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Le paradoxe au cœur de la vision de gauche sur l'immigration
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Le Nettoyeur

Accueillir plus d'immigrés impliquerait de faire disparaître l'Etat-providence, ce qui pose problème à la gauche, puisque c'est la gauche qui est partisane de protections sociales importantes et que c'est aussi la gauche qui est partisane d'une immigration importante.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Dans le schéma politique français et de celui de la plupart des démocraties riches modernes, c'est la gauche qui est le bord qui favorise le plus d'immigration et la droite qui favorise le moins.

Un argument souvent abordé par la droite est qu'un pays riche ne peut pas “accueillir toute la misère du monde.” L'idée est qu'un pays riche, précisément parce qu'il est riche, s'il ouvrait ses frontières, attirerait tellement d'immigrés qu'il en perdrait sa richesse. Et d'ailleurs, rajoutent parfois les opposants à l'immigration, tous les pays contrôlent leurs flux migratoires. Non, il n'est pas possible d'accueillir toute la misère du monde.

Ah bon ? Est-ce impossible ?

De fait, on constate, dans l'histoire, qu'il y a eu un pays qui a accueilli la misère du monde : ce pays c'est les Etats-Unis. Pendant la majeure partie du 19ème siècle, les Etats-Unis avaient une politique de frontières complètement ouvertes. N'importe qui pouvait venir. Il y a eu une ou deux lois visant à restreindre l'immigration via des quotas géographiques (qui étaient en réalité des quotas raciaux déguisés), mais ces quotas étaient limités et les lois étaient d'ailleurs presque pas appliquées car pas applicables pour un pays avec des frontières gigantesques et une technologie du 19ème siècle. Même avec les quotas, jusqu'au début du 20ème siècle, malgré les exceptions, la règle générale restait celle de l'ouverture des frontières.

Force est de constater que cette ouverture des frontières a fait la force des Etats-Unis et la vitalité de son économie. Ces millions d'immigrés, dans une nation à l'époque peu peuplée, ont été un “dopant” pour l'économie américaine, qui a eu des performances économiques nettement supérieures à celles de l'Europe dès la fin du 19ème siècle.

Force est également de constater que cette ouverture des frontières n'a pas empêché l'intégration. On parle d'un “modèle communautariste” américain, à l'opposé du supposé “modèle intégrationniste” français, mais c'est oublier que, premièrement, la rhétorique politique de l'époque était clairement intégrationniste et que, deuxièmement, ce “modèle” était moins un modèle consciemment adopté que le résultat d'une véritable déferlante. Sur le court terme, d'un point de vue d'intégration, ça faisait peur à voir : les Chinatown et Little Italy et Little Odessa dans chaque ville, où l'on ne parle pas anglais, avec les drapeaux des pays d'origine aux fenêtres et pas les drapeaux américains. Des films comme Le Parrain 2 et Gangs of New York montrent bien comment ce communautarisme, combiné à la quasi inexistence des services publics, a fait le terreau de la criminalité organisée.

Et pourtant... Et pourtant, plusieurs décennies après, que constate-t-on ? Tous ces groupes d'immigrés sont aujourd'hui parfaitement intégrés à la société américaine. Les italo-américains, sino-américains, judéo-américains, irlandais américains, etc. sont parfaitement intégrés, économiquement, socialement, culturellement, linguistiquement. “Little Italy” est aujourd'hui une attraction touristique où on sert des pizzas et pas un ghetto criminalisé.

Est-ce à dire qu'il faut tout de suite ouvrir les frontières de l'Europe aux immigrés de tout bord ?

Pas nécessairement. Car il est facile de se rendre compte que l'Amérique du 19ème siècle n'est pas l'Europe du 21ème siècle.

Il y a notamment une différence, une différence de taille, et une différence qui est un paradoxe pour la gauche.

En effet, la raison principale pour laquelle les Etats-Unis pouvaient “se permettre” d'accueillir “toute la misère du monde” était... leur absence d'Etat-providence.

De nombreux travaux économiques suggèrent fortement que l'immigration est positive pour l'économie dans la mesure où les immigrés sont des compléments aux travailleurs locaux et pas des concurrents.

Mais ce n'est pas être lepéniste de remarquer l'idée évidente que si demain la France (ou la Grande-Bretagne ou l'Italie ou l'Allemagne...ou les Etats-Unis) décide d'accueillir des millions de migrants des nations les plus pauvres du monde, le stress sur le système social sera énorme. Le problème n'est pas d'un coût économique ou “d'intégration”, mais d'un coût fiscal.

Comprenez-moi bien : je ne dis pas qu'”il ne faut pas accueillir la misère du monde” ou que les immigrés sont tous des assistés. Simplement que si on a un système qui dit d'un côté que les pauvres ont droit à beaucoup de prestations sociales (parfaitement défendable moralement et économiquement) et de l'autre que tous les pauvres du monde peuvent s'établir dans ce système (tout aussi défendable moralement et économiquement), le coût fiscal sera nécessairement très élevé.

La différence, c'est l'Etat-providence. Et, comme le faisait remarquer Milton Friedman, ça pose un problème idéologique sérieux à la gauche. Puisque c'est la gauche qui est partisane de protections sociales importantes et que c'est aussi la gauche qui est partisane d'une immigration importante. Mais ces deux objectifs sont en tension l'un avec l'autre.

On se retrouve avec le paradoxe suivant : si le principe de votre engagement est l'humanitarisme et que vous considérez que la politique publique d'un Etat doit être d'abord orientée vers le fait d'aider le plus possible ceux qui sont les plus pauvres, vous devrez être partisan de la destruction de l'Etat-providence et de l'ouverture des frontières qu'elle permet. Un somalien sera infiniment mieux dans une France sans Etat-providence que dans une Somalie où de toute manière il n'y en a pas. Et un bénéficiaire français du RSA est un grand privilégié par rapport à un somalien lambda. Et vouloir augmenter le RSA (ou toute autre protection sociale) et ainsi réduire l'immigration que le pays peut supporter, c'est dans un sens très concret victimiser les populations les plus pauvres de la planète au profit de populations qui sont pauvres par rapport à leur pays mais très riches par rapport au reste du monde.

C'est un paradoxe dont la gauche avait conscience, à une certaine époque, car les classes ouvrières, qui sont les plus exposées à la concurrence d'immigrés, tout en étant de gauche, étaient opposées à l'immigration. Mais depuis deux décennies, la gauche française s'est coupée de la classe ouvrière, reposant sur une coalition, pour résumer, de petits fonctionnaires qui n'ont rien à perdre de l'immigration puisque leur statut est protégé et de bobos qui ont a gagner de l'immigration, puisqu'ils sont grands consommateurs de services à la personne dont les prix baissent du fait de l'immigration. Et, évidemment, la gauche cherche à recevoir les voix de l'électorat issu de l'immigration.

Si le paradoxe “politique” est affaibli, le paradoxe intellectuel reste entier. La fidélité aux valeurs de la gauche, la vraie, c'est peut être de vouloir la fin de l'Etat-providence...

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