La permaculture, un modèle généralisable ? Voilà pourquoi il s’agit d’une illusion <!-- --> | Atlantico.fr
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Un cultivateur biologique qui utilise la technique de la permaculture en Haute-Savoie.
Un cultivateur biologique qui utilise la technique de la permaculture en Haute-Savoie.
©AFP / AMELIE-BENOIST / BSIP

Atlantico Green

La permaculture captive les foules et s’impose de plus en plus comme l’image de l’agriculture de demain. La permaculture tente de recréer un écosystème à part entière dans lequel intégrer de manière harmonieuse les éléments que l’on souhaite cultiver.

Terre à Terre

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Le compte Twitter de Terre à Terre est géré par un enseignant agrégé de Sciences de la Vie et de la Terre.

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Il est tentant, en matière d’écologie, de succomber aux sirènes des solutions parfaites. Et pour l’agriculture, celle-ci est tout trouvée : La permaculture. Qui ne rêverait pas d’une agriculture sans machines, sans pesticides, sans impacts environnementaux, mais néanmoins capable de fournir des rendements similaires à ce qu’on produit actuellement ?

Pleines de promesses apparentes, et tirée par le très médiatique exemple de la Ferme du Bec Hellouin en Normandie, la permaculture captive les foules, et s’impose de plus en plus comme l’image de l’agriculture de demain. Si bien que pour bon nombre de nos concitoyens et de nos politiques, la solution est évidente : il faut généraliser la permaculture, en troquant nos vieilles pratiques agro-intensives désuètes par ce modèle, apparent parfait. C’est le cas par exemple du député Louis Boyard en décembre dernier qui encensait la permaculture au micro de LCP et n’hésita pas à affirmer qu’elle devait remplacer le modèle actuel.

Mais malheureusement, en matière d’écologie, point de solutions parfaites. Que des compromis.

Surtout en matière d’agriculture, où il faut constamment jongler entre les impératifs du secteur (nourrir l’humanité, rien que ça) et les impacts potentiels.

Et dans ce contexte exigeant, il s’agit de ne pas se perdre dans des fausses pistes et de garder les pieds sur terre : car non, la permaculture n’est pas généralisable.

1- La permaculture, qu’est-ce que c’est ? 

Bonne question.

D’après Wikipedia, c’est « à la fois une science et un art de concevoir des écosystèmes régénératifs en s’inspirant du fonctionnement du vivant ». Elle « rassemble à la fois une éthique, un ensemble de principes, ainsi que des outils méthodologiques permettant de concevoir tous types de systèmes ».

Pas très clair tout ça. Et ne nous y trompons pas, sur internet, toutes les définitions de la permaculture sont dans cette veine : très vague, et un peu fourre-tout.

Il y est généralement précisé qu’il y a cette volonté de préserver la Nature (avec un grand « N »). Il est question également de « créer de l’abondance », marchant ainsi sur les plates-bandes de l’agriculture intensive.

Mais concrètement, comment on fait ? La façon d’y arriver n’est pas du tout limpide.

Dans le concept de permaculture, on trouve surtout bon nombre d’aspects éthiques et philosophiques, avec les notions de « partage », de « redistribution », d’ « harmonie », de « communication non violente », etc.

Quitte à glisser dans le mystique, avec parfois l’utilisation d’un vocabulaire faisant penser à certaines pratiques New Age : « énergie », « équilibre »… 

Alors pourquoi pas, chacun croit en ce qu’il veut. En revanche, pour prétendre que le système est généralisable et qu’il doit remplacer le système intensif actuel, là il en faudrait un peu plus. Un cahier des charges un peu plus précis qui nous permette de l’évaluer de façon formelle. Et comme il n’y en a pas vraiment dans le cas général, intéressons-nous à un cas particulier. Et pas n’importe lequel : la Ferme du bec Hellouin.

Car cette ferme permaculturelle normande est (très) souvent érigée en modèle par certains écologistes.

Concrètement, voici les particularités agronomiques de cette ferme :

-Des abords soignés, afin de créer un environnement adéquat. Par exemple, des étangs sont présents à proximité des parcelles pour créer un microclimat. Les arbres sont omniprésents afin de faire un obstacle au vent, et de limiter la sécheresse et les trop grandes chaleurs. Il y a présence d’espaces réservés pour les espèces auxiliaires (les espèces animales bénéfiques aux cultures). 

