Le corridor entre l’Inde et l’Europe que veut lancer Delhi sera-t-il un concurrent sérieux aux routes de la soie chinoises ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le Premier ministre indien Narendra Modi en marge du sommet du G20 à New Delhi, le 10 septembre 2023.
Emmanuel Macron et le Premier ministre indien Narendra Modi en marge du sommet du G20 à New Delhi, le 10 septembre 2023.
© Ludovic MARIN / AFP

Géopolitico-Scanner

Annoncé lors du G20, un corridor économique entre l'Inde, le Moyen-Orient et l'Europe va être instauré.

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine est directeur de recherche émérite au CNRS (CESAH-EHESS) et chercheur senior au think tank Asia Centre.

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Atlantico : En marge du G20, l’Inde a annoncé la création d’un nouveau corridor économique Inde-Moyen Orient-Europe. C’est un projet pour concurrencer ce que l’on appelle « les routes chinoises de la soie » ?

Jean-Luc Racine : Il faut d’abord rappeler que l’Inde l’a annoncé parce qu’elle était la présidente du G20. Le projet a été présenté et signé par plusieurs pays : l’Inde, les Etats-Unis, l’Union Européenne, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, Israël, la France, l’Italie et l’Allemagne. Sur le fond, il s’agit de faciliter aussi bien les transports maritimes que terrestres. 

S’agissant de concurrencer les routes de la soie, la question est inévitable. Mais l’ambition manifestée par Xi Jinping en 2013 quand il a lancé les routes de la soie (Bel and Road Initiative) et l’effort fait par la Chine depuis 10 ans est d’une ampleur beaucoup plus large. Ça touche des continents entiers. Ce projet va concurrencer les routes chinoises de la soie et un autre projet qui se concrétise difficilement : le corridor Nord-Sud qui est sensé relier l’Inde via l’Iran et le Caucase jusqu’à la Russie puis l’Europe. 

C’est la guerre en Ukraine et la coupure des Occidentaux avec la Russie qui a relancé ce projet ? 

Ça a joué bien entendu parce que l’Inde a pris une position de relative neutralité et n’applique pas les sanctions vis-à-vis de la Russie. D’autres facteurs jouent. Il y a par exemple l’amélioration notable des relations entre l’Inde, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Le premier ministre Narendra Modi a multiplié les visites au fil de ces dernières années. Il y a également un rapprochement très important avec les Etats-Unis. Narendra Modi a aussi tissé des relations avec les européens. Il a été invité en France par le Président Macron et après la réunion des BRICS en Afrique du Sud, Narendra Modi est allé faire un voyage en Grèce. 

Le point d’interrogation dans ce projet, ce sont les relations entre Israël et l’Arabie Saoudite. Si les relations sont normalisées entre Israël et les Emirats, le processus n’est pas encore achevé avec Ryad. Si le corridor prend véritablement forme, il y aura des centaines de km de voies ferrées à construire pour relier le golfe arabo persique à Haifa en Israël. 

Ce qui a fait jaser les commentateurs chinois, c’est l’argent. Comment sera financé ce projet ? D’autres interrogations sont posées. C’est très bien de faire un corridor économique et d’échanges mais cela suppose derrière des flots de marchandises et donc des bases industrielles et de nouvelles chaînes de valeurs. Quand on sait qu’elles ont été un problème particulier à la fois après le covid et après les questions ukrainiennes… En outre, il est intéressant de regarder qui contrôle les ports par lesquels vont transiter les marchandises. Haifa ainsi que deux ports indiens sont contrôlés par le magnat indien Gautam Adani, proche de Narendra Modi. D’autres ports comme le Pirée en Grèce est piloté par une compagnie d’Etat chinoise.

Derrière ce projet de connectivité économique, il y a une volonté géopolitique. Certains observateurs notent qu’à l’heure où les Emirats Arabes Unis et surtout l’Arabie Saoudite semblent prendre un peu de marge de manœuvre vis-à-vis de Washington, le fait que les Etats-Unis se retrouvent comme cosignataire, presque co-président, montre que les américains n’ont pas l‘intention d’abandonner les pays arabes qui négocient un peu plus qu’avant avec Pékin en particulier

Ce projet est fortement soutenu par les Etats-Unis, quel est leur intérêt ? 

Ce qui est important pour Washington, ce sont les avancées chinoises en Arabie Saoudite. Pas seulement économique. Les américains ne voient pas d’un très bon œil le principal producteur de pétrole et les Emirats Arabes Unis, qui disposent de capitaux monumentaux, s’engager dans des relations plus suivies ou plus intenses avec la Chine. Ce projet permet donc à Washington de rappeler qu’ils n’abandonnent pas le Moyen-Orient comme on le lit parfois dans certains commentaires 

L’Inde est pourtant partenaire de la Chine au sein des BRICS. Les deux nations sont rivales ?

Elles ne sont pas alliées car l’Inde n’a signé aucun traité d’alliance. Il y a certes les BRICS. Mais lors du dernier sommet, nous ne sommes pas tout à fait sûr que l’Inde ait été enchantée de la stratégie chinoise d’élargir les BRICS plutôt que de les approfondir.

En raison de l’importance du corridor sino-pakistanais dans les routes de la soie, un corridor qui passe par le nord du cachemire (géré par le Pakistan mais toujours revendiqué par New Delhi) ; l’Inde ne fait pas partie des routes de la soie. Et l’Inde a toujours boycotté les forums de route de la soie. Son discours consiste à dire : on ne peut pas faire de la connectivité en ne respectant pas les intérêts stratégiques des partenaires et ses droits territoriaux. Les droits territoriaux sur le nord du Cachemire sont en débat. 

En revanche, l’Inde a rejoint la Chine et la Russie dans l’organisation de coopération de Shangaï en même temps que le Pakistan en 2017. Donc, elle a de fait une diplomatie tous azimuts. Mais les relations avec la Chine sont très difficiles, surtout depuis le très sérieux accrochage qui a opposé les deux pays dans l’Himalaya en 2020.

L’Inde, c’est une puissance émergente ou émergée ? 

Je pense que c’est une puissance émergente. Depuis deux ou trois ans, elle a dépassé en PIB la France et la Grande-Bretagne alors que les trois pays ont été jusqu’en 2019/2020 dans un mouchoir de poche. L’Inde est bien la 5e puissance économique mondiale aujourd'hui. Mais quand on prend un autre critère qui est l’indice de développement humain, alors là l’Inde est au 132e rang. New Delhi a un nouvel objectif. l’Inde veut devenir une véritable puissance pour son centenaire, c’est-à-dire en 2047.

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