La Finlande vient d’adopter la politique climatique la plus ambitieuse au monde… avec une philosophie radicalement différente de celle envisagée en France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Environnement
Des spécialistes mesurent les émissions de gaz méthane de la réserve de Linnunsuo, une ancienne ferme de tourbe reprise et régénérée avec un succès inattendu, le 25 septembre 2020 à Kontiolahti, en Finlande
Des spécialistes mesurent les émissions de gaz méthane de la réserve de Linnunsuo, une ancienne ferme de tourbe reprise et régénérée avec un succès inattendu, le 25 septembre 2020 à Kontiolahti, en Finlande
©Alessandro RAMPAZZO / AFP

Atlantico Green

La Finlande a appliqué le principe des feuilles de route pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2035. Les acteurs de chaque secteur économique décident des actions à mener.

Jean-Paul Oury

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).

Voir la bio »

Atlantico : La Finlande vient dadopter la politique climatique la plus ambitieuse au monde. Sur quoi repose la stratégie ?

Jean-Paul Oury : La Finlande a annoncé viser la neutralité carbone d’ici 2035. Cet objectif se présente comme une feuille de route, annoncé par les organismes gouvernementaux. Ils ont l’ambition d’impliquer et de responsabiliser un maximum d’acteurs. En mobilisant « des millions de décisions prises chaque jour à tous les niveaux », Oras Tynkkynen, conseiller principal en charge de la durabilité au fonds public finlandais dinvestissement pour linnovation Sitra affirme que cela permettra d’atteindre plus vite les objectifs prévus. La spécificité de cette initiative est qu’elle ne découle pas uniquement d’une vision étatiste et planificatrice. Il y a une première feuille de route pour laquelle les initiatives dépendent du gouvernement, une vision verticale et politique. La seconde feuille de route, elle, implique directement les secteurs d’activités. Pour le coup, il ne s’agit plus d’un mode d’action de haut en bas, mais de bas en haut, ou de la base vers le sommet. Ce sont les secteurs économiques qui prennent eux-mêmes l’initiative. Comme on peut le lire sur le compte Twitter Cobraeffect qui résume dans un thread l’initiative « La Finlande a appliqué le principe des feuilles de route "inversées" : ce n'est pas l'état qui décide des actions à mener, mais les acteurs de chaque secteur économique. La dynamique part ainsi de la base et non plus du sommet. (…) L'idée est de responsabiliser les entreprises, en reconnaissant qu'elles sont mieux à même de comprendre les enjeux de leur secteur que ne l'est l'administration ». 

À Lire Aussi

20 ans pour gagner ou perdre la bataille du climat : et après quoi ?

Dans quelle mesure la philosophie derrière la stratégie finlandaise est-elle radicalement différente de celle envisagée en France et notamment de la planification écologique ?