-La constitution de sols « artificiels » de grande fertilité grâce à l’utilisation de matières organiques importées : Création de « buttes » et de « couches chaudes » grâce à de grandes quantités de fumier que l’on place dans des andains, ce qui dégage de la chaleur.  

-Une forte diversité végétale dans les parcelles cultivées, avec l’association de cultures pour optimiser l’espace dans sa verticalité, et donc l’énergie solaire utilisée. On a également utilisation de « Cultures relais » : une nouvelle culture est installée avant même que la précédente ne soit récoltée, afin qu’il y ait toujours des plantes en train de pousser. Outre l’optimisation de l’énergie solaire captée, ces associations permettent aussi une meilleure résilience vis-à-vis des ravageurs et des mauvaises herbes.  

-Une absence de traitements chimiques et de mécanisation : Tout est fait à la « main » ou avec des outils plus ou moins rudimentaires. Ainsi, la faune et la structure du sol sont préservés grâce à l’absence de pesticides et de travail du sol. Et de plus, on économise l’énergie car il n’y a pas d’utilisation de carburant ni d’utilisation de produits issus de l’industrie chimique. 

Et en termes de rendements surfaciques, ils sont plutôt bons, car on est à peu près sur les mêmes standards que du bio classique. Et sans pesticides ni mécanisation, il faut admettre que c’est quand même une grosse performance. (source)  

Au vu de la popularité de la ferme, l’INRA s’est penché dessus et a produit un rapport en 2015, disponible à cette adresse

En s’appuyant sur cette étude, et sur ses conclusions enthousiastes, bon nombre de gens ont décrété que le modèle du Bec Hellouin était viable, donc généralisable. 

Mais comme nous allons le voir, ce n’est pas aussi simple.

2- Que dit la fameuse étude de l’INRA sur ce modèle ? 

Résumons un peu la démarche de l’étude et ses conclusions…

Les chercheurs ont choisi une parcelle de 1000 m² sur la ferme. Entre 2011 et 2015, l’ensemble des employés travaillant sur cette surface devait systématiquement pointer au début et à la fin de l’intervention. Les chercheurs ont ainsi pu mesurer le temps de travail dévolu à la parcelle. Parallèlement à ceci, ils ont évalué la quantité de denrées alimentaires produites par la parcelle, ainsi que leur valeur à la vente. 

En divisant le bénéfice généré par la parcelle par le temps de travail, et en intégrant d’autres paramètres (coût du matériel et des semences, taxes et charges diverses, temps de travail dévolu à la gestion administrative et matérielle de la ferme…), ils ont enfin estimé la rémunération moyenne par mois sur la base d’un travail hebdomadaire de 43h. 

A l’issue de l’étude, ils trouvent un revenu mensuel net entre 898 euros et 1571 euros qu’ils estiment comme étant suffisant pour vivre. La conclusion est donc que le modèle est viable économiquement, puisqu’il génère suffisamment de revenus pour rémunérer correctement le travail effectué. 

Il y a bien sûr plein de critiques qui ont été formulées à cette étude : 

-Le fait que les employés qui travaillaient sur la parcelle étudiée, sachant qu’ils étaient évalués, étaient davantage productifs.

-La haute valorisation des produits vendus à cause de la célébrité de la ferme (qui découle de sa singularité).

-Le fait qu’il y ait de multiples intervenants, ce qui permet d’avoir plus de flexibilité dans la répartition annuelle du travail.

-La non-prise en compte par l’étude de tout ce qu’il y a autour des 1000 m² étudiés (les allées, les abords, les étangs…) et du travail d’entretien que ça nécessite… 

Mais même si on considère que les conclusions de l’étude sont parfaitement valides, ces résultats ne permettent absolument pas de dire que ce modèle est généralisable, et c’est ce que nous allons voir. 

3- Quelles sont les limites du modèle ? 

Premièrement, la ferme du Bec Hellouin, c’est uniquement du maraichage (et des arbres fruitiers). Or, le maraichage ne pèse que pour 2% de la SAU (surface agricole utile) en France… Et rien ne nous dit que ce genre de modèle serait transposable à la grande culture ou à la vigne par exemple. 

