer : Alain Juppé vient de prendre une petite longueur d’avance sur Nicolas Sarkozy et François Fillon est distancé. Mais la situation peut se renverser à tout moment : une marque d’arrogance chez le premier ; un accent de rancœur chez le second ; et inversement, une marque forte de leadership chez le troisième, et les cartes seront rebattues.

A moins que ne survienne, comme dans l’histoire de Dumas, un quatrième mousquetaire ?

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