C’est le jour et la nuit. On est abasourdi quand on voit le nouveau gouvernement français parler de planification écologique, alors que la France crève à petit feu de planifications de toutes sortes depuis des années. Notons qu’avant lui, ou « au-dessus de lui » il y a déjà deux plans : celui de la transition écologique européenne et de Farm to Fork qui ont prévu des mesures drastiques et punitives pour les Européens. Mais votre question porte sur la méthodologie, c’est donc sur ce point que nous allons insister. C’est une question qui était déjà débattue dans les années 60. Ainsi le philosophe Raymond Ruyer dans un ouvrage intitulé Éloge de la société de consommation répond aux critiques des intellectuels de l’époque qui s’en prenaient à la société des gadgets et défendaient l’économie soviétique. Pour cela, il fait une analogie entre politique et cybernétique. Pour résumer rapidement la cybernétique 1 concerne à l’époque toutes les machines qui fonctionnent avec des informations à rétro-actions (par exemple un thermostat de chaudière)… Elles peuvent, dit Ruyer, simuler une sorte d’intelligence dans le sens où elles réalisent des actions de manière autonome. Ce schéma d’action correspond à celui des acteurs économiques qui interagissent. Quant à la cybernétique de type 2, ce sont les ordinateurs de l’époque, c’est à dire des machines qui collectent, classent et transmettent l’information. Selon le philosophe, elles ne font ni plus ni moins qu’un travail de secrétariat sous commande de manager. Vous l’aurez compris, si la cybernétique de type 1 décrit le schéma du monde des acteurs économiques, la cybernétique de type 2 correspond à celui des politiques et notamment la planification. Partant de ce distinguo Ruyer aborde alors le sujet de la « régulation cybernétique par le profit ». Cette dernière, qui correspond au schéma de la cybernétique 1, permet un meilleur équilibre entre l’offre des producteurs et la demande des consommateurs, alors qu’il existe un exemple de cybernétique de type 2 à l’époque qui est l’URSS : dans ce type de régime, l’absence de feedback va avoir pour « conséquence la raréfaction des bonnes marchandises et la création de stocks de mauvaise marchandise. » Il est donc légitime de sinterroger sur ce qui vaut le mieux « régulation par le consommateur ou planification paternaliste ». Concernant cette dernière, Ruyer affirme que « C'est un vieux rêve de l'humanité, à base de nostalgie du Bon Père, d'avoir des Souverains qui soient des Dieux ou des Demi-Dieux, ou du moins des Sages et des Héros ayant fait un voyage auprès des Dieux avant de revenir régner sur terre. Sil existait une telle race de surhommes, relativement à qui les adultes seraient des enfants, il serait certainement raisonnable et avantageux, malgré les réserves des économistes, de leur remettre la direction économique en même temps que la direction politique ». Hélas ces dieux planificateurs nexistent pas - il sagit dun mythe. Mais cela n’empêche pas les gouvernements du monde entier d’en jouer et de faire croire que c’est possible. En France, nous avons des champions du monde dans ce sport. Si j’ai tenu à faire ce détour c’est qu’il permet de bien faire comprendre ce qui peut distinguer le modèle planificateur du modèle qui implique directement les acteurs. Et de fait, on comprend en quoi la stratégie finlandaise semble correspondre à une cybernétique de type 1 et donc optimiser l’action de tous par rapport à l’environnement, alors que la planification française, elle sans aucun doute correspond à la cybernétique de type 2 avec la supposition que certains sachants, certains gouvernants sont au-dessus des lois et peuvent piloter la transition écologique pendant que les citoyens se contenteraient d’exécuter… Or, les effets de la planification peuvent être catastrophiques : on en a un bon exemple sous nos yeux au niveau européen avec l’interdiction des véhicules thermiques en 2035. On connaissait la création destructrice Shumpeterienne, désormais on pourra parler de planification destructrice VanDerLeyenne… la technologie du véhicule électrique incapable de s’imposer d’elle-même (si c’était le cas pourquoi le premier véhicule électrique conçu à la fin du 19ème siècle n’a pas prévalu sur la concurrence thermique) a besoin des planificateurs de l’UE pour détruire la concurrence à coup d’interdits et de subventions.

À Lire Aussi

Accusations d’inaction climatique de la France : la part du vrai, la part du mauvais procès (et de la malhonnêteté intellectuelle…)

J’ajouterai à cela enfin qu’en France si on a choisi de confier la transition écologique à l’Etat, c’est en partie dû à l’indécrottable jacobinisme de nos élites, qui dans tous les domaines pensent en silo et ne savent faire que cela; mais c’est aussi dû aux coups de boutoirs répétés de l’écologisme qui comme nous l’avons montré dans Greta a tué Einstein a fait tomber la science prométhéenne de son piédestal. On n’a plus confiance dans la capacité de l’homme à manipuler le génome, à fissioner l’atome, à diffuser des ondes ou encore utiliser des molécules. L’introduction du principe de précaution dans la Constitution a rendu totalement impossible l’action des ingénieurs. On assiste à un véritable changement de paradigme : la planification écologique ne peut être menée que parce que nos choix de politique scientifique sont radicalement différents : les politiques préfèrent confier notre avenir aux  législateurs pour qu’ils s’appuient sur la science pour produire de nouveaux interdits et limiter nos libertés plutôt que de laisser les ingénieurs trouver des solutions…. On préfère désormais en Europe mettre des équipes scientifiques qui modélisent les limites pour qu’ensuite les politiques transposent cela en lois restrictives, plutôt que des équipes d’ingénieurs qui repoussent ces mêmes limites. C’est le sujet que je développe en long et en large dans Greta a ressuscité Einstein, à paraître prochainement. 