D’ailleurs, le maraichage, c’est la filière la plus rentable en termes de revenus par hectare, ce qui doit sûrement peser dans la balance au niveau des bénéfices procurés (donc de la viabilité économique). 

Deuxièmement, le modèle du Bec Hellouin présente un (gros) point faible : la dépendance aux engrais organiques.

Pour assurer la confection des « couches chaudes » et des « buttes », les employés utilisent en effet des quantités de fumier conséquentes…

Vraiment conséquentes. 

Sur leur propre site Internet, il y est indiqué qu’ils utilisent entre 17 et 62 kg de fumier par m² pour la constitution de leurs sols, soit entre 170 et 620 t/ha, ce qui est colossal, et même illégal : La limite légale pour le fumier de cheval étant de 20 t/ha/an. 

En conséquence de cette boulimie de fertilisant : des rendements élevés, certes, mais aussi des problèmes environnementaux potentiels. Pour une surface aussi réduite, ça ne pose pas vraiment de problème, mais la généralisation du modèle entrainerait des fuites d’azotes considérables, et donc des problèmes d’eutrophisation…
Et surtout, il serait compliqué de trouver de telles quantités de fumier. Le Bec Hellouin bénéficie justement du fumier du club hippique d’à côté, mais toutes les exploitations ne pourront pas avoir cette chance. 

Et enfin troisièmement, le travail nécessaire à l’hectare est juste colossal.

Sur le Bec Hellouin ça semble viable économiquement car les investissements matériels sont faibles et les produits sont vendus très chers. Mais si on voulait généraliser le modèle, il faudrait beaucoup plus d’agriculteurs.

Essayons de calculer un ordre de grandeur. D’après l’étude de l’INRA, il faut entre 1 400 et 2 100 heures de travail à l’année pour s’occuper de la parcelle de 1 000m² (soit 0.1 ha).

Ainsi, il faudrait minimum 14 000 heures de travail pour un hectare.

Imaginons que tous les fruits et légumes français (soit 530 000 ha) soient en permaculture selon ce modèle. Cela veut dire qu’il faudrait 530 000 x 14 000 = 7 420 000 000 heures de travail annuelles pour gérer tout ça.  

Même à 40h par semaine de travail et sans vacances, il faudrait plus de 3.5 millions d’agriculteurs, soit presque 10 fois le nombre d’agriculteurs actuel (pour seulement 2% des surfaces agricoles !).

Imaginons maintenant qu’on arrive à appliquer ce modèle à toutes les cultures : dans ce cas, pour s’occuper dans les mêmes conditions de l’ensemble des terres arables françaises (27 millions d’hectares environ), il faudrait… plus de 180 millions d’agriculteurs. 

Ça fait beaucoup de monde…

Alors, ce calcul est évident très approximatif et critiquable, et il faudrait sûrement beaucoup moins de temps (même sans mécanisation) pour s’occuper d’une parcelle de céréales que pour s’occuper de légumes… Mais il a le mérite de poser un ordre de grandeur : Même avec un gros recrutement dans le domaine agricole (qui, d’ailleurs, peine à recruter), il semble complétement impossible de généraliser ce modèle à l’ensemble de nos agrosystèmes… 

Est-ce que ça veut dire que la permaculture est à jeter ? Non, car pour certains cas bien particuliers de micro-fermes comme le Bec-Hellouin, le modèle peut quand même être vertueux, employer du monde, contenter les clients en recherche de qualité de produit, et les employés en quête de plénitude spirituelle. 

Les méthodes permaculturelles peuvent aussi être utilisées dans un cadre plus familial, comme pour le jardinage, où de toute façon la mécanisation et l’utilisation de pesticides est absente.

Certains préceptes utilisés en permaculture peuvent également être appliquées sur certains agrosystèmes de grande ampleur : 

L’agroforesterie, qui est le fait de planter des arbres dans / autour des champs, permettraient de stocker du carbone et de rendre l’environnement plus adéquat.

La diversification des cultures avec l’allongement des rotations et, plus difficilement, l’association de plusieurs cultures différentes sur la même parcelle.

L’aménagement de refuges pour les auxiliaires de culture.

La mise en place de couverts végétaux pour faire office de « cultures relais ». Etc.

Mais, soyons honnêtes, l’abandon de toute mécanisation et de tout traitement, à grande échelle, ce n’est pas encore pour tout de suite…

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