Les mots de l’horreur : après le basculement dans la violence totale, le grand changement rhétorique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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On le voit : la "guerre des mots" est loin d’être gagnée ; pourtant, il le faudra bien, si l’on veut que la guerre tout court le soit.
On le voit : la "guerre des mots" est loin d’être gagnée ; pourtant, il le faudra bien, si l’on veut que la guerre tout court le soit.
©laser

Rhétorico-laser

Si l’horreur des attentats du 13 novembre a dissipé bien des réticences et des résistances de la correction politique, la guerre des mots n’est pas encore gagnée !

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Comme l’a très justement rappelé Dominique de Villepin, "nous sommes dans une période où les mots doivent avoir du sens"... Quel dommage qu’il ne se soit pas d’abord appliqué le conseil à lui-même ! Toujours soucieux de faire entendre sa différence, l’ancien Premier ministre a été l’un des rares responsables politiques (nous ne parlerons pas des irresponsables d’extrême gauche et d’ultra-droite) à détonner dans les réactions aux attentats par son refus d’adhérer au consensus sur l’état de "guerre". Car "une guerre", dit-il, "c’est deux Etats qui se confrontent". Faut-il donc à l’ancien diplomate qu’un ambassadeur vienne, en jaquette et gants blancs, remettre au Quai d’Orsay une déclaration en bonne et due forme ? A ce compte, il n’y aurait eu ni guerre d’Algérie, ni guerre de Bosnie… ni, aujourd’hui, guerre de Syrie !

Consensus donc sur la guerre, à commencer par le président de la République, qui longtemps après son Premier ministre, s’y est enfin résolu : et sur l’ennemi lui-même,que là encore, François Hollande a fini par qualifier : le "terrorisme djihadiste". Et, contrairement à son attentisme habituel, avant même la revendication de Daesh.

Mais voilà, comme il arrive souvent, l’on passe vite d’un extrême à l’autre : l’on entend désormais que ce sera une "guerre longue", de "20 ans", "d’une génération"… Guerre difficile, guerre mondialisée, guerre à fronts multiples, et notamment intérieur, sans aucun doute. Mais enfin il n’aura fallu que 5 ans et demi pour vaincre Hitler qui disposait tout de même d’autres forces que celles de "l’Etat islamique" et d’une volonté destructrice plutôt féroce… Tout dépend de la volonté et de la taille de la coalition adverse. Or "L’Etat islamique" dans sa spirale mortifère ne fait-il pas exactement comme Hitler ? C’est-à-dire tout ce qu’il faut pour s’aliéner tout le monde.

Consensus aussi sur la nécessaire "union nationale" mais déjà avec quelques doutes et soupçons. Et les nouveaux gardiens de l’union sacrée de critiquer les leaders des Républicains qui demandent des "inflexions" sérieuses dans notre politique étrangère et intérieure. Or depuis quand l’union nationale signifie-t-elle la fin du débat démocratique ? En quoi faire des propositions concrètes pour parvenir au but commun serait-il illégitime ? Se souvient-on que les débats au sein de "l’union sacrée" de 14-18, précisément sur la conduite de la guerre, furent des plus vifs ? Mais il faudra être vigilant sur les postures, les petits et grands calculs électoraux, à droite comme à gauche.

Et puis, demeurent les vieux réflexes qui ont décidément la vie dure. De façon encore discrète (mais pour combien de temps ?) l’épouvantail de "l’islamophobie" et la "stigmatisation" refait surface.

Quand s’avisera-t-on que l’expression de "phobie", appliquée à une doctrine, est un non-sens : parle-t-on de "marxophobie", de "libéralophobie" ? Pourquoi pas alors, comme le revendique une Christine Boutin, de "christianophobie" ? L’hostilité à une croyance, "même religieuse" comme le dit la Déclaration des droits de l’homme, est, en démocratie, parfaitement légitime. Tout autre chose est l’agression contre les adeptes de cette doctrine : distinction sans laquelle il n’est pas de liberté.

Sur le fond, quand entendrons-nous enfin les analyses de tant de Musulmanset de tant de spécialistes de l’Islam qui attestent bel et bien la présence en son sein de ce radicalisme violent? Evidemment pas comme sa nature profondemais comme l’une de ses possibilités historiquement bien documentée, dont les racines remontent au moins au XIIIème siècle et à Ibn Taymiyya, la référence phare du djihadisme. Et surtout un radicalisme qui gagne du terrain, y compris en Europe, depuis 30ans. Quand comprendra-t-on aussi que l’« islamophobie » est un paravent derrière lequel ces mêmes radicaux se cachent pour interdire toute critique à leur endroit et souderl’ Oumma derrière eux  ? Quand aidera-t-on donc la très grande majorité des Musulmans à se libérer du chantage, des pressions et des amalgames que leur imposent, non la République Française, mais les Islamistes eux-mêmes, leurs commanditaires et leurs séides stipendiés ?Pour cela, il faut bel et bien "stigmatiser" les Islamistes radicaux !

Car c’est en définitive toujours la liberté, la liberté de tous, qui est visée, d’attentat en attentat : liberté d’expression, de confession, d’interprétation, de fréquentation, liberté tout simplement de « vivre sa propre vie, parce qu’elle est la sienne », comme disait John Stuart Mill. Sans doute les cibles changent, les modes opératoires diffèrent, la violence s’emballe et se démultiplie : mais, contrairement là aussi à ce que l’on entend, la violence du 13 novembre est certes totale mais non "aveugle", pas plus que ce déchaînement d’atrocités n’est "incompréhensible". Comme l’avait bien vu Hannah Arendt, ce totalitarisme, hanté comme ceux qui l’ont précédé par le fantasme de la "pureté" absolue, vise à détruire la "pluralité humaine". Exterminateurs parce que purificateurs. Il suffit de lire la prose de Daesh contre nos "perversions". Tout comme les destructions de Palmyre, l’arabo-romaine, ou auparavant, celles des bouddhas de Bamyan, antéislamiques et trop hellénisés, c’est encore et toujours le même rejet viscéral et haineux du mélange, de la rencontre des êtres et de la synthèse des cultures. D’où le stade de France, au public et aux joueurs de toutes origines communiant dans le même jeu; d’où les Xème et XIème arrondissements, cœur vivant du melting pot parisien. Et non pas, svp, du "multiculturalisme" (qui lui aussi repointe son nez !),concept trop ambigu où, dans le meilleur des cas, le couscous cohabite pacifiquement avec la choucroute ; et où, dans le pire, chacun se voit assigné à et consigné dans sa "communauté  d’origine". Paris est tout simplement, et glorieusement, cosmopolite !

On le voit : la "guerre des mots" est loin d’être gagnée ; pourtant, il le faudra bien, si l’on veut que la guerre tout court le soit.

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