Pourquoi faire le choix de la prospérité comme moteur de la préoccupation écologique des peuples et entreprises et de la liberté dinnover, plutôt que dune planification administrative ou dune décroissance est un choix pertinent ?

À Lire Aussi

« Conseils aux jeunes générations qui faites face à l’annihilation » : petite lecture critique du manifeste du fondateur d’Extinction Rebellion

C’est une vieille question également. La première association écologique de l’histoire, le Sierra Club fut un temps pro nucléaire. Pour les écologistes de la conservation, cela permettait d’éviter de construire un barrage et de défigurer l’environnement. Puis vinrent en son sein des militants qui firent le raisonnement suivant : le nucléaire civil permet d’avoir une énergie abondante et bon marché et donc les conséquences de cela c’est que l’humanité aura une vie plus facile et une plus grande empreinte sur son environnement, car nous serons plus nombreux et vivrons plus facilement. Dans les années 70, le Club de Rome et une quantité de prophètes de malheur ont produit de fausses prévisions montrant ainsi les limites des prêcheurs de limites. Mais ces derniers ont de nouveau le vent en poupe. Nous assistons actuellement à une revanche des malthusiens, notamment dans le cadre de débat sur le réchauffement climatique ou encore la 6ème extinction. Les collapsologues compilent les données pour nous persuader que le monde est fini et que nous ne pouvons pas imaginer une croissance infinie. En 2019, la député Delphine Batho s’était attaquée au projet de loi gaspillage soutenu par Brune Poirson en disant « quelles sont les bases scientifiques avec lesquelles vous nous parlez de découplage. Parce quen fait le découplage ça nexiste pas. Cest-à-dire que la croissance du PIB elle est fondée sur la consommation d’énergie et sur la consommation de matière et elle explose. Cest à dire quon explose les limites planétaires. Et donc raconter le mythe, jallais dire la religion que lon pourrait continuer avec la croissance planétaire tout en réduisant la consommation d’énergie ou de matière, cest faux. » Ce sont des propos que ne démentirait pas l’expert pro nucléaire Jean-Marc Jancovici. Mais comme nous le montrons dans notre ouvrage à paraître, il s’agit essentiellement de politique : ces derniers se ruent sur les modèles scientifiques qui annoncent des limites. On rejoint la problématique évoquée dans la question précédente : celle de ces surhommes qui prétendent faire de la prospective et qui prennent au pied de la lettre ces modèles scientifiques (voir à ce propos l’analyse critique des modèles que fait par exemple Steven Koonin) pour en amplifier le catastrophisme et les transposer en directive politique. Mais ce n’est pas tout, il est évident qu’en terme de politique scientifique un choix s’impose entre savoir si pour lutter face au réchauffement climatique par exemple, nous devons décroître pour diminuer notre empreinte carbone (une stratégie de mitigation) ou si nous devons au contraire tout faire pour être suffisamment avancé en terme de technologie pour mieux nous adapter pour faire face aux conséquences du changement. C’est la question fondamentale que pose Bjorn Lomborg : vaut-il mieux investir notre argent dans des stratégies de mitigation sachant le faible impact et le coût faramineux ou continuer de croître pour pouvoir investir et s’adapter ? Je vous invite à lire à ce sujet mon article paru dans la revue Paysans sur Quatre experts à contre-courant du catastrophisme climatique. Enfin quand vous parlez croissance avec des militants écologistes, ils vous ramènent toujours au cliché de l’industriel occidental qui pollue… mais la croissance c’ est aussi comme le rappelle Michael Schellenberger, la famille africaine qui passe du charbon de bois à l’électricité produite par un petit barrage hydraulique. Enfin pour finir sur les problématiques natalistes, contrairement à ce que l’on pense trop souvent, il se pourrait bien que le problème auquel nous devons faire face prochainement soit celui de la dénatalité. Je vous invite à relire l’ouvrage de Hans Rosling à ce sujet, il montre très bien que les populations qui accèdent à un certain niveau de vie (il en distingue quatre) ont tendance à faire moins d’enfants. Bien évidemment cela ne se produira pas si comme certains lappellent les Français retournent à la campagne en se passant des machines car là, il y aura besoin de bras pour travailler la terre. 

Y-a-t-il des limites à la stratégie climatique de la Finlande ? Et à lexportation du modèle ?

Oui bien-sur. On peut saluer cette prise de conscience salutaire d’un gouvernement qui ne veut pas tout confier à des planificateurs et qui souhaite redonner une véritable place aux ingénieurs et également se réjouir que les écologistes soient enfin convaincus par l’utilisation du nucléaire. Mais nos amis finlandais restent captifs du paradigme d’urgence climatique et ce sont bien des politiques qui décident des niches fiscales. Or si demain une entreprise finlandaise dépasse Alibaba Group, l’entreprise dont le pdg a fait le bonheur des internautes contrariants en disant qu’il était sur le point de développer un mouchard individuel d’empreinte carbone, sera-t-elle éligible à la niche fiscale de 150% de crédit d’impôt prévue par le gouvernement finlandais ? Admettons que cela soit une entreprise privée qui développe cette application, elle fera le bonheur des planificateurs.

Certes je préfère la méthode incitative des finlandais à la méthode coercitive. Mais je pense que toutefois il faut garder une certaine prudence. Les Finlandais ne sont pas les premiers à se lancer dans la course à l’échalote. Les néozélandais avaient prévu en 2010 si ma mémoire ne me fait pas défaut d’être les premiers en terme de stratégie de décarbonation, ils ont dû sérieusement revoir leurs plans. Ensuite je vous invite à lire ou écouter Vaclav Smil, l’expert énergéticien préféré de Bill Gates. Dans ses conférences, il démontre sans jamais faire de politique qu’au cours de l’histoire les transitions énergétiques se sont toujours déroulées sur des générations et qu’il n’est pas possible qu’il en soit autrement. Il est impossible de taxer ce grand monsieur de climato-scepticisme et il croit dur comme fer à la nécessité d’agir, mais il dit également que cette transition n’échappera pas à la règle et que plutôt que de se lancer dans de grandes ambitions il faudrait mieux commencer par des petites actions individuelles comme équiper chaque foyer d’un système de chauffage plus efficient.

Quant à la transposition du modèle, il faudrait déjà commencer par savoir de quoi on parle quand on parle d’innovation sur le climat. En Europe, trop souvent, on a réduit celle-ci à l’investissement dans les ENR… c’est un signal trompeur. Car en vrai on gaspille l’argent, sachant que le rendement des solutions proposées (solaire ou éolien) restera toujours très faible quels que soient les milliards injectés et ce du fait qu’il s’agit d’énergie intermittente, je vous renvoie à ce sujet aux nombreuses tribunes d’experts que j’ai eu le plaisir de publier sur europeanscientist.com. Et si vous n’êtes pas convaincu, il suffit de regarder cette catastrophe qu’est l’EnergieWende, la transition énergétique allemande. Si les entreprises et les ingénieurs finlandais pouvaient servir d’exemple en incitant les autres pays à utiliser ces fonds au service de véritables innovations de la transition énergétique et sortir de ce carcan réducteur des ENR, alors effectivement ce sera déjà ça de gagné !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !